1977, le drame. Un de ceux qui marquent les années 70, et qui, aujourd'hui encore, restent dans les mémoires. Le 20 octobre 1977, l'un des groupes américains les plus en vue, aux albums et singles s'incrustant systématiquement plusieurs semaines dans les charts Nord-Américains et Anglais, se crashe à bord d'un Convair 300. Le même appareil et équipage qui, après une petite inspection, avaient été refusés quelques mois plus tôt par le staff d'Aerosmith. Un vieux coucou de près de trente ans ayant fait l'objet de quelques améliorations. L'avion, en panne de carburant, suite à une consommation anormale, tombe dans un marais proche de Gillsburg (Mississippi). Deux jours auparavant, l'une des choristes, Deborah "Jojo" Billinsley fait un terrible cauchemar où elle voit le groupe périr dans les flammes dans un crash d'avion. Elle essaie maintes fois de joindre le groupe et le management. Elle finit par avoir Allen Collins, qui répond qu'effectivement, il a récemment remarqué des flammes s'échapper d'un des moteurs. Le lendemain, il prend tout de même l'avion. On racontera plus tard, que la pochette de leur dernier disque qui venait juste de sortir, "Street Survivors", était prémonitoire, avec cette pochette présentant le groupe dans une rue baignée de flammes. Ainsi, les prochaines rééditions présenteront une nouvelle photo du groupe, sur un simple fond noir, sans flammes.
Le groupe bien sûr, c'est Lynyrd Skynyrd, fauché en pleine nouvelle ascension - après un relatif coup de mou. Accident tragique coûtant la vie aux pilotes, au chanteur Ronnie Van Zant, au guitariste Steve Gaines, à sa sœur, la choriste Cassie Gaines, et au manager Dean Kilpatrick. D'autres y survivent ; ce qui relève du miracle lorsqu'on voit ces photos d'un avion déchiqueté, aux éléments éparpillés. Les blessures sont graves, mais moins pour deux machinistes et le batteur Artimus Pyle (avec des côtes cassées et une fracture du sternum), qui peuvent partir chercher des secours. Le calvaire pour ce dernier est complété par une dose de chevrotine dans l'épaule, assénée par un fermier inquiet face à l'allure dépenaillé de ce chevelu (sympathique... on dirait le Sud). Il faudra de longs mois aux survivants pour se rétablir. Notamment pour Leon Wilkinson avec un poumon perforé, une mâchoire brisée et les deux bras fracturés (il manquera de peu de passer l'arme à gauche lors des interventions chirurgicales), et pour Gary Rossington avec deux bras et une jambe brisés et le bassin fracturé (dans le coma, il ne se réveillera que plusieurs jours après l'accident). Les services de secours estiment que, sans la clarté d'esprit d'Artimus et des roadies, qui sont rapidement partis chercher de l'aide, il n'y aurait pas eu d'autres survivants qu'eux trois.
Cependant, jamais aucun des rescapés ne parviendra à effacer ce terrible traumatisme. Cette nuit cauchemardesque, dans un fracas de tous les diables où ils se virent tous périr, puis ce réveil dans une vive douleur physique. Et puis la profonde et incurable peine causée par la subite perte d'amis. Bien des années plus tard, au siècle suivant, Gary Rossington déclarera que parfois, sur scène, en rouvrant les yeux après les avoir un instant fermés, il lui arrivait encore de se demander où il était. Son esprit pensant retrouver les amis disparus. Ceux-là, et d'autres à venir, car désormais, certains n'hésiteront pas à dire du groupe qu'il est maudit.
Une fois rétabli, lors d'une soirée arrosée à évoquer les souvenirs, une décision ferme est prise : celle de ne jamais relancer Lynyrd Skynyrd. Pas question de continuer l'aventure sous ce patronyme en l'absence de Ronnie. Promesse manuscrite et signée devant notaire par Rossington, Judy, la veuve de Ronnie, Judy, Allen Collins, et Teresa Gaines, la veuve de Steve. C'est pourquoi, lorsqu'en 1979, Rossington et Allen Collins décident de rameuter les troupes et partir sur la route faire chanter leur guitare, c'est sous leur deux noms. Cela malgré la présence de Leon Wilkinson, d'Artimus Pyle et de Billy Powell. Soit plus de 70% de Lynyrd. Nombreux sont déjà ceux à avoir fait preuve de moins de scrupules. En troisième guitariste, ils se doivent d'en dénicher un maîtrisant la slide. Leur choix se porte sur Barry Lee Harwood, un gars d'Atlanta qui galère depuis le début de la décennie, qui avait déjà donné un petit coup de main à Lynyrd, au banjo et à la mandoline. Et c'est aussi un ancien membre du groupe Alias, formation éphémère, auteur d'un seul disque, "Contraband" en 1979, sur lequel on retrouve Leon Wilkinson, Artimus Pyle, Billy Powell et Jojo Billingsley. Un choix judicieux car outre la guitare, Harwood va se montrer compétent derrière un micro et à la composition.
Cependant, en raison d'un grave accident de moto, Artimus sort rapidement de l'équation, obligeant le groupe a rechercher rapidement un remplaçant. Harwood propose un pote, Derek Hess, un habitué de la scène de Jacksonville et occasionnellement musicien de studio travaillant pour le Muscle Shoals. Au chant, pas question de débusquer un clone de Ronnie, et c'est Dale Krantz qui est débauchée de chez les copains de 38 Special. Outre sa voix, mordante à souhait, pouvant même rivaliser en virilité avec nombre de ses pairs masculins, on suppose que la plastique et la personnalité de la demoiselle ne sont pas étrangères à l'intérêt que lui portent Collins et Rossington. D'ailleurs, Gary et Dale se marient en 1982 - et ils le resteront -, tandis qu'une fois l'idylle ouvertement entamée, Allen se singularise par d'étranges sautes d'humeur, parfois dirigées contre Dale. (Des années plus tard, Artimus Pyle avouera penser que Dale eut aussi une relation avec Allen)
Evidemment, avec un tel équipage, rien d'étonnant à ce que dès les premières minutes de "Anytime, Anyplace, Anywhere", l'album sorti en 1980, cela résonne comme une résurrection de Lynyrd Skynyrd. D'où la pochette, peut-être plus célèbre que le contenu, avec ce beau phénix stylisé. Même si la tonalité de Dale Krantz est plus hargneuse. Ce que certains critiques ne manquent pas de souligner, en accusant Rossington, Collins & Co de vouloir faire plonger le patrimoine de Lynyrd vers le Hard-rock. Billevesées, car jamais alors RCB ne flirte avec Molly Hatchet ou Blackfoot. Il s'agit bien de pur Southern-rock, même si la blondinette aime rugir et feuler. Dans les grandes lignes, ça se situerait même dans la continuité de "Street Survivors". Quoiqu'à certains moments, "One Good Man" préfigure le futur "Lynyrd-Medlocke". On découvre aussi qu'Harwood est également un bon chanteur, donnant occasionnellement - et paradoxalement - un brin de velours tranchant avec la rugosité féline de Dale.
Une première face répondant fièrement à l'héritage de Lynyrd, au contraire de la seconde, malheureusement grevée par une tonalité un poil policée et relativement anémiée. Le final, le sympathique et remuant "Sometimes You Can Put It Out", évoque autant Lynyrd que les Blues Brothers. Le public ne boude pas son plaisir et l'album grimpe dans les charts, remportant dans la foulée dès le mois d'août un disque d'or. Tout s'annonce pour le mieux, mais quelques mauvais esprits semblent coller aux basques de ces lascars, et, pendant la première grande tournée du groupe, l'épouse d'Allen Collins, Kathy, décède d'une hémorragie interne, des suites d'une fausse-couche. Anéanti après ce drame, Allen ne sera plus jamais le même, et sombrera dans l'alcoolisme.
Si ce premier essai demeure encore une référence, le suivant est par contre généralement oublié. Sa pochette, au contraire du premier avec son phénix flamboyant, pêche par sa platitude, n'arrangeant rien. Plus difficile à trouver et moins vendu, l'album suivant n'en est pourtant que meilleur. Tout porte à croire que le succès du premier a profité d'un élan de sympathie et de curiosité ; ce dont profite forcément moins le second. De plus, en 1981, le Rock sudiste perd de son intérêt auprès des masses qui commencent à se tourner vers des sonorités plus lourdes et fortes. "This is the Way" présente un groupe plus soudé et plus à l'aise (les enregistrements ont été finalisés avant la tragédie touchant Allen Collins). Comme délivré du poids de son pesant héritage. L'atavisme avec Skynyrd est indéniable, toujours d'actualité, cependant les comparses parviennent à s'en détacher sans le trahir. Sans a priori pour durcir l'attaque ou l'imbiber parfois d'un peu plus de Blues et de Rock dur. Dale racle moins ses cordes vocales, sans pour autant atténuer sa morgue et son autorité (nullement reflété par son physique gracile).
Pour rassurer l'auditeur, ou l'appâter, "Gotta Get It Straight" entame les festivités sur des couleurs typiquement "Lynyrd", avec pour tambour-major le piano alerte de Billy Powell. Dale se démène pour donner du mordant, mais la tâche est ardue car les guitares ternissent un peu la fête avec un thème funky simpliste et raide. Comme sur la précédente galette, la deuxième pièce aborde la ballade façon "lonesome poor cow-boy". Et là, on touche à l'excellence. "Tashauna" renoue avec les moments forts de Skynyrd dans le style de la sombre ballade. Et si la formation paraît ici se reposer sur quelques ficelles ayant fait leurs preuves, l'émotion est bien là. Dale rabat le caquet à ceux qui s'évertuaient à la réduire à une gueularde. La chanson est un hommage à John Lennon, assassiné pendant que les sessions de cet album touchaient à leur fin.
Le roboratif "Gonna Miss It Whith It's Love" résonne comme si Pat Benatar était partie enregistrer aux studios de Muscle Shoals, accompagné par un groupe de vieux desperados hirsutes du coin. D'ailleurs, serait-ce une coïncidence, mais la guitare mise en avant vibre comme la Stratocaster de Neil Giraldo ; toutefois dans un environnement nettement plus roots. Tandis que sur les refrains, le piano et les chœurs évoquent les "friends" de Delaney & Bramlett. Pour sa première chanson, la première portant sa seule signature, Harwood surprend avec une pièce a cappela. "Pine Box" est un duo entre Dale et Barry, une prière pour affronter la crainte de la mort. La Mort toujours proche... "Ne me donne pas la boîte en pin. Ne me creuse pas de trou, car quand je sens mon Sauver parler, cela renforce mon âme. La douleur de la mort se détache de moi...". En dépit d'un dépouillement total, cette chanson ne manque pas de corps, la voix d'Harwood mêlée à celle de Dale Krantz vibre comme un mantra vibratoire. Harwood a désormais pris ses marques, et offre à la troupe deux autres pièces de belle qualité. Un fringuant country-rock, "I'm Free Today", un morceau acoustique sentant autant le soleil que les grands espaces, l'air frais dégagé par le courant des fleuves atténuant la chaleur des journées d'été. Et "Means Nothing To You" refermant sur des notes de Rock-sudiste solide mais tempérée, ouvert, la parenthèse de ce groupe à la carrière trop brève.
Dans le style plus vigoureux, RCB fait aussi dans le Boogie-rock'n'roll - à la mode "sudiste", évidemment -, avec "Don't Stop Me Now" où Dale chante tel un Meat Loaf essoufflé, luttant contre le tempo relevé de l'orchestre mettant à rude épreuve son endurance. Dans un Heavy-copuntry-rock laid-back, un tantinet "swamp", marécageux, avec "Seems Like Every Day" qui exsude des relents de cambouis et de juke-joints familiers avec l'album "Gimme Back my Bullets". Et aussi dans le rigide, voire granitique, avec "Next Phone Call" qui exhale de parfums capiteux propres à Deep Purple ; la référence se porte même sur Powell qui lâche son piano pour un Hammond, et tente de suivre les traces de Jon Lord. Pas si étonnant car le quintet Anglais fut une influence pour certains groupes de Southern, à tendance plus heavy (Point Blank et sa belle reprise de "Highway Star").
A une époque où la grande majorité des groupes de Southern-rock cédait sous la pression de managements et de labels soucieux d'augmenter leurs bénéfices, faisant en conséquence des concessions pour diluer leur musique dans des sonorités ouvertement "FM" et Pop, avec peu ou prou de succès, le Rossington Collins Band s'évertuait à perpétrer une musique fidèle à ses racines sudistes. Point de synthés, ou de basse "disco", de polissage par divers arrangements de studio, pas non plus de fanfaronnades à la guitare, ni de joutes étirées, d'égo qui se fightent par l'intermédiaire d'instrument de musique. Juste du bon Southern-rock, essayant de se montrer digne de son héritage, sans chercher à stupidement le dupliquer, le caricaturer.
L'album a été dédié à Kathy Collins, l'épouse défunte d'Allen.
Malgré une notoriété qui s'affirme et des tournées à la clef, certes loin de la folie que générait Lynyrd Skynyrd, la formation arrête toute activité en 1982. C'est le comportement ingérable d'Allen Collins qui en est responsable. Depuis le décès de son épouse, il est tombé dans une profonde dépression et boit plus que de raison pour atténuer sa peine. Son humeur exécrable et son manque de professionnalisme - entre ses retards, ses absences impromptues, son manque de respect envers le public en quittant parfois la scène avant la fin de le prestation - érodent la vieille amitié qui le lie à Rossington.
Cette séparation sera l'occasion pour Gary Rossington de se retirer un temps du show-business pour se libérer, avec son épouse Dale, de ses addictions. Ce n'est qu'une fois clean qu'il revient progressivement à la musique. Un premier disque sous son nom en 1986, "Returned to the Scene of the Crime", typique d'un Hard FM US perclus de synthés et de batterie suramplifiée. Loin d'être mauvais mais rien de saisissant, malgré tous les efforts de Dale au chant. Deux ans plus tard, avec le Rossington Band, Dale et Gary proposent un rock hard FM plus maîtrisé et intéressant, moins expansif et boursouflé. Et puis, les anciens compagnons de route viennent le chercher pour réaliser une tournée "anniversaire" en remontant Lynyrd Skynyrd. D'abord réticent, il finit pas céder et devant le succès, l'aventure est renouvelée. Il devient le socle de cette formation emblématique du Rock sudiste et participe ardemment à sa pérennisation. De son côté, Allen Collins continue avec le Allen Collins Band (initialement Horsepower), sans ralentir la bibine. Au contraire. Jusqu'en 1986 où il fait une sortie de route, tuant sa nouvelle petite amie, et perdant l'usage de ses jambes. A l'exhumation de Lynyrd, pour ne pas être laissé de côté, le groupe prend soin de lui et l'amène en tournée, en tant que directeur musical. Il décède d'une pneumonie en 1990.
En hommage à Gary Rossington, guitariste racé, dernier membre fondateur de Lynyrd Skynyrd. Il décède le 5 mars 2023, à l'âge de 71 ans, chez lui, à Milton (Georgie). Il avait eu une crise cardiaque en 2015, et en 2021, il dut subir une intervention chirurgicale cardiaque en urgence.
🎼☆
Un bel hommage ! Encore un grand qui part ! "Take it on faith" sorti en 2016 est le dernier testament musical de Rossington . Disque qui regroupe des morceaux enregistrés sur plusieurs années en compagnie de Dale Rossington et qui fort réussi !
RépondreSupprimerJe viens de réécouter les deux RCB , no comment sinon quel pied ! Dans la foulée j'ai visionné le DVD "Lyve from Steel town" de 1997 , à cette époque Gary Rossington bouffi certes mais très présent , et à mon avis l'un des meilleurs line up de Lynyrd Skynyrd avec Hugie Thomasson ( ex- Outlaws) excellent guitariste et l'ex Blackfoot un peu trop démonstratif sans doute mais fine gâchette. Bref un grand concert ! Lynyrd Skynyrd restera avec l' Allman Brothers Band un des meilleurs combos live de l'histoire du rock.
RépondreSupprimerPS; aucune objectivité dans les lignes ci-dessus (of course!) je suis un fan transi des deux formations citées !
Merci JP. Oui, il semblerait que ce soit la fin des dernières grandes formations de Southern-rock. Que reste t'il ? The Outlaws ? Avec deux survivants de la formation d'origine ?
RépondreSupprimerJ'avais hésité avec "Take it on Faith", avant de me décider pour le Rossington Collins Band.
Bien que probablement moins représentatif du caractère de Rossington que son dernier effort solo (avec madame), c'était l'occasion (funeste) d'écrire une petite bafouille sur ce Rossington Collins Band un peut tombé dans les oubliettes.
"Tombé dans les oubliettes", pas pour tout le monde.
RépondreSupprimerOh bon sang, Shuffle Master himself ! Ca fait plaisir de te voir trainer dans l'coin... Bon, sur Rossington Collins Band, ce n'est finalement pas si étonnant que ça.
RépondreSupprimerT'es pas le seul à être étonné ! Plus de nouvelles , ni signe de vie depuis une éternité de la part de SM ! On l'a connu plus loquace quand même , mais bon il est toujours vivant , nous voilà rassurés!
RépondreSupprimerSalut tout le monde. Merci pour l'accueil. Je fais un saut de temps en temps pour vérifier que vous êtes aussi toujours vivants. Pour Rossington Collins Band, je ne pouvais pas ne pas intervenir. Dont acte.
RépondreSupprimerHo !? SM ! Quelle bonne surprise 😀
SupprimerNéanmoins... j'suis un peu déçu... Mouais, le Shuffle d'antan était nettement plus piquant. Il y avait intérêt à réviser son sujet au risque de se faire rattraper par la patrouille. 😁