mercredi 22 février 2023

STONE THE CROWS " Ontinuous Performance " (1972), by Bruno



     Ceux-là, ils avaient tout pour réussir. Tout pour se pavaner avec fierté et aplomb parmi les plus grands de la musique Anglo-saxonne des années soixante-dix. Tout pour laisser un souvenir marquant. Et ce, sans faire appel à un arsenal d'artifices scéniques ou à un commando de mercenaires et d'invités prestigieux. Hélas, la poisse leur collait aux semelles. A croire que le plumage noir du volatile de leur patronyme, le corbeau, a fait écran, comme un bouclier enchanté repoussant toutes flèches et lances de prospérité et de sérénité.

Dans nombre d'anciennes religions, le corbeau pouvait être un messager des divinités ou de l'outre-monde, aussi bien porteur de bonnes que de mauvaises nouvelles. On ne retiendra que celui d'annonceur de malheur, "oiseau de mauvaise augure". C'étaient pourtant eux qui auraient déterminé l'emplacement de la fondation de Lugdunum (la ville de Lug, aujourd'hui Lyon) et du temple de Delphes. Ce sont aussi les attributs d'Odin et de Morrighan. Mais depuis des siècles, diabolisé pour son lien avec l'outre-monde (l'Au-delà, le Sidh, le Douât), ainsi que pour ses habitudes nécrophages (bien utiles pour nettoyer et éviter les odeurs pestilentielles et la propagation de maladies), - sans omettre que nourri par une riche littérature, il est devenu dans l'imaginaire collectif l'incarnation animale de quelques sorciers et sorcières aux intentions peu amènes -, un volatile craint et peu apprécié. Même si ceux de la Tour de Londres sont choyés. 


  Pourtant, c'est sous les meilleurs auspices que se termine l'année 1969 pour la formation écossaise. Lorsqu'un soir mister Peter Grant en personne, séduit par leur prestation, leur propose d'être leur manager et de leur faire prestement enregistrer un premier disque. Un premier essai fort réussi, qui sort les premiers jours de l'an 1970. Et qui a réussi, notamment grâce à des passionnés de cette décennie qui n'ont pas cessé de conter ses mérites, à franchir les ans (bénéficiant de plusieurs rééditions). La présence de deux chanteurs d'exception, à la personnalité vocale reconnaissable, à savoir Maggie Bell et James Dewar, y est pour beaucoup. Un duo magique fait d'une chanteuse à la voix rocailleuse et émouvante, essence d'un Blues rugueux pas encore souillé par les lumières vulgaires des villes, et d'un chanteur-bassiste penchant vers la Soul, fort d'une voix de velours élimé. Un mariage qui aurait logiquement dû propulser les Ecossais en orbite, et les faire rayonner autour de la planète. Mais trop souvent la logique reste un facteur négligeable dans toute carrière musicale. 

     Les petits déboires s'accumulent, nourrissant pessimisme et lassitude. James Dewar finit par quitter le navire, rejoignant un projet plus prometteur : Jude, dans lequel sont réunis Frankie Miller, Robin Trower et le batteur Clive Bunker (ex-Jethro Tull). Un super-groupe qui n'a hélas pas laissé de traces discographiques. C'est un coup dur pour le groupe. Néanmoins, même si cette perte a un impact considérable, le groupe se remonte les manches et le troisième album s'en sort bien.

     Cependant, malgré tous les efforts et l'abnégation du groupe, le management ne suit pas. En dépit de son attachement sincère au groupe, le géant adipeux et patibulaire Peter Grant, qui a pourtant fait beaucoup pour faire évoluer les droits des musiciens (ce qui leur a permis de toucher des fortunes qu'ils ne soupçonnaient même pas), déjà trop accaparé par le monstre Led Zeppelin et tout ce qui gravite autour, peine à répondre aux attentes des Ecossais. Ce qui sera pour lui un crève-cœur.


   Pugnace, la formation persévère et met tous ses espoirs dans leur quatrième disque. Les musiciens sont plus affûtés que jamais, tant dans la maîtrise de leur instrument que dans celle de la composition. Les nouvelles chansons présentent bien et semblent annoncer un grand album. Qui plus est, les sessions se déroulent dans de bonnes conditions. Parallèlement, désormais fort d'une bonne réputation scénique (certains critiques d'ailleurs ne jurent que par les enregistrements en public du groupe) Stone the Crows répond aux demandes et assure régulièrement des concerts. Mais la poisse est toujours là, à l'affût, resurgissant quand tout semble s'améliorer. Cette fois-ci, elle sort de l'ombre accompagnée de la faucheuse. Le quintet abandonne un temps pour se produite sur scène… l'histoire est tristement célèbre. Leslie Harvey meurt le 3 mai 1972, à Swansea, au Pays de Galles, électrocuté sur scène pendant le soundcheck par faute d'une mauvaise installation électrique. Par sa guitare ou un micro, les deux versions existent. Ainsi, il devient le septième membre du club peu envié dit "des 27".

     La malchance, la guigne, la poisse, le mauvais œil, quoi que ce soit, une ombre noire paraît avoir toujours plané au-dessus de ce groupe talentueux. Jusqu'à l'anéantir dans la douleur. Final par un excellent dernier album, se disputant avec le premier éponyme la place du meilleur. C'est le premier album du groupe à pénétrer les charts (Anglais). Mais Leslie Harvey, l'un des fondateurs avec Maggie, n'est plus là pour le savourer.

     Loin de se douter du sort qui les attend, Stone The Crows affiche une forme éclatante sur le solide "On the Highway" amorçant l'album, creusant le sillon du Blues-rock à la manière des Faces et du Grease Band. Certes, sans grand éclat, hormis la basse groovy de Steve Thompson, entre Motown et Jack Bruce, et évidemment la voix éraillée de corbeau de Maggie, mais entraînant, énergique et plaisant. Il en est tout autre dès "One More Chance", évoluant en montagnes russes. Prenant péniblement son essor sur un slow jazz-blues plaintif, il alterne ensuite entre instants de ballade Soul, et machine Rock mixant Jazz et country.  Cependant, parallèlement, comme une sourde prémonition, dès lors semble planer une ombre nourrie de tristesse. "Penicillin Blues" retrouve les joies du Blues rugueux des débuts. ; à l'origine un Country Blues de Sonny Terry & Brownie McGhee. Cette version débuté d'ailleurs par le chant de Maggie uniquement accompagné de la guitare d'Harvey. Jusqu'à ce que Maggie, par un cri de chatte blessée, rameute la troupe qui injecte alors une bonne dose de Rock.


  Bien peu d'intérêt par contre pour l'interlude "King Tut", 
inspiré par une exposition sur l'ancienne Egypte. Un instrumental gauchement planant, tournant en rond sans but. Ennui vite effacé, après un départ paresseux, par le fringant "Good Time Girl" aux humeurs Rock'n'roll honky-tonk principalement instauré par le piano. C'est le premier morceau de l'album où officie Jimmy McCulloch, le remplaçant de Leslie, qui ponctue ici le morceau de petits chorus racés. Les cuivres amorçant le final procurent une saveur festive de New Orleans mais ont aussi le goût de rajout de dernier minute. Choisie pour single, la chanson s'approchera honorablement du Top10. "Niagara" est la pièce la plus franchement Rock de l'album, anticipant Bob Seger et ses balles d'argent, avec un Leslie qui gratte ici sa six-cordes tel un Keith des meilleurs jours

   Et puis il y a "Sunset Cowboy"... indubitablement le zénith de l'album, et probablement celui du groupe. Chanson composée par Collin Allen et Ronnie Leahy en hommage à l'ami parti trop tôt, subitement, plongeant ses autres amis dans le désarroi et la peine. Le piano de Ronnie Leahy, alors sombre et sobre, paraît résonner dans le royaume de la nuit, tentant quelques éphémères éclats lumineux sur lesquels se place Maggie. Cette dernière y met son âme, laissant place à la douleur ; mais aussi à l'espoir, celui que son ami trouve son chemin, et qu'un jour, ils pourront à nouveau se rencontrer. Dans un murmure, elle semble retenir sa peine, avant de la laisser s'exprimer dans une catharsis saisissante. L'émotion est palpable. Jimmy McCulloch, qui apporte sa contribution pour la seconde et dernière fois sur le disque, reste discret, sur la pointe des pieds, ne se faisant remarquer que lors d'un pré-coda, par un fin et court solo. 

     Peter Green est sollicité pour prendre la place vacante. Il répète avec le groupe pendant quatre semaines, mais, le jour où il devait monter sur scène pour la première fois avec Stone the Crows, lors d'un festival, il ne se présente pas. Steve Howe de Yes le remplace au pied levé. C'est finalement un compatriote, Jimmy McCulloch (futur lieutenant de Paul McCartney au sein de Wings), qui intègre le groupe et avec qui il finit l'enregistrement du disque.

     Malheureusement, de l'avis même de Maggie Bell, malgré tous ses efforts, elle ne parvient pas à retrouver la connivence qu'elle avait avec celui qu'elle considérait comme un ami proche. Sur scène, elle peine à réveiller la magie. Profondément meurtris par le drame, les membres d'origine restants, Maggie Bell et le batteur Collin Allen, préfèrent arrêter. Se séparer. Plus jamais Maggie Bell ne retrouvera l'étincelle , l'intensité qui l'animait au sein de Stone the Crows. La blessure était trop profonde.




🎶💎🐦 

👉 Autre article / Stone the Crows (lien): "Stone The Crows" 1970

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire