Malheureusement, l'ogre du show-business n'avait pas le don d'ubiquité, et il ne put jamais vraiment s'occuper d'eux comme il l'aurait souhaité. Du coup, ce fut un cadeau empoisonné dans le sens où la troupe dut compter avant tout sur elle-même.
L'astre central de Stone the Crows se nomme Maggie Bell. Une jeune Écossaise (née à Glasgow le 12 janvier 1945) qui débuta une carrière de chanteuse à 17 ans. D'abord en se contentant de reprendre des chansons en vogue dans les clubs de la ville, en gagnant déjà assez rapidement un salaire relativement confortable pour l'époque (mais les cadences étaient parfois éreintantes - jusqu'à cinq heures de prestations journalières sept jours sur sept -), puis, en se tournant vers le Rock, qu'elle découvre au travers des groupes jouant avant ou après son set.
Lors d'un long séjour en Allemagne où les groupes Anglais pouvaient profiter d'une demande des bases américaines, en plus de villes comme Hambourg où l'activité nocturne soutenue était un vivier pour les groupes de tous horizons, Alex Harvey (futur chanteur du Sensational Alex Harvey Band) lui présente son jeune frère, Leslie Harvey. Tous deux se lient d'amitié, vont aux concerts découvrir de nouvelles formations, et ne tardent pas à monter la leur, Power.
Par ouïe-dire, ils partent à la rencontre de deux musiciens auréolés d'une bonne réputation : le claviériste John McGinnis et le bassiste-chanteur James Dewar. Tous quatre jouent ensemble et le courant passant, décident de faire quelque chose ensemble. Bien que Power jouit d'une bonne réputation localement, il a peu de chance de conquérir le Royaume-Uni car il s'obstine à interpréter des reprises. Jusqu'au jour où un événement déterminant survient : Leslie Harvey est appelé à la rescousse par le groupe Cartoone (1) qui a besoin dans l'urgence de pourvoir le poste de guitariste laissé vacant par une démission impromptue, afin de respecter l'engagement d'une tournée américaine (certainement celle en première partie de Led Zeppelin). Leslie accepte de les dépanner. Cette tournée inopinée est une expérience enrichissante et révélatrice pour Leslie qui découvre aux USA des formations novatrices telles que l'Allman Brothers Band avec qui il a l'occasion de jammer. Il rentre en Albion transformé. Tant au niveau look (veste à franges et chevelure abondante), que son jeu (il revient avec une nouvelle guitare : une Fender Stratocaster) et dans sa vision des choses. Notamment, celle - primordiale - de créer et d'interpréter sa propre musique.
Il n'a aucun mal à convaincre et à entraîner la bande à sa suite.
Transformé, Power commence à se constituer un répertoire plus personnel, évidemment encore ponctué de quelques reprises, et franchit le mur d'Hadrien pour conquérir l'Angleterre. La troupe s'installe à Londres et fait la connaissance de Colin Allen, un batteur de Jazz reconverti dans le Blues, jouant occasionnellement depuis quelques années pour John Mayall, et le recrute
Arrive le soir, à la fin de l'année 69, où Peter Grant découvre le groupe, lui donne rendez-vous pour une séance studio et se propose comme manager, avec l'aide de Mark London. Sans plus de cérémonie, la troupe qui, séduite par l'expression de Grant, s'est rebaptisée Stone the Crows, se retrouve aux studios Adivision de la City (centre de Londres) - alors probablement le studio le mieux équipé de la ville - sous la direction de Mark London. Et un premier disque sort pour le nouvel an, le 1er janvier 1970.
L'entrée en matière est magique. Calme, douce, sobre et néanmoins intense. On a rarement fait aussi cool pour entamer un disque de Rock ou de Blues-rock. D'habitude c'est plutôt le contraire : la pièce forte et entraînante en ouverture pour harponner l'auditeur. Ici, rien d'autre que quelques phrases bleues d'orgue nimbées d'un soupçon de réverbération, avant que ne se pose la voix de James Dewar. A la fois veloutée, rugueuse et satinée. Superbe timbre de Souful bluesy et viril. On pense écouter là un des meilleurs chanteurs blancs de Blues de la décennie. Pourtant, il est supplanté par Maggie Bell qui prend le second couplet. Paradoxalement, c'est la branche féminine qui est plus éraillée, écorchée même. De quoi croire que le "The Crow" lui est personnellement destiné. Généralement comparé à Janis Joplin, elle est néanmoins plus minérale, plus rocailleuse mais moins enfumée. Peut-être même plus typée "Rock", voire Heavy, tant son timbre évoque le raclement du gravier. Une Rock et rauque. Elle serait parfois plus proche de son compatriote Rod Stewart.
A l'inverse des groupes comportant un duo homme-femme, c'est James Dewar qui apporte un peu de douceur.
Rares étaient - et sont - les groupes à posséder deux chanteurs rivalisant de talent (les boys band de tous bords et montés de toutes pièces sont hors concours). On peut mentionner à brûle pourpoint Humble Pie, Spooky Tooth et Deep-Purple mark III.
Cependant, c'est Maggie qui accapare naturellement la majorité du chant, restant au premier plan, Dewar ayant aussi a gérer sa quatre-cordes.
Sur cette galette, la majorité se porte sur les morceaux calmes, les slow-blues et autres Heavy-souful. C'est dans cette configuration, dans un relatif dépouillement, que les voix captivantes de Maggie et James s'épanouissent, donnant toute la mesure de leurs indéniables qualités. Ainsi dans le lot - assez restreint puisqu'il n'y a que cinq pièces - après "The Touch of Your Loving Hand", c'est avec un titre de Josh White, "Blind Man", que la troupe continue dans la veine slow-blues. A l'origine titré "The Blind Mand Stood on the Road and Cried" et pourvu d'un air vaguement Vaudeville (dû à l'atmosphère de Paris, car enregistré dans la capitale), ici la version appuie la couleur rurale. Leslie s'offre une longue plage d'introduction d'une guitare acoustique souveraine et nerveuse (à la sonorité comparable à la Gibson J200), qui semble être tombée dans l'oreille curieuse et attentive d'un Jimmy Page. La prestation de Maggie est habitée, vivant le Blues. La voix enrouée et généreuse - pratiquement a capella - est éblouissante.
"The Fool on the Hill" fait le lien avec le précédent country blues en commençant sur un rythme de slow-blues. Mais dès le deuxième mouvement le morceau progresse, presque imperceptiblement, vers une forme de Soulful-rock porté par un piano libre, s'exprimant à travers des phrases enjouées en se reposant sur une nappe d'orgue en toile de fond. La guitare improvise tranquillement à son gré quelques soli dans le ton. Le Grease Band n'est pas loin. Il s'agit bien de la chanson des Beatles, choisie expressément par Maggie pour la beauté du texte et non pour la musique qui a été transformée, adaptée au style et à l'âpreté de Stone the Crows.
Seule pièce foncièrement Rock, proto-Hard-rock même, "Raining in Your Heart" sur lequel l'ombre de Deep-Purple semble peser, avec notamment un solo d'orgue hérité de Jon Lord. Accessoirement, on peut relever quelques lieux communs avec les morceaux enlevés de Robin Trower que Dewar allait rejoindre.
"I Saw America", qui est le fruit du premier voyage que la troupe a effectué outre-Atlantique et des sensations qu'elle en a retirées au fil de leurs pérégrinations qui débutent par la côte Est, précisément par les états affiliés au Deep-South, pour finir en Californie. Diverses étapes représentées par différents chapitres allant du Blues au Rock-psychédélique. Une pièce de prime abord difficile d'accès, notamment à cause du premier mouvement qui dénote par son absence totale d'ingrédients bluesy, se singularisant dans un registre folk-rock auréolé de sensations hippies. Le troisième, plus court, est un peu foutraque mais, heureusement, ouvre rapidement une porte laissant à nouveau rentrer le Blues. Alors en l’occurrence, celui d'un British Blues-rock du meilleur cru, intronisé par le chant de Dewar, ici, proche de Peter Green. Et pour ne rien gâché, le suivant est un superbe slow-blues vaguement Jazzy (un soupçon de Ten Years After), où Maggie reprend ses droits. Faisant alors presque le lien entre Billie Holliday et Joplin. Un pur bonheur qui aurait pu être le sujet d'un morceau à part. Hélas, il est interrompu par une pièce totalement psychédélique, déjanté même, froide et robotique, donnant le tournis. Serait-ce l'impression que procure la folie des métropoles, d'une forte urbanisation où l'homme n'est plus qu'un maillon interchangeable d'une longue chaîne de production ? Il n'y a là, rien de savoureux ou de réjouissant. Il y a quelque chose de désincarnée évoquant "Metropolis" et "Les Temps Modernes". Enfin, retour au Blues juste avant un défouloir Heavy-rock en guise de coda.
Il fallait tout de même avoir un sacré culot, ou alors être simplement sûr de son coup, pour oser sortir un premier essai de seulement cinq titres. Toutefois, à cette époque, depuis le crépuscule des "early sixties" soufflait un vent de liberté musicale - en partie générée par le rejet du format Pop limité par un plafond de trois minutes max. -, et apparaissaient de parts et d'autres des disques aventureux où les musiciens n'avaient plus de scrupules à se laisser porter par leur inspiration. Aujourd'hui, on retrouve cette idiome dans le Stoner qui semble ne pas se soucier des retombées pécuniaires éventuelles. Cependant, là encore, de nouveaux murs s'érigent.
(1) Cartoone, groupe écossais de Rock-psychédélique et de Pop, le premier issu du Royaume-Uni a être signé par Atlantic. Un premier album enregistré en 1969, sur lequel on retrouve la participation de Jimmy Page, et produit par Mark London. Sur le second, enregistré la même année, c'est Leslie Harvey qui donne un coup de main, mais le disque ne sort pas. Il ne voit le jour que quarante ans plus tard, en 2009.
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Il fallait tout de même avoir un sacré culot, ou alors être simplement sûr de son coup, pour oser sortir un premier essai de seulement cinq titres. Toutefois, à cette époque, depuis le crépuscule des "early sixties" soufflait un vent de liberté musicale - en partie générée par le rejet du format Pop limité par un plafond de trois minutes max. -, et apparaissaient de parts et d'autres des disques aventureux où les musiciens n'avaient plus de scrupules à se laisser porter par leur inspiration. Aujourd'hui, on retrouve cette idiome dans le Stoner qui semble ne pas se soucier des retombées pécuniaires éventuelles. Cependant, là encore, de nouveaux murs s'érigent.
Side one | |||
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No. | Titres | ||
1. | "The Touch of Your Loving Hand" | Jimmy Dewar, Les Harvey | 6:03 |
2. | "Raining in Your Heart" | Jimmy Dewar, Les Harvey | 5:08 |
3. | "Blind Man" | Josh White Jr | 5:11 |
4. | "The Fool on the Hill" | J. Lennon, P. McCartney | 4:09 |
Side two | |||
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No. | Titres | ||
1. | "I Saw America" | Daevid Allen, Colin Allen, Harvey, Mark London | 17:20 |
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