On a déjà évoqué la carrière de John Sturges avec UN HOMME EST PASSE, certainement son meilleur film – clic ici – mais ce producteur réalisateur a d’autres faits d’armes à son palmarès, des grands classiques du dimanche après-midi* comme LE DERNIER TRAIN POUR GUN HILL (1958), LES SEPT MERCENAIRES (1960) – clic pour l'article de Claude – LA GRANDE ÉVASION (1963), et bien sûr RÈGLEMENT DE COMPTE A OK CORRAL (1957) dont le film qui nous occupe aujourd’hui est la suite.
Enfin presque… Un peu à la manière d’un Howard Hawks qui s’est remaké lui-même avec RIO BRAVO (1959) puis EL DORADO (1966), Sturges propose une suite/relecture, qui commence là où finissait le précédent, la fusillade du 26 octobre 1881 à Tombstone, au Old Kindersley Corral (d’où le OK Corral). Bien que l’épisode soit réel, il y a encore quelques zones ombres sur ce qui s’est historiquement passé. La fusillade a-t-elle vraiment eu lieu dans un corral ou trois rues plus loin ? A-t-elle duré 10 minutes ou 10 secondes ?
Comme on l’entend dire dans L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALENCE de John Ford, « quand la légende est plus belle que l’histoire, on imprime la légende ». Et justement, ça tombe bien, puisque Ford a aussi filmé ce haut fait du far-west dans LA POURSUITE INFERNALE (1946) avec Henry Fonda dans le rôle du marshal et Victor Mature dans celui du doc alcoolo. Ford racontait qu’au début de sa carrière, au temps du muet, Wyatt Earp (décédé en 1929) venait sur ses tournages lui raconter ses souvenirs, notamment sur ce jour d’octobre 1881. Pourtant, si beau soit-il, et il l’est croyez-moi, le film de Ford n'est pas un modèle d'authenticité.
L’affaire a été montrée aussi dans WYATT EARP (Lawrence Kasdan,1994) ou TOMBSTONE (George Pan Cosmatos, 1993) avec respectivement Kevin Costner et Kurt Russell.
10 ans après son grand succès, John Sturges reprend ses personnages où il les avait laissés. Le film commence avec les frères Earp et Doc Holiday descendant la rue centrale de Tombstone, alignés, la contre plongée leur confère puissance et autorité, comme la musique de Jerry Goldsmith. Le contre champ montre d’un côté l'ennemi juré Ike Clanton et ses sbires, qui se délectent comme des hyènes salivant sur une future charogne. Et de l’autre, au fur et à mesure que la caméra avance, on découvre trois types armés dans le corral, orné de la pancarte "OK". Sturges plante le décor, l’action, on est tout de suite dans son élément.
Les flingues commencent à tirer, Virgil et Morgan Earp sont blessés et deux malfrats abattus. Contrairement au film de 1957, dont la fusillade était le clou du spectacle, elle est ici très courte, brute. A l'issue de laquelle Wyatt Earp est assigné au tribunal par Ike Clanton (fabuleux Robert Ryan), motif : meurtre sur ses employés ! Le marshal est relaxé, mais Clanton n’en a pas fini avec lui, qui lui envoie d’autres tueurs. Lorsque Virgil sera abattu en pleine nuit, le procès tournera court, le seul témoin refusant de parler par peur de représailles.
Le film traite de la loi, de la justice, on y voit des procédures, ce qui n'est pas courant. Constat amer du réalisateur : si on règle ses différents devant un juge, au début, le naturel revient au galop, et la poudre finit par parler, à la place des avocats. Wyatt Earp est US marshal, il représente l’État (au contraire d’un shérif élu par une municipalité) il croit en la loi, il est payé pour la faire respecter. Mais comme son ami Doc Holiday dira plus tard, sous l’étoile portée au revers de sa veste, se cache un type violent, enclin à la vengeance. Earp ne se contente pas d'une balle, mais vide son barillet sur ses ennemis, froidement. C'est de la haine qu'on lit dans ses yeux. Earp mettra du temps à l’admettre, dans la scène de la clinique où Holiday soigne son alcoolisme.
Doc Holiday (Jason Robards) était dentiste, mais aussi joueur de poker. Alcoolique invétéré et redoutable tireur. Dans une scène, on le voit entrer dans un bar tranquillement pour parler à un gars, mais tout le monde sursaute et se planque de peur ! Le type qu’il interpelle est déjà persuadé qu’il va mourir, alors qu'on lui offre de devenir suppléant. Dans une autre scène, contrarié que Earp n’ait pas refait le stock de whisky, Holiday, complètement ivre, part en ville acheter une bouteille. Il y surprendra Curly Bill Brocius, soupçonné d’avoir abattu un des frères Earp.
Brocius (joué par le jeune Jon Voight) plaide sa cause : « Laisses-moi une chance, je suis saoul » à quoi le Doc répond « Moi aussi… ». Il tient son flingue dans une main, sa bouteille de whisky dans l'autre. La séquence est fameuse. Sturges s’y entend pour trousser des scènes d’actions brutes, sèches. A l’image de la photographie du film réalisée par le grand directeur photo Lucien Ballard, qui donne un rendu réaliste, brut, sombre, à l’opposé de la flamboyance des héros incarnés 10 ans plus tôt par Burt Lancaster et Kirk Douglas.
Les relations entre Wyatt Earp et Doc Holiday sont au cœur du film. Ils sont amis, chacun essaie de protéger l’autre, leurs échanges sont souvent touchants. Earp prend soin de la santé de Doc, l’envoie en cure (où il bibine tout de même avec son infirmier !) le dissuade de l'aider dans sa traque du clan Clanton. Holiday, qui a parfaitement compris ce que manigance Earp, le rejoint tout de même (jolie scène dans le train) et ira recruter des hommes pour lui venir en aide. Ces hommes acceptent pour la prime, 20 000 dollars à se partager pour les trois hommes à appréhender. Prime qui fond au soleil au fur et à mesure que Earp les abat un par un...
Autre scène formidable, à la gare de Tucson, où Wyatt Earp débarque avec femme et enfants pour les mettre à l’abri. Las ! La gare pullule de tueurs, et Earp est hors de sa juridiction. Le personnage est écartelé entre sa fonction de marshal et sa vendetta personnelle. C’est un des thèmes récurrents du western, qui se situe à une époque où les états se construisent sur des lois, des principes de communauté, où l’ouest sauvage des pionniers fait place à la civilisation et aux politiques.
C'est pourquoi, lorsque Earp et Holiday poursuivent leurs adversaires jusqu'au Mexique, ils sont accompagnés de la police locale. On respecte les règles. Mais une fois face à Ike Clanton, Earp jettera son étoile de marshal dans la poussière, pour lui signifier qu’il vient régler une affaire personnelle. L'’arrestation du shérif corrompu Steve Spence est aussi ambiguë. Earp voit que l’autre a un fusil à portée de main, lui tourne délibérément le dos, attendant un geste imprudent pour répliquer et l'abattre. Quand il raconte à Doc Holiday « j’ai retrouvé Spence, il est mort » l’autre ne se fait aucune illusion sur ce qu’il s’est réellement passé.
Si le titre français surfe sur la vague des westerns italiens qui déferlaient sur les écrans à l’époque, comme l'affiche calquée sur un Terrence Hill & Bud Spencer, SEPT SECONDES EN ENFER (HOUR OF THE GUN en anglais) est une très bonne surprise. Le casting est royal : James Garner minimaliste, regard sombre, Jason Robards toujours très touchant et goguenard, Robert Ryan toujours grandiose en salopard (on ne le voit pas assez, hélas), et puis une ribambelle de secondes gâchettes, des visages vus cent fois, on a l’impression d’être en famille.
John Sturges a eu une fin de carrière inégale. SUR LA PISTE DE LA GRANDE CARAVANE (1965) est une tentative de western comique qui laisse pantois, mais JOE KIDD (1972) relevait le niveau. Ici, il tient parfaitement son récit resserré à 1h40, exploite magnifiquement son décor, le cadre est toujours juste, découpage au cordeau. Un film qui arrive à se faire une place entre le néo-western à la Peckinpah, l’avatar italien, et le classicisme des années 50. Du bel ouvrage.
* Pour nos lecteurs post-natifs des années gaulliennes ou giscardiennes (je n'irai pas jusqu'à René Coty) je cause des films diffusés sur la première chaîne de télévision le dimanche, qui faisaient la part belle aux classiques du western.
couleur - 1h40 - scope 1:2.35
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire