Et bien alors ? Mais qui voilà ? On le croyait pourtant rangé des voitures. En pré-retraite depuis belle lurette, se contentant d'un p'tit concert de temps à temps. Tranquillou, détendu, assis, comme si c'était à la maison. Voilà t'y pas Larry McCray qui débarque comme ça, sans prévenir, avec un nouvel opus sous le bras. Vingt après son essai éponyme, également le dernier. Mais qu'est-ce qui a bien pu le motiver pour le faire sortir de son trou ?
La réponse est simple, elle se nomme Joe Bonamassa. Celui là, non content de sortir à la pelle des disques de qualité (même les moins bons, ceux qu'on ne sort plus, poussés dans l'ombre par l'éclat des plus brillants, gardent en leur sein quelques beautés mettant en émoi les mélomanes et jalousées par les autres musiciens), d'arpenter incessamment les scènes du monde, a visiblement décidé de promouvoir ses pairs. De mettre à leur service, peu ou prou, sa logistique, son carnet d'adresse et sa propre personne pour les aider à se remettre en selle, pour que les projecteurs soient à nouveau braqués sur eux. Bref, de leur rendre justice. On remarquera d'ailleurs combien cet homme sait se mettre en retrait lorsqu'il joue avec les artistes qu'il accompagne. Mettant alors de côté son ego, adaptant son jeu et travaillant pour mettre en valeur son hôte. Rayonnant du simple et juste plaisir de jouer avec eux, de communier dans la musique. Comme si, malgré l'abondante discographie, les années d'expérience professionnelle, la multitude des concerts et une notoriété internationale acquise, Bonamassa restait un homme simple, un fan.
Larry McCray, c'est ce grand gaillard qui, avec une poignée d'albums s'étalant sur un peu plus de dix ans, s'était sans forcer installé dans le peloton de tête des meilleurs bluesmen américains. Loin d'un certain puritanisme, il n'a jamais composé avec des œillères, le regard porté uniquement sur le passé. Ainsi, dès son premier album, il développe un Blues dans son temps. Relativement avant-gardiste dans le sens où il est l'un des premiers de la nouvelle vague des années 90 à avoir réussi une osmose quasi parfaite entre le Blues et la Soul avec un Rock solide hérité des années 70. Peu ou prou dans la même mouvance que va générer le talentueux Lucky Peterson à partir de son troisième opus correspondant avec la fructueuse signature chez Verve/Gitanes. McCray était alors un peu comme le fils spirituel de Freddy King, qui aurait repris les chemins creusés par ce dernier, et en faisant directement un bond en avant jusqu'aux années 90. Malheureusement, en dépit d'un départ plus qu'encourageant, assez bien supporté par la maison Point Blank, dont il est le premier artiste signé (pratiquement tout ce qu'a distribué cette filiale de Virgin dans les 90's est plus que recommandable), la carrière de ce grand gaillard aux larges épaules devint rapidement chaotique, avec des disques au compte goutte et une pause prolongée pour être présent auprès d'un jeune fils. Et puis vint une longue bataille contre le cancer.
Malgré tout, ce dernier album inespéré est plutôt lumineux. Au contraire de la photo de présentation qui pourrait laisser croire à un Blues sombre et rude, un brin renfrogné et austère. Il s'agit bien d'un Blues assez réjouissant mais qui porte tout de même les stigmates d'un parcours incertain, aux allures de combat perpétuel. L'éreintant travail à la ferme de son enfance dans les années 60, lui a forgé le caractère, et lui a inculqué une certaine philosophie de vie, sachant se créer du contentement même dans les tâches les plus dures et apprécier à sa juste valeur la vie telle qu'elle vient. C'est ce qui lui a permis de franchir un long parcours semé d'embûches, frôlant même la case prison (un documentaire relatant son cheminement tumultueux serait en cours de réalisation). De ne pas tomber dans la déprime face à l'injustice d'une notoriété qui n'est pas à la mesure de son talent, quand tant d'autres profitent de largesses et de campagnes promotionnelles en faisant la marionnette en playback sur scène, ou en massacrant sans vergogne le Blues sous prétexte qu'ils sont créatifs. Aujourd'hui encore, il estime qu'il n'a pas à se plaindre sachant que les illustres BB King et Albert Collins ont dû s'échiner toute leur carrière pour y arriver. Sachant que le Blues est une voie difficile, abrupte, voire insurmontable, pour atteindre les sommets. Il a tout de même reçu diverses récompenses honorifiques.
Bonamassa clame haut et fort qu'il est une légende, et ce depuis les années 90. Qu'il est aussi le dernier des grands shouters de Blues. (coup de pub ?). Il est vrai que sa chaude voix de baryton lui permet de monter en puissance sans forcer, d'avoir une présence naturelle ; à l'image des Albert et Freddy King, voire de B.B. Cependant, son humilité naturelle (et reconnue), fait qu'il a été surpris que Bonamassa, suivi par son acolyte Josh White, deux musiciens qu'il a connus très jeunes et qu'il apprécie, le sollicitent pour le faire monter sur les planches, avant de le faire enregistrer un disque et le remettre sur le circuit. C'est certain, Larry McCray n'a rien des frimeurs qui pullulent dans le show buziness.
Ainsi, du haut de ses 62 balais, il s'estime heureux de pouvoir repartir sur ce qu'il espère être une nouvelle carrière, un nouveau départ sur lequel il fonde de nouveaux espoirs. C'est pourquoi ce "Blues Without You" est son album le plus personnel à ce jour, avec en l'occurrence des morceaux comme "Arkansas", qui ouvre le chapitre, retour sur cette enfance difficile mais heureuse, avant qu'il ne parte pour le Michigan (où il réside toujours). Ainsi que la chanson éponyme en hommage à son manager, Paul Coch, décédé l'année dernière dans un accident de voiture. Un partenariat de plus de trente ans, ça laisse des traces, même s'il y eut quelques heurts, quelques erreurs qui ont tout de même grevé la carrière de Larry. Une belle pièce de Soul bluesy rappelant les meilleurs moments commerciaux et chromés de BB King. Un moment fort, où le chant vibre sous l'émotion.
Dorénavant, le Blues de McCray est moins énergique, moins puissant et rock, mais non moins intense. De par l'omniprésence de tempi modérés et lents, avec sa voix de baryton et sa guitare désormais plus mesurée, l'album déploie parfois une palette de couleurs propres à feu-Albert King. Cela rejaillit particulièrement à partir de "Good Die Young", avec sa section de cuivres ravivant le souvenir des studios Stax. "Ils disent qu'il est bon de mourir jeune. Dis-moi, pourquoi suis-je toujours là ? Bien, je ne suis pas vieux, mais loin de la jeunesse". Tandis que le slow-blues "Roadhouse Blues" - celui d'Albert, of course, par des Doors - confirme l'affiliation avec une guitare (au timbre typique de Gibson) qui fait un cours magistral sur l'art et la manière de jouer et sonner comme le "Velvet Bulldozer" gaucher. Addictif aux Gibson, en particulier aux Les Paul, ES-335 et Flying V, on ne sait pas trop ce que Larry a utilisé pour l'enregistrement de cet album, car il a allégrement pioché dans l'incroyable caverne d'Ali-Baba de Bonamassa. Il estime d'ailleurs avoir profité de guitares bien meilleures que les siennes. Joe a publié une photo de Larry avec une de ses vieilles Stratocaster ; une blonde.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Même si l'ombre du grand Albert semble planer sur une bonne part de l'album, il ne s'agit nullement d'une présence encombrante qui marquerait au fer rouge chaque morceau. D'ailleurs, l'entame, "Arkansas", ramène aux premières galettes de McCray, voire à Lucky Peterson. (pour mémoire, tous deux avaient joué ensemble, se renvoyant la balle sur un de leurs disques). Le juteux "Breaking News", lui, a tout les attributs pour faire la bande-son d'un remake d'un long-métrage de la blaxploitation, avec sa mixture d'arrangements évoquant les premiers Barry White et une pêche digne d'un B.B. King fringant et autoritaire. Un titre traitant des infos en continu, relatant incessamment sans analyse les malheurs du monde et les beaux discours pleins de promesses des politiciens. "Ils me promettent bien des choses, mais rien en ce monde n'est gratuit... Alors dis-moi comment ce serait gratuit pout moi ? ... Seules les taxes et la mort sont certaines". Et "Mr. Easy", avec Joe Bonamassa, s'inspire nettement du style d'Albert Collins - ce serait même un franc hommage puisque Joe imite le style percussif du défunt diable texan. Larry tape même dans le classique avec un vigoureux Chicago-blues avec "Drinkin' Liquor and Chasin' Women" où Joanna Connor vient faire miauler sa guitare à coups de slide.
Et puis cette belle chanson, composée avec sa compagne Peggy Smith (qui en co-signe trois autres), "Down to the Bottom", qui résonne comme une road-song, ou une chaude ballade de Southern-rock parfumée de Soul. Warren Haynes n'a pas manqué ce rendez-vous et est venu apporter son concours à son vieil ami.
Le morceau de clôture est une première pour Larry, car c'est la première qui enregistre en acoustique. Après onze pièces assez solidement orchestrées, avec le renfort des claviers de Reese Wymans et une bonne section de cuivres parfois soutenue par une paire de violons, "I Play the Blues" paraît bien aride. mais cela donne aussi de la force au message de McCray qui clame que quoi qu'on dise, qu'il en a déjà fait assez, qu'il a fait sa part, il jouera le Blues jusqu'au jour de sa mort. Epreuve sans filet, où seul avec une acoustique, il confirme, si besoin était, qu'il est bien un grand chanteur de Blues.
La presse musicale spécialisée (y compris Guitar World) a dans son ensemble fait preuve d'enthousiasme envers ce "Blues Without You", le considérant généralement comme son meilleur à ce jour. Larry a travaillé pour que sa musique soit l'héritage du fabuleux patrimoine cumulé des Albert, King, B.B. King, Albert Collins et Freddy King ; il se peut qu'il y soit parvenu. Quoi qu'il en soit, avec cet opus sous le bras, Larry McCray a de quoi reprendre le flambeau des trois King.
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tout à fait d'accord avec toi Bruno sur ce disque de Mc Cray . Vraiment bon , je ne possède que deux autres disques du bonhomme ,, un live et "Blues is my business" (le bien nommé!) et ce petit dernier surpasse sa production précédente . Tes remarques sur Bonamassa sont pertinentes , j'en ai un peu marre des critiques sur cet artiste qui surpasse et de loin bien des besogneux du blues-rock même si ses deux derniers disques glissent un peu vers le pop-rock au détriment du blues , mais cela reste hautement jubilatoire! Et puis son travail de producteur est brillant , le disque de son clavier Reese Wymans sorti l'an dernier est une totale réussite .
RépondreSupprimerSalut JP. Si tu ne connais pas son album éponyme de 2007, je te le recommande chaudement.
SupprimerPersonnellement, Bonamassa m'épate. Certes, sa discographie n'est pas exempte de défauts, de quelques faux pas, mais comment ne pourrait-il pas être autrement vu la masse de travail abattu. Entre sa carrière personnelle, Black Country Communion, la parenthèse Rock Candy Funk Party, ses diverses collaborations (dont Beth Hart), et ses concerts à thèmes, je me demande bien comment il parvient à être encore productif, en plus de faire figure d'encyclopédie en matière de guitare Blues/Blues-rock/Hard 70's (et même de matos). Un véritable phénomène.
En ce sens, il me rappelle Warren Haynes.
Pas vu cet album de Reese Wymans ! j'vais y prêter une esgourde 😊
SupprimerLe Reese Wynans est sorti en 2019 "Sweet Realease" avec pléthore d'invités Kenny Wayne Shepherd , Warren Haynes, Bonamassa ......Wynans a choisi les titres qui l'on marqué au cours de sa longue carrière (50 ans) . Une des meilleures sorties à mon goût de 2019 .
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