mercredi 27 février 2019
The MARSHALS "Les Bruyères Session" (mars 2019), by Bruno
Le vaillant petit groupe de l'Allier poursuit contre vents et marées son chemin. Et rien ne semble pouvoir le faire dévier de la trajectoire qu'il s'est tracé. Celle d'un Rock-bluesy sans concession, brut, terreux et près de l'os.
The MARSHALS, c'est un rock minéral, granitique, rugueux comme la couenne et le crin d'un sanglier. Un Rock efflanqué qui semblerait être la plainte d'un prolétariat écrasé sous la semelle des démons géniteurs du consumérisme. Un prolétariat désabusé, résigné, sans espoir d'avenir meilleur. Se sentant comme broyé par un système asservissant.
Ainsi, The Marshals est comme un cri. Un cri poussé par un rescapé de la noyade revenant à la surface au moment où il croyait ses derniers instants arrivés. D'une certaine manière, on pourrait l'apparenter à celui des Bluesmen lorsqu'ils n'avaient que la musique pour échapper à la tristesse et la rudesse de leur vie. Ou encore celui de la jeunesse fougueuse de la scène Rock de Détroit ère 67-72, voire celle des punks cherchant dans la provocation nihiliste à éviter d'être happés par un système qu'ils jugent trop directif et étouffant (sans pour autant vraiment chercher à le fuir).
The Marshals ne braille pas pour autant tout azimuts pour échapper à l'avilissement. Il semble plutôt rechercher, tel un chaman halluciné, l'auto-hypnose en pratiquant un ensemble vibratoire permettant de se détacher d'un monde qu'il considère obscur et matérialiste.
Voilà presque dix ans que ces Bourbonnais font résonner leurs instruments sous l'égide d'un rock rocailleux copieusement arrosé d'un Blues rural, jalonnant leur parcours temporel d'un album bi-annuel. Ce dernier, enregistré sur le vif, en trois jours - donc au lieu-dit "Les Bruyères", à Bourbon-l'Archambault, haut-lieu historique des seigneurs Bourbonnais -, va droit à l'essentiel. Exercice élémentaire pour figer l'Instant live et séminal. Expression d'un souffle, d'un prana, d'une musique jouée avec les tripes, créant une forme d'épineux heavy-blues vaudou. Pas de tricheries, pas de mensonges. Ce qui n'est pas une surprise puisque depuis ses débuts c'est le credo de Julien Robalo et de Thomas Duchézeau. Et de l'infatigable harmoniciste Laurent Seguret, qui a épousé la cause en 2014 ; intégration bornée par "AYMF Session" (⇦ lien).
Ces lascars sans foi ni loi, ces hérétiques, persistent dans leur refus de s'adjoindre les services d'un bassiste. Ils vont même jusqu'à faire l'offense d'embarquer pour ces dernières sessions un quatrième larron pour jouer, non pas de la quatre-cordes, ce qui aurait été somme toute logique, mais des maracas et des congas. Les canailles. Une formule qui évidemment évoque la formation de Bo Diddley qui a rayonné des années 50 jusqu'aux années 1964-65, avec Jerome Green qui avait - dit-on - apporté la fameuse couleur "jungle".
Dès les premières notes que régurgite la Gretsch G6120T-55 de Julien Robalo, une atmosphère de Swamp-rock au goût de rouille s'installe confortablement. Quelques rares pièces - "On The First Day", "Nothern Blow" - s'en écartent quelque peu, timidement, toutefois sans jamais vraiment s'éloigner du chemin. Ça reste en famille. Ainsi donc, ça garde toujours ce parfum de métal rongé par l'humidité et piquant les narines. De garage perdu au milieu de la campagne, de champs, d'où émanent quelques effluves de vieille huile brûlée. D'une brocante de vieux meubles et d'antiques machines rurales portant encore les traces de terre retournée.
Il y plane une certaine ruralité que le trio semble déjà revendiquer à travers l'iconographie réussie de leur pochette qui a la singularité de tourner le dos aux stéréotypes innondant le genre ; (concernant le Rock autant que le Blues, au sens le plus large). Des pochettes qui sentent bon le terroir ; tout comme leur Rock-blues osseux.
Parfois, la guitare devient quasi-mystique, récitant plus une litanie que jouant un riff. Psalmodiant quelques invocations d'entités d'entre-deux-mondes. C'est particulièrement parlant sur "Same Old Life", le titre d'ouverture, et "Let it shine".
Et encore plus sur "Dark Room", dont l'atmosphère singulière est bien plus en osmose avec des bacchanales de bayous brumeux, de vaudou, que de processions des Saints patrons de l'Auvergne. De là, il n'y a qu'un pas à conclure - ou à fantasmer - que ces loustics jouent dans les cryptes des églises ; anciens lieux de liturgie païenne où la roche reste imprégnée de l'atmosphère sulfureuse d'antiques cultes. D'ailleurs, le chant de Julien est bien des fois entre la psalmodie et l'incantation. Notamment celle du bluesman, le soir, peu avant minuit, au milieu d'un carrefour ...
Sans vraiment s'écarter de cette sphère singulière, le Blues intimiste et introspectif a aussi droit de passage. En l'occurrence, "Northern Blow" frôle le Work-song. On ne sait trop si cette pièce évoque un crépuscule nimbé de larges coups de pinceaux ocre et bleu barbeau et cobalt ou un paysage post-apocalypse.
La troupe conclut ses sessions sur un approprié "Run Through the Jungle", un des nombreux classiques de Creedence Clearwater Revival. Cependant, fidèle à son habitude, de la même façon irrévérencieuse que pour les reprises précédentes ("Crosstown Traffic", "Folsom Prison Blues", "Rockin' Daddy"), The Marshals les contamine de ses pognes rugueuses et calleuses, leur injectant une rusticité propre. De la sorte, leurs reprises épousent la personnalité du trio et fusionnent alors naturellement avec son répertoire.
C'est d'autant plus vrai que la composition de Fogerty est méconnaissable. Débutant sur un chant quasi a capella bien plus proche de "Voodoo Child" que du chant original, elle enchaîne lentement sur un Boogie en mid-tempo directement sorti du British-blues (entre les débuts de Savoy Brown et de Ten Years After avec une pincée des Rolling Stones d'"Exile on Main Street"). Ils auraient changé le titre et auraient apposé leur signature que l'on y aurait vu que du feu. Bien joué.
Sortie imminente prévue le vendredi 1er mars 2019.
🎶☽✨
Autre article / The MARSHALS : "AYMF Session" (2014)
Labels:
Blues Rock,
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