vendredi 6 octobre 2017

SHARKO de Franck Thilliez (2017) par Luc B.



J’ai laissé tomber Franck Thilliez après LE SYNDROME E (2010), pas mal mais emberlificoté. Sept romans et sept années après, voici le dernier, SHARKO. Du nom du lieutenant Franck Sharko, son enquêteur, et héros récurrent avec Lucie Henebelle, sa femme, et elle-même lieutenant de police. Un pavé par an, tu m’étonnes que le style s’en ressente, c’est de la production à la chaine, faut fournir aux lecteurs, et à l’éditeur…

Pourtant, Franck Thilliez sait construire ses intrigues, et celle-ci ne fait pas exception. Un court prologue choc et inquiétant. A l’océanopolis de Brest, dans le grand aquarium, un plongeur distrait les spectateurs en jouant avec les requins. Puis retire son gant, s’entaille la main au couteau. Le sang se répand. Sans une once de peur dans le regard, le type se fait déchiqueter devant la foule horrifiée.

Retour à Lucie Henebelle, à qui sa tante - veuve de flic à la retraite - demande d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille, cinq mois plus tôt. L’enquête piétine, mais l’oncle de Lucie avait constitué un dossier incriminant un certain Julien Ramirez. Sans rien dire à sa hiérarchie, ni à Franck Sharko, Lucie va fouiner chez Ramirez. La nuit, évidemment. Dans une maison isolée, où elle découvre en sous-sol… des choses. Et patatras. La bavure.

Ce SHARKO reprend le principe du flic qui enquête sur lui-même. Souvenez-vous, au cinéma, de POLICE PYTHON 357 de Corneau, ou ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON d’Elio Petri. C’est efficace quand c’est bien fait, et c’est ici le cas. D’autant qu’il apparait qu’un témoin potentiel était dans la maison ce soir-là. Coup dur pour Franck Sharko.

Et y’a un autre truc qui empêche Sharko de dormir. Son collègue Nicolas Bellanger, qui hors procédure, en électron libre, mène son enquête. Il est doué, il est dangereux, il se pose trop de questions. Il y a trop d’anomalies pour que tout ça soit honnête ! Des histoires d’angle de tir, de douille, d’arme… La première enquête en recoupe une seconde, une troisième. Au cœur du roman, une histoire de sang (et pour gicler, ça gicle !). Franck Thilliez nous plonge dans le milieu des adeptes du vampirisme, de sectes maléfiques, des scarifications, piercing, SM. C’est peu ragoutant, Thilliez est toujours un peu gore, là, il s’en donne à cœur joie. C’est du costaud.

Franck Thilliez aime avoir une caution scientifique en toile de fond. Une base réelle qu’il malaxe ensuite au gré de son imagination. Des maladies, des syndromes, des virus, des trucs qui font peur. Des comportements déviants. Comme ce plongeur du début qui ignore le sentiment de peur, un phénomène étrange, et qui ne serait pas isolé. Comment relier tout cela à l’affaire d’enlèvement, à Ramirez ? C’est là où le bouquin atteint ses limites, comme souvent chez cet auteur, il ne peut pas faire simple. Faut faire sérieux.

Par l’intermédiaire de longs passages dialogués redondants - peu convaincants car personne dans la vie ne s’exprime comme on lirait un Que Sais-je ? - des intervenants nous expliquent par le menu tout ce qui concerne l'hémoglobine, depuis sa structure moléculaire jusqu’au fonctionnement de l’Établissement Français du Sang. Alors oui, c’est la moelle de l’intrigue, mais qu’est-ce que c’est chiant, on lit un roman, par une documentation ou une thèse. Des pages et des pages sur les maladies à prion… Prions pour que ça cesse !    

La prose de Thilliez est assez lourdingue. Il use et abuse d’expressions toutes faites, balancées trois fois par page. Combien de fois le flic a « le sang qui se glace », reçoit « un coup de poing dans l’estomac » en apprenant un truc, ou « le cœur qui bondit dans sa poitrine » à chaque coup de sonnette. Thilliez, c’est comme ses gros effets musicaux dans les bandes annonce des blockbusters américains. J'vous en remets une couche, c'est compris dans le prix. Et puis ses épilogues, forcément de nuit, sous la pluie, un orage c’est encore mieux, avec beaucoup de vent...

Dommage que cet auteur ne prenne pas le temps de se relire, ou d’être relu, pour alléger l’embarcation, resserrer les boulons, modifier son logiciel d’écriture. Car la progression de l'enquête, jusqu’aux trois quarts, est vraiment prenante.

Éditions Fleuve Noir - 570 pages 

3 commentaires:

  1. Je l'avais lu en service de presse juste avant qu'il sorte pour le chroniquer sur un blog… et en fait, pour que ça passe, il faut le lire vite. J'admets volontiers que la "caution scientifique" prend trop de place, d'autant que c'est carrément redondant chez cet auteur : le sang, les maladies qui impactent le cerveau, l'ADN… c'est revu et archi revu. Ce titre-la a l'avantage de raconter l'enquête parallèle de Sharko pour protéger sa femme et toutes les histoires de Nicolas, ce très bon personnage de fic brisé, cocaïnomane et en pleine fuite en avant…

    Le style vaut ce qu'il vaut, c'est vrai qu'il a des défauts mais après tout, ça se laisse lire. Cela dit, pour moi, Thilliez, c'est un peu comme Grangé : ils appliquent à la lettre le principe des vieux pots et de la meilleure soupe… mais faut qu'ils fassent gaffe : un jour, la soupe n'aura plus de goût ou pire, elle sera indigeste.

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  2. J'ai lu aussi le bouquin cet été. Il y a pas mal de rebondissements, mais c'est un peu longuet. J'aime assez les renvois aux sciences cognitives ou neurologiques en général, mais comme le dit Lilou, c'est un peu toujours la même chose. Ô et puis toujours les pires perversités de notre monde un peu fou, on sent la complaisance.
    Enfin sous le cerisier en Savoie, ça le fait, mais oui, si on ne lit pas ce pavé à vive allure, on s'y perd un peu...

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  3. Bonjour Lilou !

    Je vois que nous sommes tous d'accord ! L'enquête de Sharko pour protéger Lucie est ce qu'il y a de plus passionnant, et de plus maitrisé. Le reste, comme d'hab, c'est du remplissage pseudo scientifico... histoire de faire sérieux, et montrer qu'on a bossé son sujet.

    Je préfèrerais qu'il bosse son style ! Oui, ça se lit bien, et vite, mais c'est pénible à force, bien écrit, ça se lirait mieux !

    Pas lu Grangé. Pas envie. Je crains qu'on ne retombe dans les mêmes travers.

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