- Bonjour M'sieur Claude… Waouh ça pianote ce matin sur la chaîne… Voyons
? Ah oui le concerto de Grieg, une œuvre du grand répertoire je crois
?
- Oui Sonia, souvent au programme des concerts des virtuoses. Et de plus
le pianiste Leif Ove Andsnes est à son affaire puisque norvégien comme le
compositeur…
- Heuu, c'est un nouvel artiste dans le blog ? Je ne le connais pas.
Pourquoi ce choix dans une discographie surement pléthorique…
- D'abord parce que ce disque est excellent et il y a un bon moment que
je voulais parler de ce pianiste de grand talent, souverain dans
Rachmaninov entre autres…
- Maris Jansons est déjà très présent dans vos papiers et en prime la
Philharmonie de Berlin ! Vous mettez les petits plats dans les grands dans
votre chronique…
- Hi hi, c'est un peu vrai… le couplage Grieg/Schumann est assez banal
mais cette interprétation est vraiment touchante…
Grieg Jeune |
Quand Sonia parle de discographie pléthorique pour ce
concerto, elle a raison et le mot est faible. Quel pianiste virtuose n'a pas
interprété en concert ou confié au disque cette œuvre majeure de
Grieg
? Les disques dus aux grands pianistes disparus sont légions, mais j'ai
préféré vous proposer l'écoute de cette version récente de
2003. Cela dit le pianiste
Leif Ove Andsnes
l'a enregistré plusieurs fois tant pour le CD qu'en live pour les DVD… Cette
édition est toujours disponible.
Grieg
n'a peut-être pas la reconnaissance qu'il mérite, étant surtout connu pour
ce
concerto
et pour la
musique de Scène Peer Gynt, sujet d'une chronique de
2012 dans laquelle j'avais
brossé un portrait du compositeur né à Bergen en
1843 et mort dans la même
ville, assez jeune, en
1907
(Clic). Si
Grieg
appartient à l'époque romantique, il a su éviter l'écueil du dogmatisme et
sa musique reste attachante par les libertés qu'il prend dans ses
compositions par rapport aux formes imposées de l'époque.
Bien qu'ayant étudié au conservatoire de Bergen,
Grieg
partira se perfectionner dès quinze ans au conservatoire de Leipzig. Il
devient un brillant pianiste malgré ses petites mains. Par ailleurs il
entend le concerto de
Schumann
en 1858 sous les doigts de
Clara
Schumann
et cette expérience va le marquer durablement. Son propre concerto porte
l'influence de cette révélation et c'est sans doute pour cette raison que
l'on trouve fréquemment les deux concertos réunis dans un même
programme…
Grieg
va composer son
concerto
à 25 ans, on peut considérer que c'est une œuvre de jeunesse. La composition
verra le jour non pas en Norvège mais au Danemark, dans la petite ville de
Søllerød. Le compositeur
séjourne souvent dans ce pays pour s'évader du climat frisquet et pluvieux
de Bergen (je confirme). N'oublions pas que l'homme est de santé fragile.
Nous sommes en 1868. En
1867, il a épousé
Nina Hagerup, une cantatrice. L'année de l'écriture du concerto naît une petite fille,
Alexandra, qui hélas meurt en
1869. Le couple n'aura pas
d'autre enfant.
Le
concerto
se révèle une œuvre de bonheur avant ce terrible drame.
Grieg
parcourt la campagne danoise et comme
Dvorak
ou
Bartók, il s'imprègne d'airs populaires scandinaves. Il fait de même dans son
pays natal.
À l'évidence, ce concerto traduit l'amour du musicien pour son épouse et sa
fillette. Romantique oui, mais romanesque ? Cet ouvrage est plein de vie, de
spontanéité, d'enthousiasme et de poésie. Nous sommes aux antipodes des
interrogations psychologiques de ses contemporains
Bruckner ou
Brahms…
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Leif Ove Andsnes |
Dans la myriade de gravures, j'ai retenu celle de
Leif Ove Andsnes. Pas spécialement du fait que ce grand pianiste est norvégien, mais parce
que d'une part je n'ai encore jamais parlé de lui dans le blog, et d'autre
part ce disque fait partie du top de la discographie. En outre, il est
accompagné par la
Philharmonie de Berlin dirigée par un chef de grand talent souvent cité dans mes chroniques :
Marris Jansons.
Né en 1970 dans la patrie de
Grieg,
Leif Ove Andsnes
a démarré très tôt une carrière internationale de concertiste après ses
études à Bergen et en Belgique. Dès 22 ans, il fait ses débuts à la
Philharmonie de Berlin, orchestre prestigieux s'il en est que l'on retrouve aujourd'hui. Il est
d'ailleurs en résidence auprès de cet orchestre depuis 2010. En une
seule année, il n'assurera pas moins de sept récitals à Carnegie Hall lors
de la saison 2004-2005.
Parallèlement à son activité de virtuose, le pianiste s'investit dans des
festivals, notamment celui de Risør en Norvège pendant près de vingt ans. Il
est également professeur au conservatoire de Copenhague et membre de
l'académie de Musique suédoise.
Le style de
Andsnes
est un synthèse élégante entre respect scrupuleux de la partition et émotion sans emphase. Son répertoire très large s'étend
de l'âge classique de
Haydn
à la musique moderne de
Britten,
Janáček
ou
Bartók, tout en passant par l'âge d'or du piano romantique :
Chopin,
Schumann,
Schubert…
La discographie de cet artiste de premier plan qui commence à être reconnu
au niveau planétaire reflète son talent : des concertos de
Rachmaninov
de références avec
Antonio Pappano, mais aussi le deuxième concerto de
Bartók
avec
Pierre Boulez, spécialiste de renom pour le compositeur hongrois. En récital, il faut
ajouter les dernières grandes sonates de
Schubert.
Pour
Marris Jansons, je vous renvoie à l'article consacré à un DVD où le maestro dirige lors
d'un concert à Tokyo la
Philharmonie de Berlin
et accompagne la jeune
Hilary Hahn.
(Clic)
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L'orchestration est caractéristique du milieu de l'ère romantique, à savoir
celle de
Beethoven
légèrement renforcée par
Schumann
puis
Brahms
:
2 flutes + piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2
trompettes, 3 trombones + tuba, timbales et cordes.
Le
concerto
adopte la forme classique en trois mouvements.
Anton Edvard Kieldrup : Maison de Søllerød (1857) |
Anton Edvard Kieldrup : Fjord norvégien |
2 – Adagio
: [12:46] Le contraste avec le virulent allegro est saisissant lors de
l'écoute des premières mesures de l'adagio. Un adagio relativement bref de
six minutes. Une longue mélopée aux cordes en sourdines s'élance
lascivement, un chant en clair-obscur accompagné plus loin de quelques notes
du basson et du cor que l'on n'entend guère au disque car noyés dans la
masse des cordes. Cela dit, que les cordes de la
philharmonie de Berlin
sont soyeuses (les violoncelles) ! Les vents rejoignent cet enchantement
avec tendresse à la fin de cette introduction. [14:42] Très curieusement, le
piano fait son entrée tardivement, presque à la moitié du mouvement… Un très
beau motif, émouvant et sans pathos. Le piano va imposer un jeu plutôt
allègre dans un développement très vivant en opposition avec la thématique
nostalgique des cordes. Il entraînera l'orchestre à sa suite. Souvenirs
d'une soirée sereine chez les
Grieg
? Le final est enchaîné sans pause.
3 - Allegro moderato molto e marcato
: [18:54] Le final démarre tambour battant. Un fil conducteur énergique
nourrit le piano et l'orchestre dans une lutte épique. On retrouve la force minérale des premières mesures de l'allegro. Si la
construction de l'adagio semblait simple et sans heurt, ici nous entendons
une succession aux couleurs et aux rythmes très opposés. [21:35] Trilles
légères de flûte et de cordes énoncent une romance, une cadence dissimulée
dans l'écrin des cordes, de quelques notes des bois qui éclairent cette
scène aux accents nocturnes. Un andante au milieu de l'allegro final qui
s'élançait de manière féroce. Que l'on ne me dise pas que Grieg avait un
style académique, trois parties distinctes dans un concerto n'est pas chose
courante !! Ce tendre passage se termine dans une intimité rêveuse. Le
touché d'une délicatesse inouïe de
Leif Ove Andsnes
donne des frissons. [24:24] dans l'ultime partie, quelques mesures martiales
de la clarinette et du basson avec en écho des pizzicati des cordes ouvrent
la voie au piano qui reprend le thème initial. Et comme si cette fantaisie ne suffisait pas,
Grieg
[26:58] offre au piano une dernière possibilité de briller à travers une
danse cocasse qui conduit à une coda déclamatoire et pleine de feu.
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Ce concerto possède une discographie bien large. Ce disque touche à la
perfection, il n'est pas le seul. Cela dit 58 minutes pour un CD classique,
comme disent les jeunes : "c'est abusé !". D'autant que le pianiste a
également enregistré un concerto de Liszt qui aurait complété judicieusement le programme.
Liszt
avait proposé à
Grieg
des modifications d'orchestration. Le compositeur les retirera lors de
l'édition définitive, à juste titre sans en dire plus…
Les versions de référence sont souvent anciennes notamment celle de
Dinu Lipatti
et
Alceo Galleria. L'alacrité et la fluidité du discours restent quasi inégalables, mais
hélas le son est vraiment impossible : piano métallique, orchestre
Philharmonia
distordu et criard. Pour les curieux (EMI - 1957 – 5/6).
En 1960, avant de perdre
l'usage de sa main droite,
Leon Fleisher
avait enregistré le même programme accompagné par la baguette athlétique de
George Szell
dirigeant l'orchestre de Cleveland. Une interprétation volcanique, un adagio très onirique, une référence (Mis
– 6/6).
Dernière suggestion, et enfin du beau son, du très beau son. En
1982, au début de l'ère
numérique,
Herbert von Karajan
qui accompagnait déjà
Dinu Lippati
dans un disque de 1948 fait
appel à un jeune prodige qui fera la carrière que l'on connaît :
Kriztian Zimermann. La sensibilité et la virtuosité toujours élégante du pianiste fait
merveille. Les tempi manquent un poil de punch. Bien sûr c'est
Karajan
donc un peu dionysiaque. Et là, avec une bonne oreille, on entend le basson
et le cor dans l'adagio… (DG – 5/6).
En résumé, vous avez le choix…
Pour la petite histoire, ce concerto a été joliment pillé par des artistes
de styles variés. Dans les années 40, le jazzman
Freddy Martin
adapte sur un rythme de fox-trot le thème initial de l'allegro. Ça swingue
et c'est poilant. J'ai ajouté la vidéo qui crachouille un max 😎
! Un clip publicitaire pour Nike a exploité le filon. En
1963, un groupe de rock
instrumental, a priori totalement oublié,
The Frencemen, a tenté une adaptation. Pour l'anecdote, car je n'ai pas trouvé de trace
de la chose…
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Plus jeune, je croyais que c'étais un concerto de Rachmaninov tant l'attaque de l'allegro du premier mouvement à des similitudes avec le vivace du concerto °1 de Rachmaninov. Et comment ne pas sourire en écoutant la version Fox Trot que je verrais bien en musique d'accompagnement d'un vieux dessin animé de Félix le chat !
RépondreSupprimerPour entrer dans une "autre dimension" avec le concerto de Grieg, je te recommande, si tu ne l'as pas déjà, la fabuleuse version Gilels - Jochum/RCO Amsterdam, un live complété par une non moins remarquable version du concerto de Schumann par Arrau - Jochum. J'aime beaucoup aussi la plus récente version Ott - Salonen (DGG, 2016), complétée par des petites pices pour piano du compositeur norvégien -ça change du Schumann...-, voire Anda - Kubelik -couplage classique avec Schumann-.
RépondreSupprimerA contrario, le Fleisher - Szell me semble la production la plus contestable de cet excellent couple d'interprètes en général -Beethoven, Brahms-, d'autant que la prise de son a vraiment mal vieilli et qu'une réédition avec un bon remastering s'imposerait.