samedi 7 octobre 2017

Edward GRIEG – Concerto pour piano – Leif Ove ANDSNES & Mariss JANSONS – par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude… Waouh ça pianote ce matin sur la chaîne… Voyons ? Ah oui le concerto de Grieg, une œuvre du grand répertoire je crois ?
- Oui Sonia, souvent au programme des concerts des virtuoses. Et de plus le pianiste Leif Ove Andsnes est à son affaire puisque norvégien comme le compositeur…
- Heuu, c'est un nouvel artiste dans le blog ? Je ne le connais pas. Pourquoi ce choix dans une discographie surement pléthorique…
- D'abord parce que ce disque est excellent et il y a un bon moment que je voulais parler de ce pianiste de grand talent, souverain dans Rachmaninov entre autres…
- Maris Jansons est déjà très présent dans vos papiers et en prime la Philharmonie de Berlin ! Vous mettez les petits plats dans les grands dans votre chronique…
- Hi hi, c'est un peu vrai… le couplage Grieg/Schumann est assez banal mais cette interprétation est vraiment touchante…

Grieg Jeune
Quand Sonia parle de discographie pléthorique pour ce concerto, elle a raison et le mot est faible. Quel pianiste virtuose n'a pas interprété en concert ou confié au disque cette œuvre majeure de Grieg ? Les disques dus aux grands pianistes disparus sont légions, mais j'ai préféré vous proposer l'écoute de cette version récente de 2003. Cela dit le pianiste Leif Ove Andsnes l'a enregistré plusieurs fois tant pour le CD qu'en live pour les DVD… Cette édition est toujours disponible.
Grieg n'a peut-être pas la reconnaissance qu'il mérite, étant surtout connu pour ce concerto et pour la musique de Scène Peer Gynt, sujet d'une chronique de 2012 dans laquelle j'avais brossé un portrait du compositeur né à Bergen en 1843 et mort dans la même ville, assez jeune, en 1907 (Clic). Si Grieg appartient à l'époque romantique, il a su éviter l'écueil du dogmatisme et sa musique reste attachante par les libertés qu'il prend dans ses compositions par rapport aux formes imposées de l'époque.
Bien qu'ayant étudié au conservatoire de Bergen, Grieg partira se perfectionner dès quinze ans au conservatoire de Leipzig. Il devient un brillant pianiste malgré ses petites mains. Par ailleurs il entend le concerto de Schumann en 1858 sous les doigts de Clara Schumann et cette expérience va le marquer durablement. Son propre concerto porte l'influence de cette révélation et c'est sans doute pour cette raison que l'on trouve fréquemment les deux concertos réunis dans un même programme…
Grieg va composer son concerto à 25 ans, on peut considérer que c'est une œuvre de jeunesse. La composition verra le jour non pas en Norvège mais au Danemark, dans la petite ville de Søllerød. Le compositeur séjourne souvent dans ce pays pour s'évader du climat frisquet et pluvieux de Bergen (je confirme). N'oublions pas que l'homme est de santé fragile. Nous sommes en 1868. En 1867, il a épousé Nina Hagerup, une cantatrice. L'année de l'écriture du concerto naît une petite fille, Alexandra, qui hélas meurt en 1869. Le couple n'aura pas d'autre enfant.
Le concerto se révèle une œuvre de bonheur avant ce terrible drame. Grieg parcourt la campagne danoise et comme Dvorak ou Bartók, il s'imprègne d'airs populaires scandinaves. Il fait de même dans son pays natal.
À l'évidence, ce concerto traduit l'amour du musicien pour son épouse et sa fillette. Romantique oui, mais romanesque ? Cet ouvrage est plein de vie, de spontanéité, d'enthousiasme et de poésie. Nous sommes aux antipodes des interrogations psychologiques de ses contemporains Bruckner ou Brahms
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Leif Ove Andsnes
Dans la myriade de gravures, j'ai retenu celle de Leif Ove Andsnes. Pas spécialement du fait que ce grand pianiste est norvégien, mais parce que d'une part je n'ai encore jamais parlé de lui dans le blog, et d'autre part ce disque fait partie du top de la discographie. En outre, il est accompagné par la Philharmonie de Berlin dirigée par un chef de grand talent souvent cité dans mes chroniques : Marris Jansons.
Né en 1970 dans la patrie de Grieg, Leif Ove Andsnes a démarré très tôt une carrière internationale de concertiste après ses études à Bergen et en Belgique. Dès 22 ans, il fait ses débuts à la Philharmonie de Berlin, orchestre prestigieux s'il en est que l'on retrouve aujourd'hui. Il est d'ailleurs en résidence auprès de cet orchestre depuis 2010. En une seule année, il n'assurera pas moins de sept récitals à Carnegie Hall lors de la saison 2004-2005.
Parallèlement à son activité de virtuose, le pianiste s'investit dans des festivals, notamment celui de Risør en Norvège pendant près de vingt ans. Il est également professeur au conservatoire de Copenhague et membre de l'académie de Musique suédoise.
Le style de Andsnes est un synthèse élégante entre respect scrupuleux de la partition et émotion sans emphase. Son répertoire très large s'étend de l'âge classique de Haydn à la musique moderne de Britten, Janáček ou Bartók, tout en passant par l'âge d'or du piano romantique : Chopin, Schumann, Schubert
La discographie de cet artiste de premier plan qui commence à être reconnu au niveau planétaire reflète son talent : des concertos de Rachmaninov de références avec Antonio Pappano, mais aussi le deuxième concerto de Bartók avec Pierre Boulez, spécialiste de renom pour le compositeur hongrois. En récital, il faut ajouter les dernières grandes sonates de Schubert.
Pour Marris Jansons, je vous renvoie à l'article consacré à un DVD où le maestro dirige lors d'un concert à Tokyo la Philharmonie de Berlin et accompagne la jeune Hilary Hahn. (Clic)
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L'orchestration est caractéristique du milieu de l'ère romantique, à savoir celle de Beethoven légèrement renforcée par Schumann puis Brahms :
2 flutes + piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones + tuba, timbales et cordes.
Le concerto adopte la forme classique en trois mouvements.


Anton Edvard Kieldrup : Maison de Søllerød (1857)



1 - Allegro molto moderato : contrairement à l'usage encore très en vogue à l'époque (malgré les concerto n°4 et n°5 de Beethoven), le concerto ne commence pas directement par une longue ouverture orchestrale. Grieg fait preuve d'originalité et nous surprend ! La première mesure est un roulement de timbales crescendo pp>mf. Le piano fait son entrée fracassante par une série d'accords complexes en arpèges descendants joués ff. De plus, le premier de ces accords est souligné par une croche lancée sèchement par tous les instruments à l'unisson (pizzicato pour les cordes)… Violent ! Le piano solo se fait viril avant de laisser la main aux vents pour l'exposition d'un thème plus élégiaque. Une musique qui sublime des sentiments contrastés, héroïques puis languides, pas d'ambiguïté, nous sommes en plein romantisme. Ces premiers groupes de motifs traités en variations constituent l'introduction du concerto. L'écriture est sophistiquée et exige une grande virtuosité des artistes, mais l'auditeur plonge lui sans difficulté dans cet univers mélodique coloré et empreint d'évidence dans son déroulement. Le jeu de Leif Ove Andsnes ne concède rien à un pathos romanesque. Non, un clavier puissant, clair et dru. La complicité est totale avec l'orchestre cravaché sans excès par Marris Jansons qui adopte le même style passionné et limpide. La prise de son est hors pair. [3:49] L'orchestre est chargé d'énoncer une seconde idée à la fois épique et d'une grande tendresse lors des solos de flûte. Cela n'engage que moi, mais cet allegro semble regarder vers une composition rhapsodique, un poème symphonique avec piano obligé. Les interprètes insufflent vie et fougue dans leur conception. Les artistes ne cherchent aucun effet ou hédonisme et rendent à la partition son énergie minérale qui préfigure par instant les folies de Rachmaninov. [8:42] La beauté et la finesse de la cadence sont le fruit d'une indépendance des mains exceptionnelle. Certes Leif Ove Andsnes n'est pas le seul virtuose de son temps ou du passé, mais la force tellurique qui jaillit de ses mains restitue à ce concerto sa modernité. [11:52] La coda joyeuse et volcanique fait jaillir une sève euphorisante. Un hymne ardent dédié à la tendre Nina et à sa fille nouveau-née.

Anton Edvard Kieldrup : Fjord norvégien
2 – Adagio : [12:46] Le contraste avec le virulent allegro est saisissant lors de l'écoute des premières mesures de l'adagio. Un adagio relativement bref de six minutes. Une longue mélopée aux cordes en sourdines s'élance lascivement, un chant en clair-obscur accompagné plus loin de quelques notes du basson et du cor que l'on n'entend guère au disque car noyés dans la masse des cordes. Cela dit, que les cordes de la philharmonie de Berlin sont soyeuses (les violoncelles) ! Les vents rejoignent cet enchantement avec tendresse à la fin de cette introduction. [14:42] Très curieusement, le piano fait son entrée tardivement, presque à la moitié du mouvement… Un très beau motif, émouvant et sans pathos. Le piano va imposer un jeu plutôt allègre dans un développement très vivant en opposition avec la thématique nostalgique des cordes. Il entraînera l'orchestre à sa suite. Souvenirs d'une soirée sereine chez les Grieg ? Le final est enchaîné sans pause.

3 - Allegro moderato molto e marcato : [18:54] Le final démarre tambour battant. Un fil conducteur énergique nourrit le piano et l'orchestre dans une lutte épique. On retrouve la force minérale des premières mesures de l'allegro. Si la construction de l'adagio semblait simple et sans heurt, ici nous entendons une succession aux couleurs et aux rythmes très opposés. [21:35] Trilles légères de flûte et de cordes énoncent une romance, une cadence dissimulée dans l'écrin des cordes, de quelques notes des bois qui éclairent cette scène aux accents nocturnes. Un andante au milieu de l'allegro final qui s'élançait de manière féroce. Que l'on ne me dise pas que Grieg avait un style académique, trois parties distinctes dans un concerto n'est pas chose courante !! Ce tendre passage se termine dans une intimité rêveuse. Le touché d'une délicatesse inouïe de Leif Ove Andsnes donne des frissons. [24:24] dans l'ultime partie, quelques mesures martiales de la clarinette et du basson avec en écho des pizzicati des cordes ouvrent la voie au piano qui reprend le thème initial. Et comme si cette fantaisie ne suffisait pas, Grieg [26:58] offre au piano une dernière possibilité de briller à travers une danse cocasse qui conduit à une coda déclamatoire et pleine de feu.
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Ce concerto possède une discographie bien large. Ce disque touche à la perfection, il n'est pas le seul. Cela dit 58 minutes pour un CD classique, comme disent les jeunes : "c'est abusé !". D'autant que le pianiste a également enregistré un concerto de Liszt qui aurait complété judicieusement le programme. Liszt avait proposé à Grieg des modifications d'orchestration. Le compositeur les retirera lors de l'édition définitive, à juste titre sans en dire plus…
Les versions de référence sont souvent anciennes notamment celle de Dinu Lipatti et Alceo Galleria. L'alacrité et la fluidité du discours restent quasi inégalables, mais hélas le son est vraiment impossible : piano métallique, orchestre Philharmonia distordu et criard. Pour les curieux (EMI - 1957 – 5/6).
En 1960, avant de perdre l'usage de sa main droite, Leon Fleisher avait enregistré le même programme accompagné par la baguette athlétique de George Szell dirigeant l'orchestre de Cleveland. Une interprétation volcanique, un adagio très onirique, une référence (Mis – 6/6).
Dernière suggestion, et enfin du beau son, du très beau son. En 1982, au début de l'ère numérique, Herbert von Karajan qui accompagnait déjà Dinu Lippati dans un disque de 1948 fait appel à un jeune prodige qui fera la carrière que l'on connaît : Kriztian Zimermann. La sensibilité et la virtuosité toujours élégante du pianiste fait merveille. Les tempi manquent un poil de punch. Bien sûr c'est Karajan donc un peu dionysiaque. Et là, avec une bonne oreille, on entend le basson et le cor dans l'adagio… (DG – 5/6).
En résumé, vous avez le choix…

Pour la petite histoire, ce concerto a été joliment pillé par des artistes de styles variés. Dans les années 40, le jazzman Freddy Martin adapte sur un rythme de fox-trot le thème initial de l'allegro. Ça swingue et c'est poilant. J'ai ajouté la vidéo qui crachouille un max 😎 ! Un clip publicitaire pour Nike a exploité le filon. En 1963, un groupe de rock instrumental, a priori totalement oublié, The Frencemen, a tenté une adaptation. Pour l'anecdote, car je n'ai pas trouvé de trace de la chose…

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2 commentaires:

  1. Plus jeune, je croyais que c'étais un concerto de Rachmaninov tant l'attaque de l'allegro du premier mouvement à des similitudes avec le vivace du concerto °1 de Rachmaninov. Et comment ne pas sourire en écoutant la version Fox Trot que je verrais bien en musique d'accompagnement d'un vieux dessin animé de Félix le chat !

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  2. Pour entrer dans une "autre dimension" avec le concerto de Grieg, je te recommande, si tu ne l'as pas déjà, la fabuleuse version Gilels - Jochum/RCO Amsterdam, un live complété par une non moins remarquable version du concerto de Schumann par Arrau - Jochum. J'aime beaucoup aussi la plus récente version Ott - Salonen (DGG, 2016), complétée par des petites pices pour piano du compositeur norvégien -ça change du Schumann...-, voire Anda - Kubelik -couplage classique avec Schumann-.
    A contrario, le Fleisher - Szell me semble la production la plus contestable de cet excellent couple d'interprètes en général -Beethoven, Brahms-, d'autant que la prise de son a vraiment mal vieilli et qu'une réédition avec un bon remastering s'imposerait.

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