J’ai
laissé tomber Franck Thilliez après LE SYNDROME E (2010), pas mal mais
emberlificoté. Sept romans et sept années après, voici le dernier, SHARKO. Du
nom du lieutenant Franck Sharko, son enquêteur, et héros récurrent avec Lucie
Henebelle, sa femme, et elle-même lieutenant de police. Un pavé par an, tu m’étonnes
que le style s’en ressente, c’est de la production à la chaine, faut fournir
aux lecteurs, et à l’éditeur…
Pourtant,
Franck Thilliez sait construire ses intrigues, et celle-ci ne fait pas
exception. Un court prologue choc et inquiétant. A l’océanopolis de Brest, dans
le grand aquarium, un plongeur distrait les spectateurs en jouant avec les
requins. Puis retire son gant, s’entaille la main au couteau. Le sang se répand. Sans une once de peur dans le regard, le type se fait
déchiqueter devant la foule horrifiée.
Retour
à Lucie Henebelle, à qui sa tante - veuve de flic à la retraite - demande d’enquêter
sur la disparition d’une jeune fille, cinq mois plus tôt. L’enquête piétine,
mais l’oncle de Lucie avait constitué un dossier incriminant un certain Julien
Ramirez. Sans rien dire à sa hiérarchie, ni à Franck Sharko, Lucie va fouiner
chez Ramirez. La nuit, évidemment. Dans une maison isolée, où elle découvre en
sous-sol… des choses. Et patatras. La bavure.
Ce
SHARKO reprend le principe du flic qui enquête sur lui-même. Souvenez-vous, au
cinéma, de POLICE PYTHON 357 de Corneau, ou ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU-DESSUS DE
TOUT SOUPÇON d’Elio Petri. C’est efficace quand c’est bien fait, et c’est
ici le cas. D’autant qu’il apparait qu’un témoin potentiel était dans la maison
ce soir-là. Coup dur pour Franck Sharko.
Et
y’a un autre truc qui empêche Sharko de dormir. Son collègue Nicolas Bellanger,
qui hors
procédure, en électron libre, mène son enquête. Il est doué, il est
dangereux, il se pose trop de questions. Il y a trop d’anomalies pour que tout
ça soit honnête ! Des histoires d’angle de tir, de douille, d’arme… La
première enquête en recoupe une seconde, une troisième. Au cœur du roman, une
histoire de sang (et pour gicler, ça gicle !). Franck Thilliez nous plonge
dans le milieu des adeptes du vampirisme, de sectes maléfiques, des
scarifications, piercing, SM. C’est peu ragoutant, Thilliez est toujours un peu
gore, là, il s’en donne à cœur joie. C’est du costaud.
Franck
Thilliez aime avoir une caution scientifique en toile de
fond. Une base réelle qu’il malaxe ensuite au gré de son imagination. Des
maladies, des syndromes, des virus, des trucs qui font peur. Des comportements déviants. Comme ce plongeur
du début qui ignore le sentiment de peur, un phénomène étrange, et qui ne serait pas isolé. Comment relier tout cela à l’affaire
d’enlèvement, à Ramirez ? C’est là où le bouquin atteint ses limites,
comme souvent chez cet auteur, il ne peut pas faire simple. Faut
faire sérieux.
Par
l’intermédiaire de longs passages dialogués redondants - peu convaincants car personne
dans la vie ne s’exprime comme on lirait un Que Sais-je ? - des
intervenants nous expliquent par le menu tout ce qui concerne l'hémoglobine, depuis
sa structure moléculaire jusqu’au fonctionnement de l’Établissement Français du
Sang. Alors oui, c’est la moelle de l’intrigue, mais qu’est-ce que c’est chiant,
on lit un roman, par une documentation ou une thèse. Des pages et des pages sur
les maladies à prion… Prions pour que ça cesse !
La
prose de Thilliez est assez lourdingue. Il use et abuse d’expressions toutes faites,
balancées trois fois par page. Combien de fois le flic a « le sang qui se glace », reçoit « un coup de poing dans l’estomac » en
apprenant un truc, ou « le cœur qui bondit dans sa poitrine »
à chaque coup de sonnette. Thilliez, c’est comme ses gros effets musicaux dans les
bandes annonce des blockbusters américains. J'vous en remets une couche, c'est compris dans le prix. Et puis ses
épilogues, forcément de nuit, sous la pluie, un orage c’est encore mieux, avec
beaucoup de vent...
Je l'avais lu en service de presse juste avant qu'il sorte pour le chroniquer sur un blog… et en fait, pour que ça passe, il faut le lire vite. J'admets volontiers que la "caution scientifique" prend trop de place, d'autant que c'est carrément redondant chez cet auteur : le sang, les maladies qui impactent le cerveau, l'ADN… c'est revu et archi revu. Ce titre-la a l'avantage de raconter l'enquête parallèle de Sharko pour protéger sa femme et toutes les histoires de Nicolas, ce très bon personnage de fic brisé, cocaïnomane et en pleine fuite en avant…
RépondreSupprimerLe style vaut ce qu'il vaut, c'est vrai qu'il a des défauts mais après tout, ça se laisse lire. Cela dit, pour moi, Thilliez, c'est un peu comme Grangé : ils appliquent à la lettre le principe des vieux pots et de la meilleure soupe… mais faut qu'ils fassent gaffe : un jour, la soupe n'aura plus de goût ou pire, elle sera indigeste.
J'ai lu aussi le bouquin cet été. Il y a pas mal de rebondissements, mais c'est un peu longuet. J'aime assez les renvois aux sciences cognitives ou neurologiques en général, mais comme le dit Lilou, c'est un peu toujours la même chose. Ô et puis toujours les pires perversités de notre monde un peu fou, on sent la complaisance.
RépondreSupprimerEnfin sous le cerisier en Savoie, ça le fait, mais oui, si on ne lit pas ce pavé à vive allure, on s'y perd un peu...
Bonjour Lilou !
RépondreSupprimerJe vois que nous sommes tous d'accord ! L'enquête de Sharko pour protéger Lucie est ce qu'il y a de plus passionnant, et de plus maitrisé. Le reste, comme d'hab, c'est du remplissage pseudo scientifico... histoire de faire sérieux, et montrer qu'on a bossé son sujet.
Je préfèrerais qu'il bosse son style ! Oui, ça se lit bien, et vite, mais c'est pénible à force, bien écrit, ça se lirait mieux !
Pas lu Grangé. Pas envie. Je crains qu'on ne retombe dans les mêmes travers.