samedi 6 juin 2015

César FRANCK – Symphonie en ré mineur – Pierre MONTEUX – Par Claude Toon



- Bonjour M'sieur Claude… Quel est le sujet du jour ? Ah, une symphonie du compositeur français César Franck, vous n'en avez jamais parlé je crois…
- Belge ma petite Sonia ! César Franck était belge comme Annie Cordy et Cécile de France, même si toute sa carrière a eu lieu dans l'hexagone, surtout à Paris…
- Ah, j'apprends quelque chose, il a si peu composé pour avoir du attendre si longtemps avant de lui consacrer une chronique ?
- Et bien, très impliqué dans son métier d'organiste et de pédagogue, oui, son œuvre reste modeste en quantité,  mais cette symphonie est un must de l'école française du XIXème siècle et jouée très souvent sur toute la planète. Quant aux disques, on ne les compte plus…
- J'y entends de petits accents germaniques, des réminiscences de Wagner, un peu de Brahms, je ne saurais préciser, mais je dis peut-être une bêtise…
- Absolument pas, plus Wagner que Brahms, mais une influence du romantisme germanique, c'est bien le mot…

Note liminaire : ne me demandez absolument pas ce que la Victoire de Samothrace vient faire sur la jaquette du CD. Je n'ai pas la réponse… grotesque et totalement hors sujet !

César Franck (1822-1890)
XXXX
Parlons plutôt de César Franck, nouveau venu dans le deblocnot. Le compositeur voit le jour à Liège en 1822 mais sera naturalisé français en 1870. Sachant que ses études supérieures et la quasi-totalité de sa carrière se dérouleront dans l'hexagone, nous pouvons le considérer comme l'un des maîtres de l'école française.
Très doué, le jeune garçon entre à 8 ans au conservatoire de Liège d'où il sort quatre ans plus tard diplômé en piano et solfège. En 1835, la famille déménage pour Paris permettant ainsi à César d'entrer au prestigieux conservatoire supérieur. Il suivra les enseignements de Reicha et Cherubini et remportera avec l'enthousiasme du jury le premier prix de piano en 1838. Il se révèle un extraordinaire improvisateur capable de transposer à vue un concerto dans une autre tonalité que celle indiquée par la partition !! À noter que Antoine Reicha sera aussi le professeur de Liszt et Berlioz plus âgés que Franck d'une vingtaine d'années.
Qui dit improvisateur dit organiste. Et c'est vers cet instrument que le jeune homme va se diriger et même consacrer une part essentielle de sa carrière. Le XIXème siècle va voir fleurir les orgues à la registration sophistiquée et à la puissance surhumaine du facteur Aristide Cavaillé-Coll. Cet homme va révolutionner la capacité de l'instrument, équiper nombre de cathédrales françaises et surtout permettre à divers compositeurs d'offrir à l'orgue un répertoire nouveau qui s'affranchit de l'univers religieux (ce qui était déjà un peu le cas avec Bach). Pour réviser tout cela, voir la chronique consacrée à Charles-Marie Widor (Clic). Franck deviendra en 1859 titulaire de l'orgue de l'église Sainte-Clotilde à Paris jusqu'à sa mort en 1890.
César Franck va composer pendant toute son existence. Si son catalogue ne comporte pas un nombre impressionnant d'ouvrages et si l'intérêt marquant n'est pas toujours au rendez-vous, il révolutionne cependant le langage musical de son temps. À l'image de Berlioz, il introduit dans la musique les principes cycliques par l'utilisation de leitmotiv, une technique chère à Wagner. C'est très innovant à une époque où la forme sonate pure et dure est encore de mise. Également professeur, le temps consacré à la composition lui est compté. Son œuvre pour orgue tient sur 2 CD et celle pour piano sur un album ! César Franck symphoniste est très connu par sa symphonie en ré mineur, sujet du jour, mais également par des poèmes symphoniques passionnants comme Le chasseur Maudit. Dans sa musique de chambre très travaillée, trois chefs-d'œuvre : la célèbre Sonate pour violon et piano, le quatuor à cordes et surtout le quintette avec piano.
Franck écrira quelques ouvrages religieux dont deux oratorios à la manière de Mendelssohn. Les béatitudes dont l'écriture s'étire de 1869 à 1879 vaut le détour par ses vastes proportions et la qualité de la polyphonie et de l'orchestration. Une œuvre plutôt remarquable en cette époque fin XIXème où le pompiérisme se rencontre fréquemment dans la musique sacrée française.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Pierre Monteux
Et oui, de nouveau Pierre Monteux et ses belles bacchantes dans le blog ! Monteux, le créateur du Sacre du Printemps de Stravinski, une soirée qui dégénéra en bataille rangée au Théâtre des Champs Élysées en 1913, la modernité flagrante et l'érotisme sous-jacent du ballet n'étant pas du goût d'un certain public bourgeois du Tout Paris (Clic)Monteux, c'est aussi la création du Prélude à l'après-midi d'un Faune de Debussy et bien entendu de Daphnis et Chloé de Ravel, un ballet que le chef, né en 1875 enregistrera avec l'Orchestre symphonique de Londres en 1959, à 86 ans, et de main de maître, si l'on peut dire ! Un enregistrement peu concurrencé et chroniqué en son temps (Clic).
La même année, le maestro grave cette symphonie en ré mineur que divers musicologues et commentateurs ont élue comme LA référence. Une distinction que je n'aime pas, c'est connu, mais là, ma foi… Monteux coule dans le bronze en fusion la partition de Franck, il faut bien le dire. Monteux dispose par ailleurs de l'énergie et de la limpidité de l'orchestre de Fritz Reiner. La prise de son RCA de la grande époque participe grandement à une telle réputation. L'album est complété par une vivante interprétation de Petrouchka de Stravinski gravée en 1961 pour les 88 ans du chef qui devait disparaître un an plus tard.
D'origine juive, Monteux avait dû s'exiler aux USA dès 1937 où, sur une suggestion de Otto Klemperer, il ressuscitera l'orchestre de San Francisco tout en fréquentant assidument d'autres grandes phalanges américaines. Il sera même naturalisé en 1942. Le disque de ce jour est bien l'un des plus beaux témoignages de cette fin de vie et de carrière au Nouveau Monde.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Depuis la guerre de 1870 contre les prussiens, la symphonie est très mal vue en France. Composer dans le genre apparaît comme synonyme de trahison. Plus grave, les admirateurs de Wagner et de ses concepts de leitmotiv et de chromatisme, peuvent être suspectés de collaboration !!! César Franck se fiche un peu de ces querelles où l'art interfère avec la politique et le nationalisme revanchard. Deux camps se dessinent. On parlera même d'école franckiste avec Vincent D'indy comme principal soutien. En face : Saint-Saëns et sa société nationale de musique fondée en 1871 et pourtant présidée par César Franck ! Enfantillages ? Possible. Exemple : lors de la création du Quintette de Franck, Saint-Saëns tenait la partie de piano, mais abandonna ostensiblement la partition sur le piano…
Soyons clair, la France du XIXème siècle n'a pas une grande tradition symphonique, contrairement à "l'ennemi teuton". Quelques ouvrages très isolés ont marqué le style : La Fantastique de Berlioz (1830 - Clic), la symphonie avec Orgue et un tantinet boursouflée dudit Saint-Saëns (1885Clic) et les 9 symphonies d'un outsider prolifique redécouvert récemment : Théodore Gouvy (Clic).
Écrite entre 1886-1888, à la fin de sa vie, Franck pourra donc entendre sa symphonie créée en 1889, mais copieusement sifflée. L'œuvre se révèle le chef-d'œuvre symphonique français attendu depuis 1830 et La Symphonie Fantastique. Oui, sifflée car les critiques seront sans pitié pour cette ouvrage qui ose flirter avec l'esprit allemand et wagnérien.
La Symphonie sera dédiée à son élève et ami Henri Duparc. Une symphonie qui ouvrira la porte à d'autres créations dans la décennie suivante : Dukas, Magnard, Chausson(Clic) & (Clic). L'orchestration est typiquement romantique : 2/2/2/2 + cor anglais, clarinette basse, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba, harpe et quatuor des cordes. L'ouvrage est divisée en trois mouvements.

1 – Lento – Allegro ma non troppo : Toutes les études sur cette symphonie se concluent par une idée commune : la filiation avec l'univers beethovénien, à savoir l'emploi de thèmes brefs et directs qui marquent d'emblée l'auditoire. A contrario d'un Bruckner dont les motifs peuvent s'étirer sur plusieurs dizaines de mesure, Franck fait sien le principe de Ludwig van en frappant d'entrée avec une géniale économie de moyen musical. Toute la symphonie va se construire sur l'impression dramatique donnée par ce thème initial :











Les cordes graves énoncent le thème, seules pendant les deux premières mesures. Chaque mesure adopte la même cellule mélodique et rythmique avec un ton et demi de transposition dans l'aigu. Ça ne vous rappelle rien Sonia ce double motif ? Si bien sûr, le début de la 5ème symphonie de Beethoven: Pam Pam Pam Paaam répété deux fois avec également une transposition (Clic). Les bois rejoignent les basses sur le do de la 3ème mesure. On entend le souffle d'une respiration légèrement oppressée. Le climat est sombre. César Franck est l'homme du romantisme qui s'achève. De cette introduction sévère, d'autres idées vont surgir, se déployer, gagner en force et en éclat avec l'intervention virile des cuivres. [3'34] Une réexposition de l'introduction rappelle que César Franck est aussi l'héritier de l'âge classique, des structures propres à la forme sonate. La direction de Pierre Monteux allie l'énergie tragique et un phrasé d'une grande finesse mélodique dans les divers développements. La musique s'écoule comme une infinie variation à partir de l'idée initiale. La variété des effets jaillit de la maîtrise de l'orchestration : chorales de cuivres, dialogues des bois en opposition avec de longues phrases élégiaques des cordes. La direction de Monteux s'avère remarquable par la clarté apportée à une partition très germanique d'inspiration. Beaucoup d'interprétations de cette œuvre la précipitent dans un magma épais. Ici, rien de tout cela : les cuivres sonnent de manière éclatante, les thrènes aux cordes dans le puissant développement central font frissonner de pathétisme. Étrangement, le tempo est assez lent, mais seule l'indication de durée sur la jaquette témoigne de cette particularité. La force de l'articulation, l'abondance de détails orchestraux mis en avant par Monteux effacent complètement le moindre sentiment de lenteur au bénéfice d'une grandeur qui n'est pas sans rappeler que César Franck était organiste (comme Bruckner).

9 – Allegretto : Non, la symphonie de Franck n'est pas une œuvre sombre même si la sévérité et la solennité habitent le premier mouvement. L'allegretto va apporter des sonorités poétiques et quasi pastorales en tenant à la fois le rôle de mouvement lent classique dans une symphonie et d'intermezzo, voire d'un scherzo, qui devient ainsi inutile en tant que mouvement indépendant. La harpe et des pizzicati des cordes introduisent une ambiance champêtre. Un cor anglais énonce une première idée tendre et lascive, un motif qui sera repris par un cor… C'est dingue : l'intervention d'un cor anglais fit scandale à l'époque (la mauvaise foi prend des chemins insolites). Raison : "ça ne se fait pas" dans une symphonie !! Quand on voit la fantaisie quasi surréaliste d'un Mozart dans l'orchestration de ses symphonies au siècle précédent, on se demande d'où sort cette soi-disant règle imbécile… Et bien, je cafte : Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire, auteur d'opérettes bien oubliées car victimes de livrets tous plus crétins les uns que les autres ! À propos de fantaisie, Pierre Monteux offre à chaque pupitre un moment de poésie, de grâce. J'avoue ne jamais avoir entendu cette œuvre interprétée avec une telle imagination, avec les interventions du cor anglais choyées encore et encore... Le passage des trémolos de cordes magnifié par le chant des flûtes n'est autre que le trio d'un scherzo caché dans l'architecture. Une exceptionnelle direction par la poésie qui se dégage.

3 – Allegro non troppo : Fidèle à l'écriture cyclique, le final démarre par des rappels des thèmes des deux mouvements initiaux avant que cordes et bois énoncent le thème porteur de l'allegro. Monteux, en magicien, affine le discours à un point de précision et d'équilibre entre les pupitres qui rend impossible de "rater" cette succession de souvenirs musicaux, de perdre le fil de la rigoureuse organisation de l'œuvre entendue dans sa continuité. César Franck pensait qu'il avait sans doute un peu surchargé la partie dédiée aux cuivres. Je lui donne raison, certains passages n'évitent pas la fanfaronnade. On lui pardonne beaucoup à l'écoute des arpèges de la harpe qui offrent une entrée soyeuse à la coda. Les dernières mesures sont exubérantes pour ne pas dire un peu folles.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Charles Munch a enregistré plusieurs fois cette symphonie. La version avec SON orchestre de Boston au sein d'une anthologie de musique française s'impose. Avec un tempo vigoureux et un staccato endiablé, le maître inscrit l'ouvrage dans la tradition française en s'éloignant nettement du pathos germanique (RCA – 5/6). Le jeune Lorin Maazel a légué dans les enregistrements réalisés avec la Philharmonie de Berlin dans sa jeunesse une interprétation tendue, nerveuse avec une mise en place des différents pupitres démoniaque. La prise de son est claire et dynamique pour ce disque de 1961 et le couplage avec la très luthérienne 5ème symphonie de Mendelssohn est une bonne idée (Dgg – 5/6). Enfin, Daniel Barenboïm offre en 1976 une lecture subtile et raffinée avec l'orchestre de Paris. Un CD à prix très doux avec en complément une excellente interprétation avec le symphonique de Chicago de la symphonie avec Orgue de Camille Saint-Saëns, le "frère ennemi" (Dgg – 5/6). Cette symphonie a tellement été enregistrée qu'il ne s'agit là que de quelques suggestions…



L'interprétation de Pierre Monteux en 3 vidéos aux visuels variés...


3 commentaires:

  1. J'avais découvert la ré mineur de César Franck avec la version de l'orchestre de Paris sous la baguette de Karajan (1970) Franchement, je préfère la version de Monteux, il n'y a pas photo ! c'est plus (excusez moi du terme !) couillus ! Le premier mouvement donne la couleur et la mesure à ce qui nous attend après. De toute manière avec Pierre Monteux, on ne peut être surpris qu'agréablement comme je l'avais été en entendant sa version de la Fantastique de Berlioz avec le symphonique d'Hambourg.

    RépondreSupprimer
  2. Je découvre ce blog apparemment de très bonne qualité.
    L'article sur César Franck et Pierre Monteux est passionnant...et je vois qu'il y a beaucoup d'autres choses que je vais découvrir petit à petit...Miam !
    Je viens d'acheter cette symphonie en Ré mineur de Franck. C'est magnifique.
    De plus je l'ai acheté en vinyle avec la Victoire de Samothrace....ça ne lui va pas si mal, non ?....et je trouve la prise de son vraiment très convaincante et qui sert vraiment l'oeuvre....mais vous savez je ne suis pas un spécialiste....en tout cas un grand merci pour cette excellente chronique.

    RépondreSupprimer
  3. Merci Cirimax

    Excellent achat... Si le vinyle est en bon état, je confirme ça doit être un régal !

    Bonne visite dans tous les articles du blog grâce aux index. Et pas d'hésitation pour poser des questions ou suggérer des thèmes à aborder...

    RépondreSupprimer