- Bonjour M'sieur Claude… Quel est le sujet du jour ? Ah, une symphonie
du compositeur français César Franck, vous n'en avez jamais parlé je
crois…
- Belge ma petite Sonia ! César Franck était belge comme Annie Cordy et
Cécile de France, même si toute sa carrière a eu lieu dans l'hexagone,
surtout à Paris…
- Ah, j'apprends quelque chose, il a si peu composé pour avoir du
attendre si longtemps avant de lui consacrer une chronique ?
- Et bien, très impliqué dans son métier d'organiste et de pédagogue,
oui, son œuvre reste modeste en quantité, mais cette symphonie est un must de l'école française du XIXème
siècle et jouée très souvent sur toute la planète. Quant aux disques, on
ne les compte plus…
- J'y entends de petits accents germaniques, des réminiscences de Wagner,
un peu de Brahms, je ne saurais préciser, mais je dis peut-être une
bêtise…
- Absolument pas, plus Wagner que Brahms, mais une influence du
romantisme germanique, c'est bien le mot…
Note liminaire : ne me demandez absolument pas ce que la
Victoire de Samothrace vient
faire sur la jaquette du CD. Je n'ai pas la réponse… grotesque et
totalement hors sujet !
César Franck (1822-1890) XXXX |
Parlons plutôt de
César Franck, nouveau venu dans le deblocnot. Le compositeur voit le jour à Liège en
1822 mais sera naturalisé
français en 1870. Sachant que
ses études supérieures et la quasi-totalité de sa carrière se dérouleront
dans l'hexagone, nous pouvons le considérer comme l'un des maîtres de
l'école française.
Très doué, le jeune garçon entre à 8 ans au conservatoire de Liège d'où il
sort quatre ans plus tard diplômé en piano et solfège. En
1835, la famille déménage pour
Paris permettant ainsi à César d'entrer au prestigieux conservatoire
supérieur. Il suivra les enseignements de
Reicha
et
Cherubini
et remportera avec l'enthousiasme du jury le premier prix de piano en
1838. Il se révèle un
extraordinaire improvisateur capable de transposer à vue un concerto dans
une autre tonalité que celle indiquée par la partition !! À noter que
Antoine Reicha
sera aussi le professeur de
Liszt
et
Berlioz
plus âgés que
Franck
d'une vingtaine d'années.
Qui dit improvisateur dit organiste. Et c'est vers cet instrument que le
jeune homme va se diriger et même consacrer une part essentielle de sa
carrière. Le XIXème siècle va voir fleurir les orgues à la
registration sophistiquée et à la puissance surhumaine du facteur
Aristide Cavaillé-Coll. Cet
homme va révolutionner la capacité de l'instrument, équiper nombre de
cathédrales françaises et surtout permettre à divers compositeurs d'offrir à
l'orgue un répertoire nouveau qui s'affranchit de l'univers religieux (ce
qui était déjà un peu le cas avec
Bach). Pour réviser tout cela, voir la chronique consacrée à
Charles-Marie Widor
(Clic).
Franck
deviendra en 1859 titulaire de
l'orgue de
l'église Sainte-Clotilde à
Paris jusqu'à sa mort en
1890.
César Franck
va composer pendant toute son existence. Si son catalogue ne comporte pas un
nombre impressionnant d'ouvrages et si l'intérêt marquant n'est pas toujours
au rendez-vous, il révolutionne cependant le langage musical de son temps. À
l'image de
Berlioz, il introduit dans la musique les principes cycliques par l'utilisation de
leitmotiv, une technique chère à
Wagner. C'est très innovant à une époque où la forme sonate pure et dure est
encore de mise. Également professeur, le temps consacré à la composition lui
est compté. Son œuvre pour orgue tient sur 2 CD et celle pour piano sur un
album !
César Franck
symphoniste est très connu par sa
symphonie en ré mineur, sujet du jour, mais également par des poèmes symphoniques passionnants
comme Le
chasseur Maudit. Dans sa musique de chambre très travaillée, trois chefs-d'œuvre : la
célèbre
Sonate pour violon et piano, le
quatuor à cordes
et surtout le
quintette avec piano.
Franck
écrira quelques ouvrages religieux dont deux oratorios à la manière de
Mendelssohn.
Les béatitudes
dont l'écriture s'étire de 1869 à 1879 vaut le détour par ses vastes
proportions et la qualité de la polyphonie et de l'orchestration. Une œuvre
plutôt remarquable en cette époque fin XIXème où le pompiérisme
se rencontre fréquemment dans la musique sacrée française.
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Pierre Monteux |
Et oui, de nouveau
Pierre Monteux
et ses belles bacchantes dans le blog !
Monteux, le créateur du
Sacre du Printemps
de
Stravinski, une soirée qui dégénéra en bataille rangée au Théâtre des Champs Élysées
en 1913, la modernité flagrante
et l'érotisme sous-jacent du ballet n'étant pas du goût d'un certain public
bourgeois du Tout Paris
(Clic)…
Monteux, c'est aussi la création du
Prélude
à l'après-midi d'un Faune
de
Debussy
et bien entendu de
Daphnis et Chloé
de
Ravel, un ballet que le chef, né en
1875 enregistrera avec l'Orchestre symphonique de Londres
en 1959, à 86 ans, et de main
de maître, si l'on peut dire ! Un enregistrement peu concurrencé et
chroniqué en son temps
(Clic).
La même année, le maestro grave cette
symphonie en ré mineur
que divers musicologues et commentateurs ont élue comme LA référence. Une
distinction que je n'aime pas, c'est connu, mais là, ma foi…
Monteux
coule dans le bronze en fusion la partition de
Franck, il faut bien le dire.
Monteux
dispose par ailleurs de l'énergie et de la limpidité de l'orchestre de
Fritz Reiner. La prise de son RCA de la
grande époque participe grandement à une telle réputation. L'album est
complété par une vivante interprétation de
Petrouchka
de
Stravinski
gravée en 1961 pour les 88 ans
du chef qui devait disparaître un an plus tard.
D'origine juive,
Monteux avait dû s'exiler aux USA dès
1937 où, sur une suggestion de
Otto Klemperer, il ressuscitera l'orchestre de San Francisco tout en fréquentant assidument d'autres grandes phalanges américaines. Il
sera même naturalisé en 1942.
Le disque de ce jour est bien l'un des plus beaux témoignages de cette fin
de vie et de carrière au Nouveau Monde.
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Depuis la guerre de
1870 contre les prussiens, la
symphonie est très mal vue en France. Composer dans le genre apparaît comme
synonyme de trahison. Plus grave, les admirateurs de
Wagner
et de ses concepts de leitmotiv et de chromatisme, peuvent être suspectés de
collaboration !!!
César Franck
se fiche un peu de ces querelles où l'art interfère avec la politique et le
nationalisme revanchard. Deux camps se dessinent. On parlera même d'école
franckiste avec
Vincent D'indy
comme principal soutien. En face :
Saint-Saëns
et sa société nationale de musique fondée en 1871 et pourtant présidée par
César Franck
! Enfantillages ? Possible. Exemple : lors de la création du
Quintette
de
Franck,
Saint-Saëns
tenait la partie de piano, mais abandonna ostensiblement la partition sur le
piano…
Soyons clair, la France du XIXème siècle n'a pas une grande
tradition symphonique, contrairement à "l'ennemi teuton". Quelques ouvrages
très isolés ont marqué le style :
La Fantastique
de
Berlioz
(1830 -
Clic), la
symphonie avec Orgue
et un tantinet boursouflée dudit
Saint-Saëns
(1885 –
Clic) et les
9 symphonies
d'un outsider prolifique redécouvert récemment :
Théodore Gouvy
(Clic).
Écrite entre 1886-1888, à la
fin de sa vie,
Franck
pourra donc entendre sa symphonie créée en
1889, mais copieusement
sifflée. L'œuvre se révèle le chef-d'œuvre symphonique français attendu
depuis 1830 et
La Symphonie Fantastique. Oui, sifflée car les critiques seront sans pitié pour cette ouvrage qui
ose flirter avec l'esprit allemand et wagnérien.
La Symphonie sera dédiée à son élève et ami
Henri Duparc. Une symphonie qui ouvrira la porte à d'autres créations dans la décennie
suivante :
Dukas,
Magnard,
Chausson…
(Clic)
&
(Clic). L'orchestration est typiquement romantique : 2/2/2/2 + cor anglais,
clarinette basse, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba, harpe et quatuor
des cordes. L'ouvrage est divisée en trois mouvements.
1 – Lento – Allegro ma non troppo
: Toutes les études sur cette symphonie se concluent par une idée commune :
la filiation avec l'univers beethovénien, à savoir l'emploi de thèmes brefs
et directs qui marquent d'emblée l'auditoire. A contrario d'un
Bruckner
dont les motifs peuvent s'étirer sur plusieurs dizaines de mesure,
Franck
fait sien le principe de
Ludwig van
en frappant d'entrée avec une géniale économie de moyen musical. Toute la
symphonie va se construire sur l'impression dramatique donnée par ce thème
initial :
Les cordes graves énoncent le thème, seules pendant les deux premières
mesures. Chaque mesure adopte la même cellule mélodique et rythmique avec un
ton et demi de transposition dans l'aigu. Ça ne vous rappelle rien Sonia ce
double motif ? Si bien sûr, le début de la
5ème symphonie
de
Beethoven: Pam Pam Pam Paaam répété deux fois avec également une transposition
(Clic). Les bois rejoignent les basses sur le do de la 3ème mesure. On
entend le souffle d'une respiration légèrement oppressée. Le climat est
sombre.
César Franck
est l'homme du romantisme qui s'achève. De cette introduction sévère,
d'autres idées vont surgir, se déployer, gagner en force et en éclat avec
l'intervention virile des cuivres. [3'34] Une réexposition de l'introduction
rappelle que
César Franck
est aussi l'héritier de l'âge classique, des structures propres à la forme
sonate. La direction de
Pierre Monteux
allie l'énergie tragique et un phrasé d'une grande finesse mélodique dans
les divers développements. La musique s'écoule comme une infinie variation à
partir de l'idée initiale. La variété des effets jaillit de la maîtrise de
l'orchestration : chorales de cuivres, dialogues des bois en opposition avec
de longues phrases élégiaques des cordes. La direction de
Monteux
s'avère remarquable par la clarté apportée à une partition très germanique
d'inspiration. Beaucoup d'interprétations de cette œuvre la précipitent dans
un magma épais. Ici, rien de tout cela : les cuivres sonnent de manière
éclatante, les thrènes aux cordes dans le puissant développement central
font frissonner de pathétisme. Étrangement, le tempo est assez lent, mais
seule l'indication de durée sur la jaquette témoigne de cette particularité.
La force de l'articulation, l'abondance de détails orchestraux mis en avant
par
Monteux
effacent complètement le moindre sentiment de lenteur au bénéfice d'une
grandeur qui n'est pas sans rappeler que
César Franck
était organiste (comme
Bruckner).
9 – Allegretto
: Non, la symphonie de
Franck
n'est pas une œuvre sombre même si la sévérité et la solennité habitent
le premier mouvement. L'allegretto va apporter des sonorités poétiques
et quasi pastorales en tenant à la fois le rôle de mouvement lent
classique dans une symphonie et d'intermezzo, voire d'un scherzo, qui
devient ainsi inutile en tant que mouvement indépendant. La harpe et des
pizzicati des cordes introduisent une ambiance champêtre. Un cor anglais
énonce une première idée tendre et lascive, un motif qui sera repris par
un cor… C'est dingue : l'intervention d'un cor anglais fit scandale à
l'époque (la mauvaise foi prend des chemins insolites). Raison : "ça ne
se fait pas" dans une symphonie !! Quand on voit la fantaisie quasi
surréaliste d'un
Mozart
dans l'orchestration de ses symphonies au siècle précédent, on se
demande d'où sort cette soi-disant règle imbécile… Et bien, je cafte :
Ambroise Thomas, directeur du Conservatoire, auteur d'opérettes bien oubliées car
victimes de livrets tous plus crétins les uns que les autres ! À propos
de fantaisie,
Pierre Monteux
offre à chaque pupitre un moment de poésie, de grâce. J'avoue ne jamais
avoir entendu cette œuvre interprétée avec une telle imagination, avec
les interventions du cor anglais
choyées
encore et encore... Le passage des trémolos de cordes magnifié par le
chant des flûtes n'est autre que le trio d'un scherzo caché dans
l'architecture. Une exceptionnelle direction par la poésie qui se
dégage.
3 – Allegro non troppo
: Fidèle à l'écriture cyclique, le final démarre par des rappels des thèmes
des deux mouvements initiaux avant que cordes et bois énoncent le thème
porteur de l'allegro.
Monteux, en magicien, affine le discours à un point de précision et d'équilibre
entre les pupitres qui rend impossible de "rater" cette succession de
souvenirs musicaux, de perdre le fil de la rigoureuse organisation de
l'œuvre entendue dans sa continuité.
César Franck
pensait qu'il avait sans doute un peu surchargé la partie dédiée aux
cuivres. Je lui donne raison, certains passages n'évitent pas la
fanfaronnade. On lui pardonne beaucoup à l'écoute des arpèges de la harpe
qui offrent une entrée soyeuse à la coda. Les dernières mesures sont
exubérantes pour ne pas dire un peu folles.
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Charles Munch
a enregistré plusieurs fois cette symphonie. La version avec SON
orchestre de Boston
au sein d'une anthologie de musique française s'impose. Avec un tempo
vigoureux et un staccato endiablé, le maître inscrit l'ouvrage dans la
tradition française en s'éloignant nettement du pathos germanique (RCA
– 5/6). Le jeune
Lorin
Maazel
a légué dans les enregistrements réalisés avec la
Philharmonie de Berlin
dans sa jeunesse une interprétation tendue, nerveuse avec une mise en place
des différents pupitres démoniaque. La prise de son est claire et dynamique
pour ce disque de 1961 et le couplage avec la très luthérienne
5ème symphonie
de
Mendelssohn
est une bonne idée (Dgg – 5/6).
Enfin,
Daniel Barenboïm
offre en 1976 une lecture subtile et raffinée avec l'orchestre de Paris. Un CD à prix très doux avec en complément une excellente interprétation
avec le
symphonique de Chicago
de la
symphonie avec Orgue
de
Camille Saint-Saëns, le "frère ennemi" (Dgg –
5/6). Cette symphonie a tellement été enregistrée qu'il ne s'agit là que de
quelques suggestions…
L'interprétation de Pierre Monteux en 3 vidéos aux visuels variés...
J'avais découvert la ré mineur de César Franck avec la version de l'orchestre de Paris sous la baguette de Karajan (1970) Franchement, je préfère la version de Monteux, il n'y a pas photo ! c'est plus (excusez moi du terme !) couillus ! Le premier mouvement donne la couleur et la mesure à ce qui nous attend après. De toute manière avec Pierre Monteux, on ne peut être surpris qu'agréablement comme je l'avais été en entendant sa version de la Fantastique de Berlioz avec le symphonique d'Hambourg.
RépondreSupprimerJe découvre ce blog apparemment de très bonne qualité.
RépondreSupprimerL'article sur César Franck et Pierre Monteux est passionnant...et je vois qu'il y a beaucoup d'autres choses que je vais découvrir petit à petit...Miam !
Je viens d'acheter cette symphonie en Ré mineur de Franck. C'est magnifique.
De plus je l'ai acheté en vinyle avec la Victoire de Samothrace....ça ne lui va pas si mal, non ?....et je trouve la prise de son vraiment très convaincante et qui sert vraiment l'oeuvre....mais vous savez je ne suis pas un spécialiste....en tout cas un grand merci pour cette excellente chronique.
Merci Cirimax
RépondreSupprimerExcellent achat... Si le vinyle est en bon état, je confirme ça doit être un régal !
Bonne visite dans tous les articles du blog grâce aux index. Et pas d'hésitation pour poser des questions ou suggérer des thèmes à aborder...