samedi 21 février 2015

BRUCKNER – Symphonie N° 2 – Simone YOUNG – Par Claude Toon


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- Mais M'sieur Claude ? Heuuu c'est une femme qui dirige ? Une grande symphonie… Il y a des femmes chef d'orchestre ?
- Eh oui ma petite Sonia, enfin ! Même plusieurs… Et en effet, l'australienne Simone Young s'attaque à l'un des plus sacrosaints compositeurs autrichiens…
- C'est un orchestre important ? Son interprétation s'impose-t-elle par rapport à celles des maestros masculins ?
- Parfaitement ! Et c'est même ce qui m'a amené à parler de cette symphonie interprétée avec l'excellent Orchestre de Hambourg…
- C'est puissant et romantique ce que j'entends… Pas de la musique pour midinette comme vous dites parfois… hi hi
- C'est le moins que l'on puisse dire, mais justement la féminité de la chef adoucit le trait wagnérien de l'affaire… un plus pour ce disque…

Le XXIème siècle sera-t-il celui des femmes chefs d'orchestre ? Allez savoir ! Depuis l'apparition du job à la fin de la renaissance, le métier restait totalement masculin. La phallocratie du monde classique s'illustrait par sa bouffonnerie : l'éviction de la clarinettiste Sabine Meyer de la Philharmonie de Berlin, une artiste pourtant imposée par maître Karajan ! (Clic) Les démissions de musiciens de la Philharmonie de Vienne lors de l’arrivée de la première instrumentiste : une harpiste ! À partir des années 70, d'abord aux USA, puis en Europe, les musiciennes ont fait leur entrée dans des grands orchestres (New-York, Los Angeles, Paris, Londres…). Restait à franchir le dernier pas : une dame à la baguette sur l'estrade !
Je vous ai déjà parlé d'Emmanuelle Haïm et de Laurence Equilbey, deux grandes directrices d'ensembles chœur-orchestre français : Le Concert d'Astrée et Accentus. (Clic) & (Clic).
Place au grand orchestre symphonique. Deux noms viennent à l'esprit : d'abord Marin Alsop, chef américaine qui dirige l'Orchestre de Baltimore depuis 2005, même si une embrouille entre le conseil d'administration, qui n'avait consulté personne, avait conduit les musiciens à voter à 90% contre cette nomination. Depuis, Marin, s'est imposée et a été invitée à diriger le Concertgebouw d'Amsterdam et la Tohnhalle de Zurich ! (J'ai en réserve un bon disque Philip Glass avec les symphonies 2 et 3…). Elle a gravé avec cet orchestre de la côte est, et avec Jean-Yves Thibaudet, un disque Gershwin qui a fait un tabac par son style "swing" qui sied mieux à cette musique jazzy qu'une approche "à l'européenne". Marin doit cette promotion à Baltimore (devenue incontestable) à sa réussite de 2002 à 2008 comme directrice du Bournemouth Symphony Orchestra, un des orchestres les plus côtés d'Angleterre.
Second nom et même génération (un peu plus de 50 ans chacune, la bonne maturité pour un chef d'orchestre) : Simone Young originaire de Sydney avec du sang irlandais de par son père et croate de par sa mère…
Après une formation comme pianiste et chef d'orchestre à Sydney, la carrière de Simone Young se met en place entre 1983 et 1998 comme assistante au sein des opéras de Sydney, de Cologne, à Bayreuth… Difficile pourtant d'atteindre la fosse d'orchestre comme titulaire… Cependant, elle se perfectionne auprès de ses aînés comme Charles Mackerras ou Daniel Barenboim. En 1993, elle sera la première femme à diriger l'Opéra d’État de Vienne et, première mondiale absolue : elle monte au pupitre de la Philharmonie de Vienne en novembre 2005, l'orchestre le plus exigeant et macho de la planète, heuuu sans doute le meilleur aussi !!! Sans exagérer, après cet évènement, le milieu musical classique a ouvert une nouvelle page de son histoire depuis l'antiquité ! De 1998 à 2002, premier poste dans l'univers symphonique à la tête de l'orchestre de Bergen en Norvège. La consécration est atteinte en 2003 quand elle est nommée directrice de l'Opéra ET de l'Orchestre Philharmonique de Hambourg, double fonction qu'elle assure toujours…
Et comme cette maestro n'a peur de rien, elle s'est attaquée à la gravure de l'intégrale des symphonies de Bruckner dans leurs éditions originales. Un défi !
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4ème année comme rédacteur du Deblocnot, donc 4ème chronique consacrée à l'une des 11 symphonies du compositeur autrichien. Une par an, à ce rythme prions pour que notre blog vive encore longtemps. Après les symphonies N° 4, 5 et 9, je profite de la nouvelle intégrale mise en chantier par Simone Young pour commenter la symphonie N° 2, une œuvre qui n'a pas forcément une discographie très large.
- M'sieur Claude, je ne comprends rien ! Vous parlez de 11 symphonies et la dernière, inachevée, est la 9ème !!!
- Très bien vu Sonia, cela mérite une explication…
Les 11 symphonies de Bruckner sont numérotées de 00 à 9. Le compositeur a rejeté de son catalogue la 00, une œuvre d'étude sympathique mais pas essentielle. Même chose pour la 0, mais là, l'histoire lui a donné tort. C'est une œuvre élégante qui mérite sa place, même si sa composition légèrement impersonnelle (quoique…) trouve sa filiation chez Mendelssohn (symphonie n° 5 "Réformation",) ou Schumann. Le style si particulier de Bruckner apparaît avec la symphonie n° 1 et s'affirme pleinement avec la 2ème écoutée ce jour.
Je ne reviens plus sur l'existence de "moine laïc" de Bruckner, homme timide, génie incompris, déprimé à ses heures (Clic). Pour tenter de faire jouer des symphonies bien trop difficiles à exécuter par les musiciens des orchestres du XIXème siècle, Bruckner ou ses élèves mutileront, réécriront des passages voire des mouvements entiers, travail qui dénaturera quasi systématiquement l'équilibre et l'inventivité souveraine de ces monuments orchestraux. L'absurde a été atteint avec la 3ème symphonie (8 éditions ou plus, jusqu'à 30 % de coupures et corrections calamiteuses) et la 8ème déclarée injouable même par ses amis. Il faudra un siècle pour que des musicologues avisés, comme Leopold Nowak ou Robert Haas, trient les lentilles et restituent pas à pas les partitions d'origine. Certaines variantes étant d'ailleurs intéressantes (final alternatif de la 4ème). Et le travail continue, la mouture la plus authentique de cette 2ème symphonie étant due au travail de William Carragan en 2005.
Cette symphonie écrite en 1871-1872 sera l'un des rares succès de Bruckner. Le musicien, bien que piètre chef d'orchestre, assurera la création d'une version révisée et bien accueillie en 1873. L'homme était d'une docilité remarquable pour accepter les conseils de ses amis ou élèves pour rendre plus aisée l'exécution de ses œuvres (conseils pas toujours avisés). "Rares succès" dis-je, car certaines symphonies, malgré d'impensables "simplifications", ne seront jamais jouées du vivant de son auteur. Ces révisions pour la 2ème sont moins pernicieuses, car visaient à des coupures et non à des réécritures, ou encore procédaient à l'inversion sans gravité entre l'adagio et le scherzo. Bruckner avait retenu la leçon de Beethoven plaçant son scherzo en seconde position dans sa 9ème symphonie, ce qui permet de détendre l'auditeur après une introduction très prenante de 20 minutes… La seconde symphonie est donc bien la première pierre d'un édifice symphonique de l'époque romantique sans équivalent par sa cohésion.
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La symphonie est dédiée à Liszt qui apprécia cette dédicace. L'orchestration est classique : 2/2/2/2 ; 4/2/3, timbales et cordes. Simone Young recourt à l'édition de William Carragan. L'enregistrement est une compilation de deux concerts donnés les 12 & 13 mars 2006 à Hambourg.

1- Allegro ; Ziemlich schnell : Bruckner complète l'indication italienne de tempo par une précision sur l'esprit et le climat souhaité, exprimé en allemand (assez vite). C'est l'une des premières signatures de ses techniques d'écritures. Elle fera école chez Mahler. Des trémolos des cordes introduisent délicatement le mouvement, les violoncelles les renforcent dès la troisième mesure, et les cors prolongent cette ébauche de motif dans la demi quatrième mesure… Pas de panique, j'arrête là, mesure 6, car pour ceux qui pensent encore que Bruckner n'était pas novateur, le premier thème comporte 25 mesures à 4/4 et s'étire sur 55" sans discontinuité !! On y trouve des sextolets, des appels lointains des trompettes… Autre signature de la magie brucknérienne : des thèmes très longs composés de lignes mélodiques élaborées mais agréables à suivre, une promenade dans un dédale musical à l'orchestration riche mais jamais confuse. On rencontre à la 26ème mesure un point d'arrêt brutal, une pause très marquée qui permet un retour du thème mais aux contrebasses. Le compositeur reste donc fidèle à la forme sonate, mais s'en échappe par ces thèmes complexes dont certains motifs réapparaissent par-ci par-là. On a souvent considéré Bruckner comme l'héritier symphonique de Wagner qu'il admirait. C'est assez vrai de par les contrastes abrupts de sa musique mais peu justifié si on considère que ce thème ne comporte aucune altération de sa tonalité d'Ut mineur alors que l'auteur des opéras baignait dans le chromatisme.
Inutile de préciser que 20 minutes de ce travail contrapuntique imaginatif, de ces développements variés, de l'esprit romantique voire métaphysique qui survole ce mouvement est un défi pour le chef d'orchestre ET les musiciens. Simone Young adopte un tempo moyen et pourtant une énergie sans faille jaillit de son orchestre. Cette direction contrôlée permet de valoriser chaque détail sans pour autant donner le sentiment d'un mouvement démesuré, reproche souvent fait à Bruckner. On rencontre hélas de la brutalité et de la confusion dans les échanges entre les pupitres dans nombreuses autres interprétations. Ici le phrasé est fluide. À défaut d'une couleur très personnelle, l'Orchestre Philharmonique de Hambourg joue sur la clarté, sur la franchise des timbres. Les cors semblent un peu rêches mais leurs interventions ne sont jamais incongrues ou décalées. Le choix de la version originale, un matériau brut et avant-coureur, se révèle bien plus passionnant que lors de l'écoute des versions affadies pour simplifier le travail des orchestre immatures de l'époque, et faciliter l'écoute par un public non préparé à de telles complexités et unités de temps. Même si cela est relativement discret dans cette œuvre raccourcie par la suite, mais non trahie au niveau de son écriture.

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2 - Scherzo (Schnell) : Bruckner était un personnage d'allure rustique. Ses scherzos ne le sont pas moins. Les premières mesures vigoureuses s'animent de traits énergiques des cordes graves. Voici une danse villageoise alerte et rythmée où les cuivres colorent d'une belle parure chasseresse la thématique. Le trio, plus pastoral, fait songer avec son élégante mélodie à un banquet estival. Les scherzos de Bruckner, quoique fort animés, se ressemblent beaucoup, comme si le compositeur n'avait jamais su sublimer ce passage obligé de la symphonie de forme classique. Ils sont sauvés par une orchestration robuste, la facétie des triolets et, dans le trio, un thème empreint de poésie. Détail inhabituel, une coda musclée succède à la reprise du scherzo. Une certitude, pour Simone Young, bucolique ne rime pas avec mièvrerie. Sa direction "punchy" du scherzo contraste gaiement avec l'idyllique trio…

3 – Adagio (Feierlich, etwas bewegt) : Bruckner enchaîne ici par un voyage astral. Un rondo méditatif qui deviendra un incontournable des symphonies ultérieures, un moment d'une grande spatialité. Une longue phrase élégiaque des premiers violons se déploie, les bassons seuls puis les bois apportent les touches de lumières. On entend également des délicats pizzicati chers au compositeur. La tonalité de la bémol majeur dédramatise ce mouvement qui devient ainsi un tendre divertissement. On se laisse porter par ce zéphire musical. Une seconde idée aux cordes et clarinettes appuyée par les cors montrent le degré d'imagination du compositeur, son sens des jeux de forme qui affolaient les musiciens de cette époque : un agrégat de duolets, triolets, croches pointées et quintolets sur les même temps de la mesure… Ok, je suis technique, mais en un mot : pour respecter les rythmes, bonjour ! Par contre, la mise en place rigoureuse de Simone Young éclaircit comme rarement ce solfège sophistiqué au bénéfice d'un climat mystérieux, aérien et même ludique dans les cinq parties de l'adagio. Une musique idéale pour les amateurs de relaxation et sophrologie. Le mouvement se termine par une douce coda (Feierlich/Solennelle) dans laquelle le compositeur laisse libre cours à une totale fantaisie. On le connaîtra plus sévère…
Pourquoi cette symphonie ne reçoit pas le même intérêt que les suivantes ? Bizarre, mais Simone Young démontre qu'avec cette édition originelle et son écriture insolite l'ouvrage échappe à tout académisme et tradition. Il se classe pleinement dans le corpus symphonique complet de Bruckner.

4 – Finale (Mer Schnell) : Avec ses 700 mesures, le final assure une symétrie grandiose avec l'allegro. L'écriture hiératique surprend par ses contrastes, ses conflits. L'orchestration se veut tumultueuse. Je ne répète pas mes commentaires suggérés par l'écoute des premiers mouvements. Interrogations existentielles et phases d'exaltation se succèdent, se combattent. Le contrepoint est particulièrement élaboré, on ne s'ennuie pas une seconde.  L'orchestre de Hambourg très bien capté reste d'une transparence essentielle dans cette musique survoltée.
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Pour ceux qui préfèrent une version courte, l'interprétation d'Eugen Jochum (1ère intégrale, gravure de 1967) dans l'édition de Nowak de 1965 restituant la version de 1876 est magnifique de grandeur et permet une découverte pertinente de l'ouvrage. Vingt minutes de moins ! L'orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise, tempos vifs, le son enchanteur des bois parfaitement capté, la fougue du maître, pas une ride. (Dgg - 5/6).
Il semblerait que Riccardo Chailly ait enregistré avec son Orchestre du Gewandhaus de Leipzig l'édition de William Carragan. Aucune trace dans le commerce de cette gravure (peut-être chez une association et de manière confidentielle). Par contre, la gravure de 1991 avec le Concertgebouw d'Amsterdam (l'orchestre brucknérien par excellence) est un modèle du genre. Chailly joue la version Haas contestée par Nowak, mais de vous à moi, les différences avec la partition utilisée par Simone Young sont très minimes (dans la coda finale). Un Bruckner poétique, un phrasé souple, des cordes soyeuses, une élévation spirituelle dans l'adagio qui annonce les grandes symphonies de la maturité. Avec son orchestre virtuose aux cuivres puissants, la coda du final paraît plus apocalyptique que celle entendue à Hambourg (Decca – 5/6).

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2 commentaires:

  1. Pat Slade21/2/15 17:05

    C'est Claire Gibault la première femme chef d'orchestre dans les années 90. La symphonie n°2 de Bruckner, que pense tu de la version de Karajan avec le philarmonique de Berlin chez DGG en 1981 ?? sur Anton BRUCKNER – Symphonie N° 2 – Simone YOUNG – Par Claude Toon

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  2. En effet, Claire Gibault est chef d'orchestre mais n'a jamais dirigé beaucoup d'orchestres de très haut niveau comme la philharmonie de Vienne. Elle n'a enregistré que 2 disques anecdotiques.
    Donc j'ai volontairement fait l'impasse.
    Maintenant elle s'est plutôt lancée en politique... au Modem... On pourrait cité plutôt Nadia Boulanger qui au début du XXème siècle dirigeait à des fins pédagogiques...

    Karajan dans la 2 en 1981 ? Vieille édition et style Caterpillar ! Pas terrible cette intégrale commencé dans les années 70 à part la 5. Il a fait mieux à la fin des sa vie avec les 7 & 8....

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