mercredi 14 novembre 2012

MAGIC SAM - 1937-1969 - (by Bibi)




Parmis les fameux inventeurs du West-Side Sound de Chicago, il y en a un dont le destin a été plus tragique que celui de ses collègues.

Né le 14 février 1937 à Grenada (Mississippi), le jeune Samuel Maghett fut assez tôt pris par le virus de la musique. Dans sa dixième année, il conçut lui-même un semblant de guitare (un diddley bow ?) et entreprit dès lors d'essayer de restituer des tonalités Blues. Il a été écrit que très certainement, lors de cet apprentissage, il s'était lié d'amitié avec un certain Morris Holt (1).


En 1950, suite à des problèmes familiaux, il rejoint sa tante à Chicago avec son frère . Là, sur les conseils de son oncle Shakey Jake (un chanteur et harmoniciste de Blues qui a déjà de la bouteille), Samuel continue l'étude de la guitare jusqu'à ce qu'il atteigne un niveau suffisant lui permettant de jouer devant un public. A ce moment-là, il aurait eu comme voisin Sylvester Thompson qui deviendra plus tard Syl Johnson. Ce dernier l'encourage et c'est son frère, Mark Thompson, qui deviendra le bassiste attitré de Sam. Il se fait la main avec un groupe de Gospel (The Morning View Special), ne jouant que dans les églises, avant de partir à l'assaut des clubs (notamment le fameux Cotton Club) en intégrant, courant 1955, le groupe d'Homesick James. Samuel adopte le nom de scène de « Good Rocking Sam », puis celui de « Magic Sam » (une idée de Mark Thompson). Quelque temps plus tard, il monte son propre groupe pour se lancer en solo sous ce dernier patronyme.

Son oncle, Shakey Jake, avec qui il joue de temps à autres, l'amène au « 708 Club ». Là, il convainc Muddy Waters, alors maître des lieux, de bien vouloir laisser jouer son neveu, après sa prestation. Le propriétaire du Club, conquis, engage Magic Sam en remplacement de Muddy Waters (ce dernier devant se substituer pour un autre contrat).
Grâce à ses prestations au « 708 Club », Magic Sam acquiert rapidement une notoriété locale non négligeable. Les autres clubs (1815 Club, Kirsey's Lounge, Blue Flame) lui ouvrent leur porte. Et c'est ainsi qu'il grave à vingt ans, en 1957, ses premières chansons pour le label d'Elie Costano, Cobra. Ce même label qui donna sa chance à Otis Rush (dès 56) et à Buddy Guy, et qui, en conséquence, participera à l'édification du West Side Sound. Car sans la production de disques, cette nouvelle branche du Chicago blues serait peut-être restée confidentielle.


Pendant deux années, de 1957 à 1959, Magic Sam grave une flopée de 45 tours qui présentent les caractéristiques d'une nouvelle branche du Chicago Blues : le West Side Sound. Son oncle, Shakey Jake, ne serait pas étranger à l'élaboration de ce nouveau son. Si sa musique de prédilection est le Blues, Magic Sam apprécie également le Gospel, la Country music et le Rythm'n'Blues. Et ainsi son oncle aurait contribué en l'aidant à se construire en mixant ses influences, en les incorporant à un terreau Blues. Si dans son jeu de guitare on y décèle l'influence du Texas (Gatemouth ?) et de la Californie (B.B. King), on y retrouve également, sous-jacent, quelque chose de Chuck Berry, d'Ike Turner, voire de Scotty Moore. Un peu comme si ces deux derniers avaient incorporé l'orchestre de Howlin' Wolf à la même époque. Un titre comme « 21 Days in Jail » est d'ailleurs très proche du Rock'n'Roll d'alors, et les phrasés nerveux (tout en aller-retour) de « Love with a Feeling » préfigurent Dick Dale.
Les faces Cobra les plus foncièrement Blues, sont très proches du style Otis Rush initié en 1956 avec des titres tels que « I Can't Quit You Baby » et « My Love Never Die », écrits par Willie Dixon. Toutefois Sam ne semble pas avoir autant de puissance émotionnelle qu'Otis. En comparaison, il paraît plus hésitant, sa guitare plus fragile.
« All Your Love » et « Easy Baby » sont ses premiers succès.


Malheureusement, son élan est stoppé net par son incorporation dans l'armée. Sa désertion n'arrange pas les choses (six mois de prison). Suite à d'importantes difficultés financières, le label Cobra n'est plus. Magic Sam repart pratiquement de zéro, il parvient à se produire mais uniquement dans les clubs de Chicago, et pas toujours les plus réputés. Autrement dit, il reste inconnu au-delà des murs de la Windy-city. Malgré tout, il parvient à enregistrer des 45 tours pour les labels Chief (a) et Crash. Toutefois, bien que profitant d'une bien meilleure prise de son, ainsi qu'un jeu plus maîtrisé et d'un chant plus affirmé, la tension et la sensibilité de Maghett sont gommées par des arrangements castrateurs, des chœurs et/ou les cuivres envahissants. Maghett semble chercher une voie autre que celle initiée sur les faces Cobra. Il crée alors un blues hybride, une mixture instable de BB King, de Freddie King et de Fats Domino (dont il reprend d'ailleurs, dans une superbe version, « Every Night About this Time »). Le potentiel est là, mais ne parvient ni à se stabiliser ni à s'épanouir. On frôle parfois le grand n'importe quoi (ces cloches horripilantes sur l'instrumental « Do the Camel Walk »). Sam a perdu la magie des années Cobra.

L'intégralité des faces gravées pour Cobra, Chief et Crash sont compilées sur le CD : « ... With a Feeling ! - The complete Cobra, Chief (a) & Crash recordings 1957 - 1966 ».


1967 est un nouveau départ. Son oncle est allé démarcher le producteur Robert G. Koester afin qu'il lui donne sa chance. Ce dernier lui fait enregistrer quelques titres pour une compilation (« Sweet Home Chicago »). La même année, certainement satisfait du résultat, il lui permet d'enregistrer un album entier, avec Mighty Joe Young (2), à la guitare, et Odie Payne (3) à la batterie. « West Side Soul », enregistré en seulement deux séances (le 12 juillet et le 25 octobre 1967), sort donc dans la foulée (fin 67 ou début 68) sur le label Delmark, et se place d'entrée comme un disque essentiel. Une pierre angulaire du Chicago Blues. Les ornementations ont été supprimées pour revenir à l'essentiel, remettant ainsi en valeur le talent de Magic Sam.

Dès les premières mesures de « That's All I Need », qui ouvre le disque, on comprend que l'on a affaire à quelque de fort : le mariage du Rythm'n'Blues et du Chicago-blues. Sam chante comme un écorché-vif.
« I Need You so Good » fait les yeux doux à BB et « I Feel So Good » à Freddie King (c'est toutefois moins puissant que chez le Texan). En seulement trois compositions, Magic Sam impressionne par son éclectisme et sa maîtrise. Il s'inscrit dès lors non seulement comme un des grands chanteurs de Blues de sa génération avec son falsetto qui n'est pas sans rappeler celui d'Otis Rush, et son jeu de guitare fin et contrôlé, qui, à la première écoute, semble être dans la continuité de celui d'Otis Rush (encore) et de Buddy Guy. On retrouve un fort bon « Sweet Home Chicago » (à cet effet, dans le film « The Blues Brothers », Jake Blues dédit ce titre au regretté Magic Sam), et un « Mama Talk to Your Daughter » (de JB Lenoir) passé en mode Boogie relativement appuyé, presque Rock. Néanmoins, à travers les compositions suivantes, il semble émerger diverses influences telles que celles de Chuck Berry, B.B. King (sa reprise de « I Need You so Bad »), T.B. Walker. Malgré quelques pains par-ci par-là, Magic Sam fait preuve d'une fort belle maîtrise, qui a parfois fait défaut à bon nombre de ses contemporains. Il y a parfois dans ses Blues une intensité dramatique rare. Du genre que l'on retrouve sur les premiers enregistrements d'Otis Rush, certaines pièces de Buddy Guy époque Vanguard, ou même de B.B. King (avant les violons). 
Indispensable.


Comme pour le précédent, « Black Magic » est enregistré (toujours par Delmark) en seulement deux jours (!). Les 11 juillet et 23 octobre 1968. Lafayette Leake  (4) au piano et Eddie Shaw (5), au saxophone, viennent en renfort. Ce qui donne pratiquement un super groupe de Chicago-Blues. Le résultat n'est pas nécessairement meilleur que « West Side Soul », du moins ce n'est pas flagrant, même si le sax de Shaw apporte un plus non négligeable.
Mieux enregistré et mixé, « Black Magic » me paraît toutefois moins frais que son prédécesseur (les avis sont partagés).

Là, encore, parmi ses propres compositions, on retrouve quelques reprises qu'il fait siennes. Même l'instrumental « San-Ho-Zay » (de Freddie King), après un premier mouvement sensiblement identique, se pare de teintes différentes (le saxe d'Eddie n'y est pas étranger).
En clôture, un « Keep Loving You Baby » qui n'a pas à rougir devant son géniteur (même si Otis Rush reste indétrônable au niveau du chant). Souvenir du temps (1968) où Sam avait accompagné le gaucher.

Encore aujourd'hui, ces deux albums sont unanimement salués par la critique, et sont à juste titre considérés comme des classiques du Chicago-Blues.
Au même titre que Buddy Guy et Otis Rush (certains diront plus), il fait partie de ceux qui ont fait évoluer le Chicago-Blues. C'est le West Side Sound.

Fort de ces deux 33 tours, Magic Sam part en Europe dans le cadre de l'American Folk Blues Festival. Il fait sensation lors du festival d'Ann Arbor. Les conditions de l'enregistrement d'un troisième opus sont déjà en cours, et John Mayall devrait en être le producteur. Sa carrière commence à prendre un nouvel essor.
Hélas, le 1er décembre 1969, Sam est victime d'une crise cardiaque. Évacué de toute urgence à l'Anthony Hospital de Chicago, les médecins ne parviennent pas à le ranimer.


(1) Morris est plus connu sous le patronyme de Magic Slim.
(2) Joseph Young, bien qu'ayant enregistré sa 1ère chanson dans les 50's, ne réalise son 1er album qu'en 1971 (sur Delmark). Sessionman apprécié, il joue aussi longtemps dans le groupe d'Otis Rush. Dans les 70's, son style se pare au besoin de Soul et de Funk. Après une parenthèse discographique de presque vingt ans, il refait surface avec un remarqué « Mighty Man » sur Blind Pig en 1997. Hélas, des problèmes de dos récurrents grèvent sa carrière. Il décède en 1999, à la suite d'une opération de la colonne vertébrale. Peu connu en Europe, c'était pourtant un excellent chanteur et guitariste.
(3) Odie Payne (27/08/1926 – 01/03/1989) était un batteur de session, notamment pour Cobra puis Chess. Auparavant, il faisait partie des Broomduster d'Elmore James, après avoir accompagné Little Johnny Jones, puis Tampa Red.On le retrouve sur bon nombre de disque du Chicago Blues
(4) Auparavant important sessionman pour Chess, on le retrouve sur de nombreux disques de Chuck Berry. Il joua pour Willie Dixon, Otis Rush, Junior Wells, Sonny Boy Williamson, Little Walter, Buddy Guy. Il décéda du diabète en 1990.
(5) Un moment dans le groupe de Muddy Waters (avec A.C. Reed), il joua également pour Freddie King, Otis Rush, Jimmy Dawkins, Hound Dog. Il incorpora la troupe d'Howlin' Wolf de 1972 à 1976 (soit jusqu'au décès de Chester Burnett) et participa à l'écriture de l'album « The Back Door Wolf ». De 1982 à 2005, il réalisa neuf albums sous son propre nom.

(a) Chief était un petit label indépendant qui ne produisit que des 45 tours avant de faire faillite en 1964. Créé par Mel London, également compositeur reconnu (« Messin' with the Kid », « Poison Ivy »), le petit label enregistra Elmore James, Earl Hooker, Junior Wells, A.C. Reed.



Séquences filmées problablement issues de la tournée en Allemagne (American Folk Blues 69).
All Your Love enchaîné à Magic Sam's Boogie (avec la guitare de Earl Hooker)


Dans la continuité (lien sur)Otis RUSH "the Classic Cobra Recordings-1956-1958"

5 commentaires:

  1. Ca ne doit pas être très confortable pour l'artiste d'avoir un caméraman sous le nez (ni pour les gens dans la salle), mais pour le spectateur devant son écran, c'est merveilleux. Un plan, au plus près des musiciens, sans mouvement de grue hollywoodien ou montage au hachoir... quel bonheur ! (Pour le DVD de Led Zep, qui sort ces jours-ci, Jimmy Page avait demandé à l'époque : pas de caméra-grue pendant la prestation !)

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  2. Tout comme Bill Graham qui a refusé que l'on place un échafaudage (ou un truc du genre) pour filmé le dernier concert du Band (The Last Waltz).

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  3. L'histoire du cameraman sous le nez me rappelle celle de Blackmore. La fois où lors d'un concert aux USA, avec le MK III, il fila un bon coup de crosse de Stratocaster au cameraman qui le suivait.
    De mémoire c'était lors du fameux festival (le California Jam, avec le "rainbow" sur la scène).

    J'espère que la Strato n'avait pas trop souffert...

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  4. Très bel article sur un bluesman légendaire (tu devrais nous rejoindre sur le Forum Au pays du Blues). Je croyais qu'il était en fait plus âgé quOtis Rush et que c'était lui qui avait influencé le gaucher à la 335. J'aime beaucoup cette période et ce son brut de Chicago qui a sûrement donné naissance ensuite à Buddy Guy et son style si brut de décoffrage. Je n'ai de Magic Sam que le West Side Soul mais je vais me pencher sur les utres disques que tu as mentionnés En tous cas merci de mettre à l'honneur cet artiste méconnu du grand public !

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    1. Merci Jipes.
      Effectivement, on peut souvent lire que Magic Sam EST LE créateur du West Side Sound. Or, si l'on se réfère uniquement à la date de sortie des 45 tours, Otis Rush a un an d'avance (et une discographie pour le label Cobra est plus abondante). Je pense que Magic Sam a bénéficié du syndrome du décès prématuré qui contribue à créer une légende. Ce qui n'enlève rien à ses qualités certaines. Je pense qu'il aurait pu être aussi "gros" que Buddy Guy.

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