Parmis les fameux
inventeurs du West-Side Sound de Chicago, il y en a un dont le destin
a été plus tragique que celui de ses collègues.
Né le 14
février 1937 à Grenada (Mississippi), le jeune Samuel
Maghett fut assez tôt pris par le virus de la musique. Dans sa
dixième année, il conçut lui-même un
semblant de guitare (un diddley bow ?) et entreprit dès lors
d'essayer de restituer des tonalités Blues. Il a été
écrit que très certainement, lors de cet apprentissage,
il s'était lié d'amitié avec un certain Morris
Holt (1).
En 1950, suite à
des problèmes familiaux, il rejoint sa tante à Chicago
avec son frère . Là, sur les conseils de son oncle
Shakey Jake (un chanteur et harmoniciste de Blues qui a déjà
de la bouteille), Samuel continue l'étude de la guitare
jusqu'à ce qu'il atteigne un niveau suffisant lui permettant
de jouer devant un public. A ce moment-là, il aurait eu comme
voisin Sylvester Thompson qui deviendra plus tard Syl Johnson. Ce dernier
l'encourage et c'est son frère, Mark Thompson, qui deviendra
le bassiste attitré de Sam. Il se fait la main avec un groupe
de Gospel (The Morning View Special), ne jouant que dans les églises,
avant de partir à l'assaut des clubs (notamment le fameux
Cotton Club) en intégrant, courant 1955, le groupe d'Homesick
James. Samuel adopte le nom de scène de « Good
Rocking Sam », puis celui de « Magic Sam »
(une idée de Mark Thompson). Quelque temps plus tard, il monte
son propre groupe pour se lancer en solo sous ce dernier patronyme.
Son oncle, Shakey
Jake, avec qui il joue de temps à autres, l'amène au
« 708 Club ». Là, il convainc Muddy
Waters, alors maître des lieux, de bien vouloir laisser jouer
son neveu, après sa prestation. Le propriétaire du
Club, conquis, engage Magic Sam en remplacement de Muddy Waters (ce
dernier devant se substituer pour un autre contrat).
Grâce à
ses prestations au « 708 Club », Magic Sam
acquiert rapidement une notoriété locale non
négligeable. Les autres clubs (1815 Club, Kirsey's Lounge,
Blue Flame) lui ouvrent leur porte. Et c'est ainsi qu'il grave à
vingt ans, en 1957, ses premières chansons pour le label
d'Elie Costano, Cobra. Ce même label qui donna sa chance à
Otis Rush (dès 56) et à Buddy Guy, et qui, en
conséquence, participera à l'édification du West
Side Sound. Car sans la production de disques, cette nouvelle branche
du Chicago blues serait peut-être restée confidentielle.
Pendant deux
années, de 1957 à 1959, Magic Sam grave une flopée
de 45 tours qui présentent les caractéristiques d'une
nouvelle branche du Chicago Blues : le West Side Sound. Son oncle,
Shakey Jake, ne serait pas étranger à l'élaboration
de ce nouveau son. Si sa musique de prédilection est le Blues,
Magic Sam apprécie également le Gospel, la Country
music et le Rythm'n'Blues. Et ainsi son oncle aurait contribué
en l'aidant à se construire en mixant ses influences, en les
incorporant à un terreau Blues. Si dans son jeu de guitare on
y décèle l'influence du Texas (Gatemouth ?) et de la
Californie (B.B. King), on y retrouve également, sous-jacent,
quelque chose de Chuck Berry, d'Ike Turner, voire de Scotty Moore.
Un peu comme si ces deux derniers avaient incorporé
l'orchestre de Howlin' Wolf à la même époque. Un
titre comme « 21 Days in Jail » est d'ailleurs
très proche du Rock'n'Roll d'alors, et les phrasés
nerveux (tout en aller-retour) de « Love with a Feeling »
préfigurent Dick Dale.
Les faces Cobra
les plus foncièrement Blues, sont très proches du style
Otis Rush initié en 1956 avec des titres tels que « I
Can't Quit You Baby » et « My Love Never Die »,
écrits par Willie Dixon. Toutefois Sam ne semble pas avoir
autant de puissance émotionnelle qu'Otis. En comparaison, il paraît plus
hésitant, sa guitare plus fragile.
« All
Your Love » et « Easy Baby » sont
ses premiers succès.
Malheureusement,
son élan est stoppé net par son incorporation dans
l'armée. Sa désertion n'arrange pas les choses (six mois de prison). Suite à
d'importantes difficultés financières, le label Cobra
n'est plus. Magic Sam repart pratiquement de zéro, il parvient
à se produire mais uniquement dans les clubs de Chicago, et
pas toujours les plus réputés. Autrement dit, il reste
inconnu au-delà des murs de la Windy-city. Malgré tout,
il parvient à enregistrer des 45 tours pour les labels Chief (a) et Crash. Toutefois, bien que profitant d'une bien meilleure prise de
son, ainsi qu'un jeu plus maîtrisé et d'un chant plus
affirmé, la tension et la sensibilité de Maghett sont
gommées par des arrangements castrateurs, des chœurs et/ou
les cuivres envahissants. Maghett semble chercher une voie autre que
celle initiée sur les faces Cobra. Il crée alors un
blues hybride, une mixture instable de BB King, de Freddie King et de
Fats Domino (dont il reprend d'ailleurs, dans une superbe version,
« Every Night About this Time »). Le potentiel
est là, mais ne parvient ni à se stabiliser ni à
s'épanouir. On frôle parfois le grand n'importe quoi
(ces cloches horripilantes sur l'instrumental « Do the
Camel Walk »). Sam a perdu la magie des années
Cobra.
L'intégralité
des faces gravées pour Cobra, Chief et Crash sont compilées sur le CD : « ... With a Feeling ! - The complete Cobra, Chief (a) &
Crash recordings 1957 - 1966 ».
1967 est un
nouveau départ. Son oncle est allé démarcher le
producteur Robert G. Koester afin qu'il lui donne sa chance. Ce
dernier lui fait enregistrer quelques titres pour une compilation
(« Sweet Home Chicago »). La même année,
certainement satisfait du résultat, il lui permet
d'enregistrer un album entier, avec Mighty Joe Young (2), à la
guitare, et Odie Payne (3) à la batterie. « West Side
Soul », enregistré en seulement deux séances
(le 12 juillet et le 25 octobre 1967), sort donc dans la foulée
(fin 67 ou début 68) sur le label Delmark, et se place
d'entrée comme un disque essentiel. Une pierre angulaire du
Chicago Blues. Les ornementations ont été supprimées
pour revenir à l'essentiel, remettant ainsi en valeur le
talent de Magic Sam.
Dès les
premières mesures de « That's All I Need »,
qui ouvre le disque, on comprend que l'on a affaire à quelque
de fort : le mariage du Rythm'n'Blues et du Chicago-blues. Sam chante
comme un écorché-vif.
« I
Need You so Good » fait les yeux doux à BB et « I
Feel So Good » à Freddie King (c'est toutefois
moins puissant que chez le Texan). En seulement trois compositions,
Magic Sam impressionne par son éclectisme et sa maîtrise.
Il s'inscrit dès lors non seulement comme un des grands
chanteurs de Blues de sa génération avec son falsetto
qui n'est pas sans rappeler celui d'Otis Rush, et son jeu de guitare
fin et contrôlé, qui, à la première
écoute, semble être dans la continuité de celui
d'Otis Rush (encore) et de Buddy Guy. On retrouve un fort bon « Sweet
Home Chicago » (à cet effet, dans le film « The
Blues Brothers », Jake Blues dédit ce titre au
regretté Magic Sam), et un « Mama Talk to Your
Daughter » (de JB Lenoir) passé en mode Boogie
relativement appuyé, presque Rock. Néanmoins, à
travers les compositions suivantes, il semble émerger diverses
influences telles que celles de Chuck Berry, B.B. King (sa reprise de
« I Need You so Bad »), T.B. Walker. Malgré
quelques pains par-ci par-là, Magic Sam fait preuve d'une fort
belle maîtrise, qui a parfois fait défaut à bon
nombre de ses contemporains. Il y a parfois dans ses Blues une intensité dramatique rare. Du genre que l'on retrouve sur les premiers enregistrements d'Otis Rush, certaines pièces de Buddy Guy époque Vanguard, ou même de B.B. King (avant les violons).
Indispensable.
Comme pour le
précédent, « Black Magic » est
enregistré (toujours par Delmark) en seulement deux jours (!). Les 11 juillet et 23
octobre 1968. Lafayette Leake (4) au piano et Eddie Shaw (5), au saxophone, viennent
en renfort. Ce qui donne pratiquement un super groupe de
Chicago-Blues. Le résultat n'est pas nécessairement
meilleur que « West Side Soul », du moins ce
n'est pas flagrant, même si le sax de Shaw apporte un plus non
négligeable.
Mieux enregistré
et mixé, « Black Magic » me paraît toutefois moins frais que son prédécesseur (les avis sont
partagés).
Là,
encore, parmi ses propres compositions, on retrouve quelques reprises
qu'il fait siennes. Même l'instrumental « San-Ho-Zay »
(de Freddie King), après un premier mouvement sensiblement
identique, se pare de teintes différentes (le saxe d'Eddie n'y
est pas étranger).
En clôture,
un « Keep Loving You Baby » qui n'a pas à
rougir devant son géniteur (même si Otis Rush reste
indétrônable au niveau du chant). Souvenir du temps (1968) où Sam avait accompagné le gaucher.
Encore
aujourd'hui, ces deux albums sont unanimement salués par la
critique, et sont à juste titre considérés comme
des classiques du Chicago-Blues.
Au même
titre que Buddy Guy et Otis Rush (certains diront plus), il fait
partie de ceux qui ont fait évoluer le Chicago-Blues. C'est le
West Side Sound.
Fort de ces deux
33 tours, Magic Sam part en Europe dans le cadre de l'American Folk
Blues Festival. Il fait sensation lors du festival d'Ann Arbor. Les
conditions de l'enregistrement d'un troisième opus sont déjà
en cours, et John Mayall devrait en être le producteur. Sa
carrière commence à prendre un nouvel essor.
Hélas, le
1er décembre 1969, Sam est victime d'une crise cardiaque. Évacué de toute urgence à l'Anthony Hospital de
Chicago, les médecins ne parviennent pas à le ranimer.
(1) Morris est plus connu sous le patronyme de Magic
Slim.
(2) Joseph Young, bien qu'ayant enregistré sa
1ère chanson dans les 50's, ne réalise son 1er album
qu'en 1971 (sur Delmark). Sessionman apprécié, il joue
aussi longtemps dans le groupe d'Otis Rush. Dans les 70's, son style
se pare au besoin de Soul et de Funk. Après une parenthèse
discographique de presque vingt ans, il refait surface avec un
remarqué « Mighty Man » sur Blind Pig en
1997. Hélas, des problèmes de dos récurrents
grèvent sa carrière. Il décède en 1999, à
la suite d'une opération de la colonne vertébrale. Peu
connu en Europe, c'était pourtant un excellent chanteur et
guitariste.
(3) Odie Payne (27/08/1926 – 01/03/1989) était
un batteur de session, notamment pour Cobra puis Chess. Auparavant,
il faisait partie des Broomduster d'Elmore James, après avoir
accompagné Little Johnny Jones, puis Tampa Red.On le retrouve
sur bon nombre de disque du Chicago Blues
(4) Auparavant important sessionman pour Chess, on le
retrouve sur de nombreux disques de Chuck Berry. Il joua pour Willie
Dixon, Otis Rush, Junior Wells, Sonny Boy Williamson, Little Walter,
Buddy Guy. Il décéda du diabète en 1990.
(5) Un moment dans le groupe de Muddy Waters (avec A.C.
Reed), il joua également pour Freddie King, Otis Rush, Jimmy
Dawkins, Hound Dog. Il incorpora la troupe d'Howlin' Wolf de 1972 à
1976 (soit jusqu'au décès de Chester Burnett) et
participa à l'écriture de l'album « The Back
Door Wolf ». De 1982 à 2005, il réalisa neuf
albums sous son propre nom.
(a) Chief était un petit label indépendant
qui ne produisit que des 45 tours avant de faire faillite en 1964.
Créé par Mel London, également compositeur
reconnu (« Messin' with the Kid », « Poison
Ivy »), le petit label enregistra Elmore James, Earl
Hooker, Junior Wells, A.C. Reed.
Séquences filmées problablement issues de la tournée en Allemagne (American Folk Blues 69).
All Your Love enchaîné à Magic Sam's Boogie (avec la guitare de Earl Hooker)
Dans la continuité (lien sur) : Otis RUSH "the Classic Cobra Recordings-1956-1958"
Ca ne doit pas être très confortable pour l'artiste d'avoir un caméraman sous le nez (ni pour les gens dans la salle), mais pour le spectateur devant son écran, c'est merveilleux. Un plan, au plus près des musiciens, sans mouvement de grue hollywoodien ou montage au hachoir... quel bonheur ! (Pour le DVD de Led Zep, qui sort ces jours-ci, Jimmy Page avait demandé à l'époque : pas de caméra-grue pendant la prestation !)
RépondreSupprimerTout comme Bill Graham qui a refusé que l'on place un échafaudage (ou un truc du genre) pour filmé le dernier concert du Band (The Last Waltz).
RépondreSupprimerL'histoire du cameraman sous le nez me rappelle celle de Blackmore. La fois où lors d'un concert aux USA, avec le MK III, il fila un bon coup de crosse de Stratocaster au cameraman qui le suivait.
RépondreSupprimerDe mémoire c'était lors du fameux festival (le California Jam, avec le "rainbow" sur la scène).
J'espère que la Strato n'avait pas trop souffert...
Très bel article sur un bluesman légendaire (tu devrais nous rejoindre sur le Forum Au pays du Blues). Je croyais qu'il était en fait plus âgé quOtis Rush et que c'était lui qui avait influencé le gaucher à la 335. J'aime beaucoup cette période et ce son brut de Chicago qui a sûrement donné naissance ensuite à Buddy Guy et son style si brut de décoffrage. Je n'ai de Magic Sam que le West Side Soul mais je vais me pencher sur les utres disques que tu as mentionnés En tous cas merci de mettre à l'honneur cet artiste méconnu du grand public !
RépondreSupprimerMerci Jipes.
SupprimerEffectivement, on peut souvent lire que Magic Sam EST LE créateur du West Side Sound. Or, si l'on se réfère uniquement à la date de sortie des 45 tours, Otis Rush a un an d'avance (et une discographie pour le label Cobra est plus abondante). Je pense que Magic Sam a bénéficié du syndrome du décès prématuré qui contribue à créer une légende. Ce qui n'enlève rien à ses qualités certaines. Je pense qu'il aurait pu être aussi "gros" que Buddy Guy.