Bon... ouais... pour sûr... des disques de Blues, y'en a à la pelle. Des disques de bouses encore plus, mais là, on s'en fout, sinon que c'est une empreinte carbone dont on se passerait. Et des disques en "hommage", depuis quelques années, il en sort à toutes les sauces ; suffisamment pour qu'on en fasse une sévère indigestion, suivi d'un rejet immuable. Des disques de Bonamassa, aussi, y'en a une tripoté. Cependant, bien que le gars fasse polémique, - ce qui serait probablement moins le cas s'il était black -, même son disque le moins intéressant contient son lot de brûlots. Infatigable et vraiment voué corps et âme à la musique, depuis quelques années, entre deux tournées et deux enregistrements, il trouve le temps de travailler avec d'autres compères musiciens. Et, quasi systématiquement, ses contributions donnent de très bonnes productions qui ne sont pas loin de faire l'unanimité. Le gars ne craint pas la concurrence, ou il n'en a rien à faire. Il a visiblement un grand respect pour les artistes qu'il produit et/ou accompagne. Et s'il peut les aider à donner le meilleur d'eux-mêmes et à ramasser les suffrages, c'est tant mieux. Mission accomplie.
Pour la seconde fois, il a offert ses services, avec l'aide de Josh Smith, à Eric Gales. Eric Gales qui, en dépit d'un départ fracassant, où on le comparait à Jimi Hendrix, a bien failli rejoindre le club des musiciens qui ont gâché leur talent - et leur vie. En effet, celui qui, avant même ses vingt ans, avait fait sensation à l'aube des années 90, et même avant cela était déjà considéré comme un enfant prodige (premier contrat à quinze ou seize ans...), eut tôt fait de tomber dans de terribles addictions dont il faillit ne jamais revenir. Au début du siècle, si son talent, sa fascinante facilité à la guitare, sont toujours évidents, à maintes reprises, il semble en pilotage automatique. En conséquence, des disques inégaux, avec des morceaux grevés par un babillage stérile. Sa santé semble aussi en prendre un coup, Eric paraissant avoir dix ans de plus. Finalement, il a un sursaut de fierté et décide de se faire violence pour remonter doucement la pente.
Apparemment désormais clean, assaini, sa production retrouve des couleurs, de la cohérence et de la pertinence - même si Eric retombe parfois dans le travers d'en faire des caisses. Sur scène, bien que voûté, il déborde à nouveau d'énergie. Visiblement heureux de pouvoir à nouveau communier avec le public, de prendre ses aises jusqu'au débordement, à l'avalanche de notes. Incluant dans son robuste Blues-rock, pour le plaisir des uns et au grand dam des autres, des hommages non dissimulés à des classiques du heavy-rock. Des prestations aussi entrecoupées de confessions sur ses erreurs passées, et de sermons contre les méfaits de l'alcool et de la drogue. Fatiguant et saoûlant, pour ceux qui ont pu le voir en concert ressasser des prêches sur les terribles méfaits des addictions - et le besoin de retrouver Dieu. Lors de ces aveux publics, il ne se fait – ou ne se faisait - pas de cadeaux, estimant qu'il était devenu une personne de mauvaise compagnie, un gars peu recommandable, faible et lâche, n'ayant d'autre ami que la drogue et l'alcool. Des propos probablement opportuns, mais qui minaient considérablement l'intensité de ses prestations.
Cependant, malgré ses homélies, Eric Gales est parvenu à revenir sur le devant d'une scène qu'il n'aurait jamais dû quitter.
Cette année, Eric a voulu rendre hommage à l'un de ses frères. En l’occurrence à Emmanuel Lynn Gales, plus connu sous le nom de scène de Little Jimmy King. Patronyme adopté, après quelques années dans le groupe d'Albert King, lorsqu'il tente sa chance en solo. Ce dernier, véritable mentor du jeune Manuel, était protecteur envers lui, le considérant quasiment comme un membre adoptif de sa famille. Ainsi, lorsque Manuel Gales décide de voler de ses propres ailes, il se baptise Little Jimmy King en hommage à ses deux principales idoles : Jimi Hendrix et Albert King. On lui avait prédit une belle carrière, cependant, en dépit de critiques positives et encourageantes, il n'eut pas autant d'écho que son petit frère, Eric. Il ne réalisa en tout et pour tout que trois disques studio (sur Bullseye Blues) et termine le siècle dernier dans un semi-anonymat, avant de décéder précocement le 19 juillet 2002, à 37 ans, des suites d'une crise cardiaque.
Manuel Gales, alias Little Jimmy King qui, avec l'aîné Eugene, avait enseigné au cadet Eric, les rudiments de la guitare. Manuel et Eugene étant gauchers, et jouant « à l'envers », soit avec des guitares de droitiers simplement retournées - sans changer le sens des cordes (et donc avec le mi grave en bas) -, Eric apprend donc tout naturellement, à jouer de la même façon que ses frangins. Bien qu'il soit droitier, il lui semblait normal de jouer ainsi, puisqu'avant même d'empoigner la moindre gratte, il voyait sa fratrie jouer ainsi. Depuis, Eric n'a jamais songé à changer de position. Alors qu'il y a des exemples de musiciens gauchers célèbres qui ont toujours joué comme des droitiers, Eric doit être le seul droitier jouant comme un gaucher – avec tous les inconvénients inhérents. Soit avec les potards qui entament le poignet, un sélecteur de micros qu'on bouscule par inadvertance et, suivant une large majorité de pelles, un accès aux aigus réduit.
Aujourd'hui, Eric a voulu rendre un juste hommage à ce frère qu'il a toujours admiré. Répétant régulièrement qu'il aurait dû être reconnu comme l'un des meilleurs de son temps. Ainsi, profitant de sa nouvelle exposition internationale, Eric Gales espère le réhabiliter avec un disque à son hommage, entièrement dédié à son répertoire. On pouvait craindre un album sans grand relief, or, c'est une franche réussite. Peut-être même un grand disque de Blues. En tout cas, il invite à réécouter les disques "perdus" de Little Jimmy King. Pourtant, sur dix pièces, seules trois sont de Manuel. Trois sont d'Eugene, et le reste, des reprises que Manuel avait inclus dans son répertoire, dont le slow-blues « Something Inside Me » de Fleetwood Mac (composition de Danny Kirwan, uniquement disponible sur la compilation américaine "English Rose" et sur le live tardif "Shrine '69" édité en 1999). Un morceau peu connu du quintet anglais. À l'origine à mi-chemin entre Otis Rush et Albert King, mais qui se pare ici d'un manteau Stevie Ray Vaughan ; avec en conséquence quelques bends vertigineux. En fait, à l'origine, c'est une chanson d'Elmore James retravaillée, soit dépourvue de ses cuivres et de la slide rouillée et abrasive de James. L'originale surpassant aisément celle des Anglais. Pour revenir au style "velvet bulldozer", "Worried Man" est en bonne place.
Eric inclut également trois morceaux issus du bien nommé "Left Hand Brand", sorti en 1996. Unique production de l'éphémère mais explosif Gales Brothers, véritable ouragan de blues-rock pyromane débordant de grattes fumantes, pétillantes et agitées (2). L'ébouriffant "Rockin' Horse Ride" chargée de wah-wah bouillonnante - ici avec Christone Kinghish Ingram (1) - , un " Guitar Man" en mode boogie crâneur, et un "Somebody" en clôture qui permet à Eric de réaliser un vieux rêve. Celui d'enregistrer avec Buddy Guy. Au siècle dernier, Buddy avait plusieurs fois partagé la scène avec Little Jimmy. Ce dernier finissant par le rejoindre régulièrement pour quelques finals de feu. Ce dernier morceau débute en Blues acoustique et solitaire (mode "Blues Singer" 2003), puis, lentement, l'électricité et la batterie s'immiscent, durcissant progressivement le son. Jusqu'à l'extase, l'explosion. Avant de terminer par un coda revenant à l'acoustique, où les deux chanteurs se répondent avec respect. Une passation ? Qui sait ? Buddy Guy a bien retrouvé le succès à 50 ans passés, avec des proportions telles qu'il ne l'aurait jamais imaginé ni espéré auparavant. Cela pourrait être aussi le cas pour Eric Gales.
Il semblerait bien que jamais jusqu'alors, Eric n'avait mis autant d'émotion dans ses soli. On retrouve là un Blues fringuant, débordant d'énergie solaire, parfois à la frontière du rock, tiraillé entre une certaine "tradition" et une envie de toucher une modernité teintée de funk volcanique avec une tonalité inspirée du rock. Un chemin en partie déblayé pour le grand public par feu-Stevie Ray Vaughan (3), et élargi dans les années 90 par de jeunes loups tels que Larry McCray, Lucky Peterson, et Carl Weathersby.
Le son de la guitare d'Eric est d'une belle intensité sur cet album. De celle qu'on obtient normalement avec de bons amplis naturellement crunchy, qui, à l'exception de quelques émulations spatiales, n'ont pas besoin de s'embarrasser d'une pléiade de pédales pour avoir le son. Un son mat, rond, un peu gras, crunchy sans aspérité qui pourrait évoquer les amplis Magnatone ou les fameux Dumble. Néanmoins, Eric trimballe toujours son pedal-board équipé de sa MXR signature, l'overdrive Raw Dawg (2), d'une fuzz Colossus Mojo Hand (d'inspiration Big Muff version "Russian"), d'un boost Tech 21 D.L.A. (probablement ouverte en permanence) et d'une Wah Custom Audio Electronics (une bien belle bête).
Avec cet album, Eric Gales pourrait bien atteindre la notoriété que lui et ses frères ont toujours aspiré - sans toutefois que ce ne soit jamais une priorité. Un des meilleurs albums de Blues de l'année (du moins qu'il m'a été donné d'écouter).
P. S. : En 2024, Eric Gales a été embauché par Ludwig Göransson pour jouer les soli de guitares, avec Christone Kingfish Ingram, des morceaux composés pour le dernier film de Ryan Coogler ("Creed", "Black Panther"), « Sinners ».
(1) La musique de Little Jimmy King aurait eu une grosse influence sur Christone.
(2) Aujourd'hui difficile à trouver car sorti sur House of Blues Music Company. La boîte lancée par House of Blues Entertainment. Soit par la société de restaurants pourvus de salles de concerts, fondée par Dan Aykroyd, James Belushi et Aerosmith (ainsi que le musicien de session et compositeur Paul Shaffer). Dans les années 90, HOB avait essayé de s'incruster timidement dans le marché du disque. Dans leur catalogue, on retrouvait le deuxième effort du Derek Trucks Band, deux albums des Blind Boys of Alabama (avant leur récupération par Virgin), le retour d'Otis Rush, et une tripotée d'albums live enregistrés dont un de Yes, un autre d'Etta James et, évidemment, du dernier des Blues Brothers (avec James à la place de John)
(3) Qui lui-même, déjà, devait beaucoup à Lonnie Mack, Albert King, Buddy Guy, Earl King, Hendrix et, dans une certaine mesure, Albert Collins. Ce dont il ne se cacha jamais, au contraire.
(4) Raw Dawg est également son surnom.
🎵🃎🏆





tout à fait d'accord avec toi en ce qui concerne ce disque ; Il traîne tout près de ma platine depuis sa sortie. J"ai eu un peu de mal avec les disques d'Eric Gales ces dernières années , mais la sortie en 2022 de "Crown" m'a rapproché de l'artiste , disque produit aussi par Bonamassa . Si tu ne l'a pas écouté , je te le conseille , brillantissime!
RépondreSupprimerEt pour l'avoir vu sur scène la première fois avec Anna Popovic et ensuite avec Bonamassa (souvenir impérissable!) il faut reconnaitre que l'homme impressionne! En revanche j'ai été un peu déçu par ses prestations sur le dernier Crossroads de Clapton . Et puis ce look bling bling pas possible avec énorme montre en or et bijoux à l"avenant .....on dirait un Trump bluesy ....
J'ai également eu la chance d'avoir pu voir le phénomène (probablement mon avant dernier concert). Indéniablement, il est vraiment très fort. Malheureusement, le set a été grevé par une batterie trop en avant (le martèlement manquait de m'arracher le cœur ) et des phases d'Eric Gales où il tire - à mon sens - un peu trop sur des ficelles évidentes. Avec aussi un poil trop d'esbrouffes, des trucs d'escrocs de "guitar hero". C'est-à-dire des séquences où il ressort des plans éculés faussement techniques, avec poses à l'avenant. Et une satisfaction de lui-même comme s'il venait de renvoyer à leur bac à sable Blackmore-Hendrix-Satriani-Kotzen-Gilbert-Trower... Bref, un peu de cinéma (il fait aussi le spectacle). On ne lui en veut pas. Il revient de loin et goûte à nouveau au succès.
SupprimerLors de ses "démonstrations", une partie du public réagit comme si on lui avait brûlé l'arrière train. Des gosses... J'me suis demandé si, pour certains, c'était leur premier concert de Blues-rock. Des années en arrières, fin 80, Buddy Guy m'avait nettement plus impressionné, avec l'air de ne pas y toucher et de foutre le feu. Et ne parlons pas de Lucky Peterson des années 90.
En fait, souvent, je trouvais Gales impressionnant en rythmique - tout en chantant et haranguant le public -, plus que lors de ses derniers envolées solistes "tape-à-l'oeil". Ainsi que sa façon d'inclure des chorus, des appogiatures entre ses riffs, sans que cela n'est la moindre incidence sur son indéfectible tempo et la justesse de son chant.
Malgré quelques menues critiques, et, hélas, la batterie (qui était à deux doigts de me faire péter un câble et m'inciter à empoigner le gars qui m'avait bousculé en s'extasiant devant un solo à ma portée avec une main bandée - déjà j'ai gueulé... 😏 -), c'était une bonne prestation.
J'en avais écouté deux/trois sans être vraiment convaincu: je n'en ai donc aucun. En revanche, j'ai deux Little Jimmy King. Pas mal, sans être renversant.
RépondreSupprimerJe pensai avoir "Soldier for the Blues", mais pas retrouvé... peut-être qu'on me l'avait prêté. De mémoire, je rejoindrai ton avis. Les versions d'Eric me paraissent préférables, déjà parce qu'il est meilleur chanteur. J'aurais bien mis la main sur un live, car Little Jimmy me semblait plus dans son élément qu'en studio.
SupprimerSur "It takes a whole lot of money" (très beau shuffle...), ne serait-ce pas le fantôme d'Albert Collins qui s'est glissé dans le studio ? (qui lui même reprenait, en plus incisifs, quelques plans de BB King)
RépondreSupprimerTout à fait Luc. C'est absolument ça. C'est d'ailleurs ce que j'ai écrit 😁
SupprimerOups, c'est vrai ! Mais bon, c'était pour frimer et montrer que je l'avais trouvé tout seul...
SupprimerJ'ai écouté le live "A night on the sunset strip", pas mal du tout, dommage que le clavier n'arrive que vers la fin, il est moins stricto-blues que ce dernier album.
RépondreSupprimerJe ne connais pas cet album, mais oui, sinon, bien qu'il est évident que ses racines sont ancrées dans le Blues, Eric Gales sort souvent du cadre du Blues. À ce titre, il a été comparé à Bernard Allison.
SupprimerD'ailleurs, je remarque sur cet album live, il reprend "Don't Fear the Reaper", "Kashmir" et "Back in Black".
Pour ce dernier, il est probable que cela ne soit qu'une parenthèse. En effet, en concert, il s'amuse à introduire des riffs célèbres. À force, ça fait un peu trop "gros sabots", un truc facile pour faire réagir le public.
Il finit avec le "Miss you" des Stones réadapté et pas mal du tout. Et oui, on entend ici où là des citations, qui me rappellent les impros de Blackmore lorsqu'il plaçait des passages de musique classique (notamment dans les intros à rallonge). Beaucoup d'interactions avec le public.
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