Parmi la multitude de pépites oubliées des années soixante-dix, un humble quintet qui, malgré d'indéniables qualités, ne parvint jamais à décoller. Pourtant, des décennies plus tard, le nom du groupe revient systématiquement dans les conversations, chez les amateurs de rock-progressif et de Rock seventies. Un nom qui revient aussi dans certains ouvrages liés à cette période. Le groupe, c'est Paladin (1).
Le groupe se forme en 1970, à l'initiative du claviériste Peter Solley et du batteur Keith Webb. Tous deux accompagnaient Terry Reid depuis quelques mois, ils sont déjà sur le magistral album éponyme de Reid (Solley, lui, est déjà présent sur le 1er opus de 1968) -. mais souffrent de ne pouvoir enregistrer leurs propres compositions. Devant le succès croissant de Reid, et regrettant de ne pouvoir profiter un peu de cette lumière qu'accapare leur boss, ils prennent la résolution de le quitter après la tournée en première partie des Rolling Stones aux USA. Rentrés en Angleterre, ils s'empressent de monter leur groupe en ne recrutant que des musiciens expérimentés. Tous se sont aguerris au sein de quelques obscures formations qui ont tourné (au Royaume-Uni) et enregistré quelques chansons. De jeunes musiciens forts d'une certaine expérience sans jamais avoir connu le succès ; ce qui évite ainsi d'avoir dans les pattes un paon, aveuglé et abruti par son petit succès.
Le duo recrute Lou Stonebridge en chanteur principal, qui sait également se débrouiller à l'harmonica et surtout au piano. Un choix réfléchi, qui va permettre au groupe d'étoffer son orchestration avec deux tonalités de clavier distinctes - piano vs orgue, Hammond vs piano électrique. Cependant, en dépit de cette particularité d'avoir deux claviéristes, avec pour conséquence l'omniprésence de claviers, c'est loin de crouler sous les instruments, contrairement à ce qui se passe chez Atomic Rooster ou Emerson Lake & Palmer. À la guitare, un certain Derek Folley, aussi choriste et pas manchot à la slide - et qui a déjà joué avec Stonebridge. Pour finir, à la basse, Peter Beckett. Ce dernier sera le seul avec Peter Solley a avoir une longue carrière musicale.
Le quintet est signé par Bronze Records, le label anglais alors plutôt spécialisé dans le rock progressif avec Colosseum, Manfred Mann , Hawkwind, Osibisa, et Uriah Heep, avant de passer du côté obscur avec Motörhead, The Damned, Girlschool et Angel Witch.
Bien qu'uniquement composé de musiciens anglais, et malgré le fait que seuls Solley et Webb ont eu l'occasion de tourner outre-Atlantique, la musique sonne généralement plus américaine que britannique. À commencer par "Bad Times", qui débute l'album en ouvrant une fenêtre sur ni plus ni moins que Santana. Avec un Solley particulièrement en forme qui déploie autant d'énergie que Michael Shievre à Woodstock. Cependant, lorsque le tempo s'élève sur la seconde partie, les parties de clavier exploitent une matière jazzy - ce qui, du coup, préfigure le Santana des années à venir. On retrouve encore l'influence du groupe de San Francisco avec l'adjonction de percussions sur le cool petit instrumental "Dance of the Cobra", où il est évident que si Folley est un bon guitariste, il n'a ni l'étoffe de Carlos, ni son sens du rythme ou de la mélodie. Instrumental qui donne l'occasion à Peter Solley de montrer ses capacités. Son kit de batterie prend cher. Bon, inévitablement, avec un batteur comme leader, il faut qu'il y ait de la batterie partout, qu'il y en ait des tonnes - ou des caisses. Solley ne s'en prive pas, et même s'il est effectivement bon, il aurait dû se restreindre. En particulier sur le premier instrumental.
"Fill Up Your Heart" n'échappe pas non plus à l'affiliation Santanaesque, toutefois son approche peut également évoquer Steely Dan.
Même leurs ballades résonnent comme une virée au pays de l'oncle Sam. Etonnamment, "Carry Me Home", lui, bien qu'imprégné de Soul, préfigurerait presque la ballade de rock sudiste façon Lynyrd Skynyrd - sans les duels de grattes. Tandis que pour "Flying High", plus léger, pop même, ça s'envole du côté du groupe Chicago.
Avec ses percussions typées africaines, "Third World" fait de la World avant l'heure... en moins bien que ne l'avait déjà fait le Ginger Baker's Air Force l'année précédente. Dommage que le morceau se conclut par un fondu alors que la troupe commençait à développer une savoureuse trame latin-jazz-rock. Une chanson naïve déclamée comme si un prêtre, ou un passeur, racontait le passé du monde à ses ouailles "1974 : la Terre a explosé dans une guerre comme jamais vu auparavant. Les terres s'effondraient en poussière, et rien de ce qui avait été n'a été laissé intact. 1975 : ceux d'entre nous encore en vie, faisaient de leur mieux pour survivre. Tous les politiciens sont morts. Où sont ceux ui comptaient vraiment ? ... 1976 : la signification du crucifix. La politique a été reléguée. La Terre est revenue aux voies spirituelles, et ainsi avons commencé à penser à l'avenir. 1977 : nous essayons de vivre nos vies, comme écrit par les lois du ciel, élevant nos jeunes avec amour ... 1978 : nous avons dit au monde de s'émanciper. D'habituelles vibrations à générer. Le genre de sentiment qui a été perdu, quand l'homme a oublié la raison de l'existence. 1979 : les chantres du tiers-monde ont été définis, dans lequel chaque humain s'est vu attribuer le droit de vivre comme il le désire. Le seul à qui il répond est Dieu ". Si Solley est déjà à 22 ans, un musicien aguerri et compétent, il en est tout autre pour ses talents d'auteur...
Incongrue, une reprise de "The Fakir" de Lalo Schifrin (2) et Caj Tjader (album "Several Shades of Jade" de C. Tjader de 1963) vient terminer singulièrement ce premier essai. Une version assez fidèle bien que rallongée afin que Solley démontre, non plus ses aptitudes à la batterie, mais cette fois-ci au violon. Intéressant, oriental, presque hypnotique, dépaysant, mais un tantinet hors de propos. À savoir que le violon a été son instrument principal lors de ses années d'études classiques. Instrument qu'il n'aimait pas particulièrement, pour ne dire qu'il le détestait, mais qu'il finit à sa grande surprise, par maîtriser.
Un disque un peu bancal, qui souffre probablement de la fraîcheur de sa formation, grevé par les deux soli de Solley qui prend un peu trop ses aises - on a connu bien pire -, mais son charme est indéniable. Aujourd'hui encore, il fait la joie des amateurs. Cette formation avait les capacités de faire une belle carrière dans une filière où se croisent les Chicago, Keef Hartley Band, Ginger Baker's Air Force, Steely Dan, voire Santana, mais en dépit d'un second opus plus abouti, le succès ne viendra pas. Et avant la fin de l'année 1973, le groupe arrête les frais.
✏ Peter Solley rejoint Mick Moody pour son très bon SNAFU, mais quitte le groupe avant le troisième disque. Il incorpore Procol Harum peu avant la fin, pour un dernier album, "Something Magic". Dans la foulée, il est sollicité par David Coverdale et participe au "Snakebite" (Ep) de Whitesnake. La décennie suivante, lassé des tournées, d'un succès insaisissable bien que toujours à portée, il se contente de travailler pour la télévision (jingles et pub), avant de se diriger vers la production où il parvient à se faire un nom - en travaillant pour Mountain, The Romantics, Peter Frampton, Oingo Boingo, Nugent, et même Motörhead ("1916"). Il fait à nouveau des concerts au sein de groupes de Jazz et dirige un temps l'orchestre philarmonique de New-York. Dans sa longue carrière, Solley a eu l'occasion de faire des jams, des essais ou de dépanner des groupes (il a tourné avec le Crazy World d' Arthur Brown et on le retrouve sur des disques d'Al Stewart et d'Eric Clapton). Certains lui ont alors proposé de les rejoindre. S'il a bien répondu favorablement à Procol Harum (avec enthousiasme) puis à Moody pour Whitesnake (avant l'incorporation de Jon Lord), il refusa la proposition des Kinks (parce que tout simplement leur musique ne le branche pas) et celle de Rainbow. Peter Solley est décédé le 16 novembre 2023, à Brattleboro (petite ville du Vermont).
✏ Peter Beckett, l'autre Peter à avoir fait son chemin, part pour la Californie où, en 1976, il rejoint d'autres gars du coin pour fonder "Player". Un groupe de soft rock dont le premier disque a connu un certain succès (grâce à une chanson, "Baby Come Back", un truc sirupeux à la "Saturday Night Fever", qui grimpa à la 1ère place des charts) avant de doucement, mais sûrement, dégringoler. Lui aussi quitte un temps la scène. Il ne la retrouve qu'avec les Australiens de Little River Band, avec qui il demeure pendant huit années. Auparavant, il gagne sa croûte en composant pour d'autres chanteurs (dont Kenny Rodgers, Janet Jackson et Olivia Newton-John... (sic) ), ainsi que pour la télévision et le cinéma. Beckett réalise deux albums solo et retrouve Player pour un cinquième disque en 1995 et quelques concerts commémoratifs
(1) Absolument aucun rapport avec le groupe de thrash métôl Paladin, ou avec The Paladins.
(2) Boris Claudio Schifrin, d'origine argentine, né le 21 juin 1932 et décédé le 26 juin dernier, à Los Angeles à 93 ans. Pianiste, chef d'orchestre et compositeur, Lalo Schifrin accède à la célébrité en composant pour le grand et le petit écran. Notamment Il marque de son empreinte la télévision avec, en autres, "Mannix", "L'odyssée sous-marine de Cousteau", "La Planète des Singes", "Starky & Hutch", et surtout "Mission Impossible" ; probablement l'un des gimmicks les plus connus. Le cinéma lui doit la B.O. de "The Liquidator", "La kid de Cicinnati", "Bullitt", "De l'or pour les braves", "Opération Dragon", les films de Don Siegel, "Bons baisers d'Athènes", "Amityville", (1 et 2), "Class 1984", "Sans Issue", "Rush Hour" (1, 2 et 3), "Brubaker", "Luke la main froide", "La Peau", et bien d'autres encore. Il lui est attribué un Grammy Award en 2018 pour l'ensemble de sa carrière.
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Y a pas photo....c'est quand même plus agréable à écouter que The Shaggs !
RépondreSupprimerMmouais... Pas mal. C'est réédité par BGO. Je vais écouter en entier pour voir si j'achète.
RépondreSupprimerJe pencherai plutôt pour la réédition Esoterics Records.
SupprimerGénéralement, le travail de ce label est des plus soignés.
BGO a fait beaucoup pour la réédition - possible même qu'il soit leader en la matière -, cependant, sa manie
d'accoler deux disques en un, est agaçant.
Exact. D'autant que parfois, les disques sont coupés (une moitié de disque sur un CD, l'autre moitié sur le second). J'ai écouté le deuxième, c'est moyen...
SupprimerCrénom ! Je déteste ça : (une moitié de disque sur un CD, l'autre moitié sur le second). C'est une honte, une hérésie qui devrait être traduite devant les tribunaux !
SupprimerSinon, pour Paladin, c'est un groupe qui m'avait un peu déçu et donc laissé de côté, jusqu'à ce que, il y a quelques mois, je le redécouvre avec plaisir.
Peut-être à renouveler plus tard l'expérience 😉