Honneur aux scorpions. Non pas
le groupe, encore moins les p’tites bestioles (enfin, certaines ne sont pas si
petites que ça), mais ceux nés sous ce signe du zodiaque. Généralement des gens
peu commodes (surtout les femelles), nantis d’une part sombre, mais finalement
plutôt intéressants (n’est-ce pas Françoise H ?).
Celui qui est à l’honneur, se
nomme Terry Reid. Si ce nom ne vous évoque rien c’est bien dommage, car il
s’agit sans nul doute possible d’un des meilleurs chanteurs de Pop et Rock de la
fin des sixties. Non, il n’y a rien d’exagéré. D’ailleurs, savez-vous que Sir
James Patrick Page lui avait fait la proposition d’intégrer son New-Yardbirds,
après avoir essuyer un refus catégorique – chargé de menace - de la part du
manager de Steve Marriott. Soit avant Robert Plant. Ensuite, c’est le
management de Deep-Purple qui lui offre la place encore chaude de Rod Evans,
qu’il, bien évidemment, refusa également. Ha ? Cela en bouche un coin. Un
fou présomptueux ? Non, parce qu’à ce moment là, Terry Reid était en
pleine ascension, et il aurait dû, à lui seul, atteindre les sommets de la
consécration.
Terry Reid est né un 13 novembre 1949, à Huntingdon, dans le Crambidgeshire. Très tôt, il s’intéresse au milieu artistique et participe même à des concours jusqu’à ce qu’il découvre le Rock’n’Roll dans lequel il va s’investir totalement. Premier groupe amateur à treize ans en tant que chanteur et guitariste (Les Readbeats). Suite à l’invitation d'un Peter Jay qui, convaincu de son talent, l’encourage à quitter le circuit scolaire pour intégrer son groupe The Jaywalkers, il part pour Londres à seulement quinze ans et participe, en octobre 1966, à la tournée Anglaise de Ike & Tina Turner à laquelle participent également les Rolling Stones. Peut-on rêver mieux pour la première tournée nationale d'un adolescent ? (Et ça, sans télé-crochet ou télé-"réalité" !). Dans la même année, il tourne avec les Yardbirds. En avril 1967, il enregistre son 1er 45 tours avec les Jaywalkers. Déçu par l’absence de succès, le groupe arrête les frais. Toutefois, Reid s’est déjà fait remarquer, et c’est ainsi que John Burgess (producteur pour EMI), sous les conseils de Graham Nash (alors dans les Hollies) le prend sous son aile pour le produire en solo, alors qu’il n’a pas encore atteint ses dix-huit ans. Dans la foulée, parait son premier 45 tours sous son nom, "The Band Don't Fit the Glove" et "This Time" (que l'on retrouve en bonus sur la réédition de son 1er lp de 1968). Il chauffe les salles pour The Hollies, les Small Faces, les Yardbirds et le Jefferson Airplane pour sa tournée anglaise de 1968.
Sa réputation dans le swinging London est sans cesse
grandissante. Le Spencer Davis Group lui propose la place vacante de Steve
Winwood. Plus tard donc, c’est Jimmy Page qui vient le solliciter. En
compensation de son refus, Reid lui glisse à l'oreille un nom : Robert Plant.
Ce dernier avait eu à assurer des premières parties de ses
concerts (fatalement au sein de Band of Joy).
En 1968, Mikie Most (1) le récupère et lui fait enregistrer son premier 33 tours où figurent quelques reprises. Un des titres, « Friends », devient un hit. Le disque est intéressant et comporte déjà quelques belles pièces. En l'occurrence, "Tinker Taylor", "Writing of the Wall", "When You Get Home", "Without Expression" aux doux parfums brésiliens, "Sweater" qui pourrait la fusion des Small Faces avec Gilberto Gil (musicien qu'il hébergera plus tard) et la cover de "Somethings Gotten Hold of my Heart" et celle de Donovan (la première, d'autres vont suivre) "Season of the Witch". On y découvre un musicien précoce à la voix chaude et sauvage, qui s'éraille lorsqu'elle hausse le ton, paraissant fragile, apte à la fêlure et faisant pourtant preuve de puissance. Ce premier essai sort sous le titre de "Bang, bang, you're Terry Reid" ; un clin d’œil à la reprise de Sonny & Cher, "Bang Bang (My baby shot me down" placée en ouverture pour séduire l'auditeur, bien que cette chanson ne sont pas compatible avec le style développé par Reid. Étrangement, le disque ne sort qu'aux USA. L'Angleterre n'a que les singles à se mettre sous la dent. Cependant, l'ensemble n'est guère homogène par faute de quelques chansons souffrant d'un manque de maturité et de direction musicale incertaine.
En 1969, c’est au tour de Ritchie Blackmore, qui aurait bien
aimé le voir prendre la place de Rod Evans, de faire sa demande.
Malheureusement, toujours lié à Most par contrat, il ne peut accepter. De
plus, sa carrière prend de l’ampleur. Quelques mois plus tôt (en 1968), invité
par Clapton, il tourne avec Cream, et Aretha Franklin juge qu’il n’y a que
trois choses qui se passent à Londres : les Beatles, les Rolling Stones et
Terry Reid. Fabuleux compliment qui restera dans les annales, et beau coup de promotion gratuite.
Enfin, il enregistre son deuxième opus, tout simplement baptisé : « Terry Reid ». C’est un manifeste. Un disque rare, frôlant la perfection, qui a bien des allures d’un Best-Of. Bien qu’oublié de nos jours, il fait partie des incontournables, et pas des moindres, de cette année magique 69, qui en compte pourtant une pléthore.
C’est le
« Superlungs my Supergirl » de Donovan qui ouvre le bal. Reid en fait ressortir
tout le suc Rock pour en faire un titre sensiblement Heavy-Rock. Le rythme des
cuivres est légèrement ralenti et est repris par une basse placée très
en avant, tout comme la caisse claire qui donne le tempo, tandis que Reid
s’étrille les cordes vocales. (il est évident que Patrick Coutin s’est servi de cette version comme de
terreau pour son « J’aime regarder les filles »).
« Silver White
Light » - premier titre de l’album écrit par Reid – nous plonge
immédiatement et sans ménagement dans un classic-rock grand cru. La guitare est
agressive, charnue, débordant de Fuzz (un Tone Bender ?) tandis que la
batterie est lourde et puissante, épaulée par une basse ronde, mate et fruste à
la fois ; genre Stu Cook essayant
de se la jouer James Jamerson.
« July »
opère un virage à 180° : on coupe le compteur d’électricité et on supprime tous types de percussions. Reid se jette nu, sans filet, seul, avec juste sa voix et
sa guitare. Et… contre toutes attentes, alors qu'il devrait être plus vulnérable, il s’y présente avec autant de force et
de conviction. Il nous scotche littéralement, et nous file le frisson.
Crénom ! Cette voix ! Elle a dû vivre mille vies, sinon ce n’est pas possible
autrement de dégager naturellement autant de feeling. Aretha ne se méprenait pas, ni Peter Jay, ni Graham Nash. Pourtant, il n’est
pas un technicien. C’est comme si parfois, sa voix l’emportait malgré lui,
qu’il ne la contrôlait pas, qu’il n’est en fait que le réceptacle d’une manifestation
d’une pureté naïve, générée par la musique et s’épanouissant dans un élan
transcendent.
« Marking
Time » n’est rien d’autre que du proto-Hard-rock. Du bon, du chaud, du bouillant, du rassasiant. Reid y rugit comme un
lion affamé.
Décidé à ne rien
laisser au hasard, il offre ici la meilleure interprétation du « Stay with Me baby » de Jerry Ragovoy et G. David Weiss (écrit pour Lorraine Ellison). On reconnaît bien là ce qui fait les grands
chanteurs : Terry Reid ne chante pas, il ouvre son âme en libérant sans retenue
tous ses sentiments (un fait devenu, hélas, bien trop rare de nos jours où l'on flatte et encourage les clones, les zombies).
Un « Highway 61 Revisited » revisité en mode boogie à faire pâlir d’envie Kim Simmonds ou un Foghat (des 2 premiers opus). Mais, bizarrement, le morceau s’estompe pour laisser la place à une composition personnelle, « Friends », qui œuvre plutôt un Rock gorgé de Soul et avec des fleurs dans les cheveux, bien dans l’air du temps. En fait le hit sorti précédemment en 45 tours. Et puis, après un coda a cappela, on repart sur le « Highway 61 » déjà lancé en 5ème.
Nouvel espace
acoustique, cette fois-ci avec l’aide d’un piano et une timide guitare qui
fredonne quelques licks en arrière-plan. Plus en retenu que « July »,
ce « May Fly » ne convient pas moins, si ce n’est plus que Terry Reid
est indubitablement un des grands chanteurs de la fin des sixties.
« Speak Now or Forever Hold Your Peace » ! Mais
oui ! C’est le même qu’avait repris Cheap-Trick sur son premier essai (clic/lien), et que
personne ne savait alors d’où il sortait. Incredibeule. C’est à peine moins
heavy que la reprise du quartet de Rockford, si ce n’est l’intro qui présente
la rythmique sur un son typique de Fender Telecaster clean (toutefois les photos d'époque le montre soit avec une LesPaul montée avec des P90, soit avec ce qui semble être une Gibson ES-225) et l’orgue (Hammond) qui donne une image plus sixties (voire début
70’s).
Final sur un
« Rich Kid Blues » évoluant en montagnes russes, passant d’un Soulful
avec un Rock épais, précurseur du Hard-Blues (titre qui sera repris par The
Raconteurs de Jack White)
Certes, ce disque n’est
pas parfait. Il y surnage un léger parfum d’une production
artisanale, qui peut souffrir de la critique de certains. L’ambiance générale
est live avec ce que cela implique. Notamment ici, des instruments parfois
placés un chouia en avant (en l’occurrence l’orgue qui aurait gagné à être plus
en retrait et tempérer les fréquences aiguës), avec la voix et la guitare qui
dérapent, ou faillissent, au détours d’une reprise. Mais bon sang, c’est aussi
ça le Rock, non ? Une bonne tranche de spontanéité et d’engagement, avec les
risques que cela impliquent.
Cependant, l’absence de ce disque dans la
majorité (toutes ?) des play-list et autres ouvrages sur les meilleurs
disques de tout ce que vous voulez, est une injustice pure. Une aberration. Une hérésie. Ou la preuve d’une
relative ignorance, ou encore de graves pertes de mémoire (faut consulter les
gars)
Les récentes rééditions
en CD offrent quelques bonus intéressants. Celle de Repertoire ne propose que
deux chansons supplémentaires mais a l’avantage d’être remasterisée.
Le premier est une
reprise dispensable de « Better by Far ». Sorti initialement en 45
tours en 1968,
La face B démontre déjà
les prémices du trajet qu’il voudrait prendre, même si cela reste très Pop.
Ce disque aurait dû en toute logique propulser Terry Reid sous les feux de la rampes, et y rester. Après avoir formé un groupe avec un jeune David Lindley, Mike Giles (ex-King Crimson) et en gardant Lee Miles à la basse (qui restera fidèle jusqu'à la fin des années 70), Reid fait une tournée aux USA derrière les Stones pour finir par le festival de l'île de Wight, Terry se brouille avec Mikie Most qui voulait faire de lui un chanteur de ballades. Pour échapper à la pression de son manager, il s'expatrie en Californie où il s'y terrera pendant près de trois ans (pendant le temps qui restait lié à Most). Un silence trop long. Les disques suivants, par faute d'un management inexistant, d'une promotion proche du néant et d'une distribution digne d'un import russe ou péruvien, frôleront l'anonymat. Même si "River" (1973) jouira d'un engouement de la part de la presse (encore fallait-il pouvoir le trouver). Néanmoins, son public ne le suit pas, car s'en était fini du Terry Reid fougueux ; les années de réclusion l'auront amené à le rendre plus introverti avec une nette répercussion sur ses nouvelles compositions.
On dit que l'homme a influencé des groupes et artistes divers, dont les plus connus sont Cheap-Trick, The Black-Crowes, Aerosmith, et même Keith Richards et Rob Zombie.
(1) Mikie Most, futur
partenaire de Peter Grant, et producteur des Animals, Jeff Beck Group, Donovan,
Suzi Quatro, Herman’s Hermits.
(2) « Move Over for Terry Reid » pour la
version US.
Une version live (à la télé de Detroit) très différente de celle du disque
Beat Club (Allemagne), décembre 1969 : Superlung, Rich Kid Blues et Highway 61
J'aime énormément Terry Reid. Tout ce que ce garçon a produit pendant les années 70 est sublime. Il va s'orienter vers une Soul-Music très américaine à partir de "River", mais c'est tellement bien écrit qu'il est difficile de l'enfermer dans une quelconque case Funk-Rock. L'homme n'a pas eu beaucoup de chance, mais a reçu beaucoup de respect de la part de ses pairs. Ce second album est mon préféré. L'ensemble des enregistrements de la période 66-69 a été publié sous la forme d'un double- album. J'ai commencé à m'atteler à la chronique de ce disque éponyme.
RépondreSupprimerJ'aime bien "Rogue Waves" et regrette qu'il n'ait jamais droit à une quelconque remasterisation.
SupprimerPar contre, je suis passé à côté de l'édition de sa prestation à l'île de Wight (j'ai toujours cru, avec cette pochette nulle, que c'était une compilation).
Je te conseille ce live. Le son est plutôt bon, et la musique de Terry Reid s'oriente nettement vers celle de "River", dont plusieurs morceaux sont présents. Il est accompagné ce jour-là de David Lindley à la guitare et d'un certain Michael Giles, le batteur de King Crimson. Le résultat est captivant, mais clairement, s'éloigne déjà du Hard Rythm'N'Blues des deux premiers disques. Enfin, "Seed Of Memory" est un superbe album, aux influences très californiennes (Graham Nash est dans les parages pour la production et les choeurs), et c'est un disque fort, poignant.
SupprimerCe live est prévu pour un futur (et proche) achat.
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