mercredi 3 septembre 2025

Joanne SHAW TAYLOR " Black & Gold " (2025), by Bruno



     Et parfois, on se demande... on se demande si les mots, les noms veulent encore dire quelque chose. Des mots, des noms qui à force d'être utilisés à tort et à travers, finissent par perdre leur sens. Pour certains historiens et anthropologues, ce serait le signe du déclin d'une civilisation - de peuples qui, après des décennies, des siècles, à enrichir leur langage, jusqu'à arriver à un sommet, font le chemin inverse jusqu'à se déliter. Tandis que des mystiques croient que les mots ont des conséquences, aussi insidieuses soient-elles. Pourquoi cette digression ? Parce que si l'industrie musicale, soutenue par la presse, a créé une classification pour aider le potentiel consommateur à s'orienter dans une production imposante, - d'autres diront plutôt pour compartimenter les genres et les masses -, aujourd'hui, on a un peu (beaucoup ?) tendance à apposer des étiquettes un peu trop rapidement, sans réel fondement. Les exemples sont nombreux. A fortiori dans le rock, plus particulièrement le hard-rock, où l'on a tendance à fourguer tout et n'importe quoi. Peut-être encore plus dans le Blues où, pendant trop longtemps, on a catégoriquement refusé d'inclure un nombre étonnant de petits blancs, simplement parce qu'ils étaient blancs. Paradoxalement, alors que des musiciens tels que BB King, Buddy Guy, John Lee Hooker, Otis Rush, Freddie King  (pour ne citer que les plus célèbres) ont accueilli au sein de leur famille musicale leurs frères (ou cousin) blancs, ce sont les médias qui ont fait rempart contre cette assimilation.


   De nos jours, pour peu qu'un gars sorte un plan blues, et/ou quelques soli en gamme pentatonique mineure, il est intronisé avec les honneurs dans le temple du Blues. Avec cette logique, ne devrait-on pas également ouvrir ces mêmes portes à Joe Satriani ? Et feu à Fast Eddie Clarke, dont le jeu reposait quasi intégralement sur des codes inhérents au Blues ?  A contrario, le dernier opus de Joanne Shaw Taylor a été un peu trop vite rangé dans la catégorie Blues. Il est même carrément considéré au pays de l'Oncle Sam comme l'un des meilleurs disques de Blues sortis cette année. Mais est-ce encore vraiment du Blues ? Certes, indéniablement, la notoriété de Joanne s'est constituée sur des disques de Blues-rock - même si déjà, ils irritaient passablement par sa décharge électrique un bon nombre d'amateurs des douze mesures. Effectivement, le jeu de guitare de Joanne s'appuie encore souvent sur les blues notes et autres plans hérités d'années à étudier et jouer le Blues. Et puis, forcément, il y a encore une poignée, aussi congrue soit-elle, de pièces de blues-rock, mais cela n'en fait pas pour autant à proprement parler un album de Blues. Ou sinon, pas plus que certains albums de Tom Petty, de Springsteen (ben ouais) ou de Neil Young. 

     Quoi qu'il en soit, est-ce que « Black & Gold » est un mauvais album ? Un faux pas ? Aucunement. Par contre, cette catégorisation "Blues" pourrait le desservir en décevant les amateurs du genre qui s'attendraient à autre chose (de plus classique ?), tandis que d'autres, peu sensibles au style, pourraient s'en détourner. Or, encore une fois, Joanne Shaw Taylor fait preuve de son talent de compositrice et d'interprète. Avec pour témoignage une flopée de chansons qui, si elle n'ont plus grand rapport avec le Blues (ou alors bien peu) n'en sont pas moins d'une belle teneur émotionnelle.

     À commencer par le pop-rock « All the Things I Said » au joli refrain poppy ; une chanson ensoleillée - en dépit du sujet inspiré par sa douloureuse rupture passée (encore) - bien mise envaleur par des chœurs discrets et une guitare résonnant comme un carillon. Avec son petit lick de guitare en boucle, ses cascades de toms basses, « Who's Gonna Love me Now ? » pourrait être une refonte d'une ballade rock-FM typée 80s, entre Heart, Cars et Toto, avec un brin de Springsteen (« Street of Philadelphia »), retraitée avec un esprit rock-roots, sans ostentation. De la tristesse et de la mélancolie exsudent de cette chanson ; et pour cause : elle a été inspirée par le vide qu'éprouve Joanne depuis que sa mère est partie. Absolument rien de larmoyant pour autant, ni même d'apitoiement, juste de l'émotion ; la musique parlant alors plus que les paroles.


   Décontracté, « Summer Love » est ouvertement Pop-rock, voire volontairement radiophonique. Presque une frivolité rayonnant de légèreté et de liberté, qui a le pouvoir d'ensoleiller les journées sombres, de redonner du tonus à des âmes en peine ou harassées par un dur et incessant labeur. 

    L'orchestration de « Grayer Shade Of Blue », avec le violon de Sav Madigan, marche dans les pas du John Mellecamp country rock des années 80 et ses histoires de "petites gens", de "petites villes", des choses simples et authentiques. Une fois encore, Joanne ouvre son cœur, traduit ses sentiments, et guérit ses blessures par la musique. "Je n'aurais jamais imaginé dire un jour que tu me manques maintenant que tu es parti. Mais je suppose que je suis contente que tu te sois installé dans la même ville; Même si c'est avec un moi plus jeune. La même ville. Est-ce qu'elle sait qu'elle me ressemble comme deux gouttes d'eau ? ... Tous nos amis trouvent cela drôle ... Pourquoi est-ce le même vieux ciel ? Mais c'est un tout nouveau au ton plus gris. Une nuance de bleu plus gris "  

     Alors qu'à ses débuts, Joanne Shaw Taylor s'appuyait essentiellement sur sa guitare – et ce avec talent -, sa progression au chant lui permet désormais d'y transférer de l'émotion, naturelle mais à fleur de peau, pour une expressivité dénuée excès et de pathos.

     Avec « Look What I've Become », Joanne se fait plus mordante et combattante. En ce sens, elle récupère la place d'une Beth Hart du temps où elle flirtait plus souvent et volontiers avec le Rock, voire le heavy-rock. La musique alterne d'ailleurs entre claviers dramatiques derrière un gros riff heavy et séances de distribution de marrons. "Mes os sont devenus si vieux que le monde n'est plus que froid".

     Bien sûr, à quelques occasions, le Blues refait surface - même si c'est alors sous un couvert de watts ou/et sur un tempo assez appuyé. Dès l'ouverture même, bien que "Hold of my Heart" transpire également le country-rock - appuyé par le violon de Madigan, pour un mélange penchant logiquement vers une forme de southern-rock. Presque un mix de Cadillac Three, de Whiskey Myers et de The Steel Woods. Tandis que "I Gotta Stop Letting You Let me Down" lâche les watts. Rageur, libérateur, ça sonne plus comme du hard 70's, avec un dispensable solo à rallonge. Entre heavy-rock et southern, l'entraînant "Hell of a Good Time" invite à l'hédonisme, à prendre du bon temps. "What Are You Gonna Do Now ?" accélère un peu la cadence, trahissant l'irritation de Joanne en souvenir d'un ex toxique, des plus narcissiques. "Tu n'arrêtes jamais de parler mais tu n'as rien de nouveau à dire"


  Étonnamment, la chanson éponyme, "Black & Gold", ne casse pas trois pattes à un canard (même pas deux). En fait, ce petit rock pépère, sans éclats, souffre de la comparaison avec le reste de l'album.

     Le chapitre se referme sur le sublime « Love Lives Here » des Faces (album "A Nod Is as Good as a Wink... to a Blind Horse" de 1971). La voix de velours éraillée de Joanne lui permet - sans avoir à se ridiculiser en essayant de singer Rod the Mod - de faire honneur à cette belle chanson. Voire de la magnifier grâce à une mise en place au cordeau.

     Finalement, bien que ce dixième opus de Joanne contient encore son lot d'ingrédients "blues-rock", il voguerait plutôt dans des eaux propres à l'Americana. Voire même parfois, quand l'insouciance et le contentement exultent, dans une branche "West Coast" - sans pourtant tomber dans un met soporifique. Et bien qu'elle sache encore faire parler la poudre ("Hell of a Good Time"), il semblerait que c'est avec ces chansons plus mesurées, entre un americana mélancolique et un country-rock enrobé de pop, qu'elle se révèle sous son meilleur jour. Peut-être son meilleur depuis "Reckless Heart" de 2019.


     À noter la présence d'Audley Freed, ce très bon guitariste qui s'est d'abord distingué au sein du quatuor Cry Of Love avant de rejoindre The Black Crowes. C'est lui qui seconde Rich Robinson sur le fameux "Live At The Greek" avec Jimmy Page (double live qui refait l'actualité avec une nouvelle édition plus complète. Ancienne et nouvelle versions produite par Kevin Shirley...). Il accompagne aussi un temps Joe Perry pour ses tournées en solo, puis les Dixie Chicks (célèbre - aux USA - groupe Texan de Country principalement constitué de trois donzelles), puis remonte un groupe avec Jackie Greene, Trigger Hippy, qu'il quitte avant le premier album (excellent). 




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9 commentaires:

  1. Séduit par les premiers disques de Joanne Shaw Taylor j'ai peu à peu décroché , je trouvais que ça devenait un peu bourrin; les deux derniers disques acquis étant "The blues album" et le récent live. De plus vu deux fois en live et pas vraiment convaincu! Mais ton commentaire me pousse à reprendre contact avec la musique de la dame je vais donc convier ce " Black and Gold" sur ma platine !

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  2. Shuffle Master.3/9/25 16:48

    Connais pas, mais si J.P trouve ça bourrin, on peut s'attendre au pire. Et grand seigneur avec ça; il convie toutefois la dame sur sa platine.

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  3. Oh là nuançons quelque peu mon propos cher SM! J'ai pas dit que JST c'était bourrin , mais que certains de ses disques l'étaient donc pas tous ! Les premiers opus qui l'ont fait connaitre donnaient dans le pur blues rock . Par la suite le son de la dame s'est nettement durçi d'où mon decrochage ..... Les propos de Bruno sont suffisamment convaicant pour que je retourne vers l'artiste!

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  4. Messieurs, ce que je peux en dire, c'est qu'à l'exception d'un morceau pas particulièrement folichon, ça ne bourrinasse pas des masses. Loin de là.
    Parfois même, ça serait presque comme une "Springsteen femelle" 😁

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  5. Une "Springsteen femelle", voilà un argument qui devrait ravir Shuffle... (qui a surement écouté déjà 10 fois le "Tracks II"). Sinon, dans un autre genre, j'attire votre attention sur une série documentaire "La musique country" en 9 épisodes, sur le replay d'Arte, remarquablement intéressante et richement documentée.

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    1. Hello ! je n'ai pas le replay mais je suppose que tu veux parler de la série de Ken Burns "Country Music" en 4 DVD . Excellent en effet comme tout ce qu'a produit Ken Burns comme "The War" ou la seconde guerre mondiale racontée par les vétérans américains , ainsi qu'une série sur la guerre de sécession , très bien documentée.

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    2. Oui, je pense qu'on parle de la même, j'ai vu Ken Burns au générique, les archives vidéos des années trente sont notamment étonnantes, je ne pensais pas qu'il y avait autant de traces de l'époque. Et sur la durée, c'est un feuilleton à suivre qui évoque tout un pan de la musique américaine.

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    3. Merci pour l'info 👍☺

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    4. Shuffle Master.5/9/25 08:47

      Idem, il faut que je regarde ça. "Springsteen femelle", on est en plein dans la tératologie, là.

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