jeudi 18 juin 2020

JOANNE SHAW TAYLOR "Reckless heart" (2019) par Benjamin


C’était au début des années 60, dans une Angleterre plongée dans le blues, avant que celui-ci ne soit déformé par les relents psychédélique. Symbole d’un pays en pleine ébullition, Londres n’en finissait pas de swinguer sur les rythmes blues et rythm'n'blues de Clapton, des Stones, des Who… Et puis la formule s’est progressivement perdue, ces groupes partant dans des univers sonores de plus en plus délirants.

Côté Américain, le bon vieux blues rythmique commençait lui aussi à tomber en désuétude, Hendrix avait remplacé Bloomfield sur le trône du guitar-hero d’une génération, lançant des années de sauvageries saturées. Dans les années 60, le rock avait deux tendances sur lesquelles s’appuyer, le rock rythmique des Stones et des débuts de Clapton, et les aventures solistes ou bruitistes de Hendrix, Pink Fairies et autres Deviant.

Après cette époque, le rock était devenu unijambiste, la majeur partie des groupes préférant enchainer les solos déchirants que de se mettre à dos un public friand de ce genre d’artifices. Bien sûr, il y aura quelques exceptions, comme des oasis offertes aux oreilles des puristes, et les riffs de Malcolm Young, Billy Gibbons, ou John Fogherty pouvaient encore truster le sommet des charts.

Joanne Shaw Taylor (de Birmingham, née en 1986) est de cette école rythmique, mais il est étonnant qu’on en ait pas plus entendu parler. Repérée par Dave Steward des Eurythmic, elle a déjà sorti 7 disques, dont ce dernier "Reskless Heart". Il faut dire que la bande des bluesmen invétérés bénéficie d’assez peu de pub de la part de magazines qui, depuis des années, préfèrent imposer les sifflements d’une new wave de plus en plus décadente. On se rappel de la couverture de rock et folk sur la femme, de son hors-série sur Radiohead, ou de son petit dernier chantant les louange de la White Fat Family.

Je ne parle même pas des délires de certains sur la « french touch », qui montrait des journalistes voulant à tout prix être dans le coup au point d’en devenir ridicule. Dans ce contexte, Joanne Shaw Taylor ne pouvait pas espérer une couverture, ou même un encadré de fin de magazine.

Sa musique, elle, n’est même pas conforme aux renouveau du hard rock, qui a souvent tendance à s’embarquer dans quelques improvisations bruitistes. Non, « Reskless Heart » est le disque d’une artisane disciplinée, dont la musique est solidement ancrée dans des rythmes et un feeling ancestral.

Mick Jagger disait que le blues ne pouvait pas mourir, car il ne fut jamais à la mode, c’est l’expression la plus pure de l’âme humaine. Comme les Stones et leurs influences, Joanne Shaw Taylor maitrise cette façon de ne pas brusquer les notes, les laissant ainsi résonner avec volupté. A ce titre, « I’ve been loving you so long » est une merveille, un ballade bluesy où les notes déchirantes rappellent la grandeur des plus grandes ballades issues du Mississippi.

Mais n’allez pas croire que ce disque se limite à une série de bluettes langoureuses, ce n’est qu’une des facettes d’une guitariste qui accommode son blues à toutes les sauces. Le morceau titre, soutenu par quelques notes rêveuses de claviers, est une danse voodoo nostalgique, ou la batterie mène le bal avec force. Comme une respiration au milieu de cette rythmique hypnotisante, la guitare part dans un solo propre et court, privilégiant l’efficacité aux envolées tapageuses de Bonamassa.

Et, bien sûr, on aura droit à notre dose de rock, ce glorieux rejeton du blues, qui reprend ici la force minimaliste de sa jeunesse. « In The Mood » n’aurait d’ailleurs pas fait tâche sur un disque des Stones période Mick Taylor ou, plus récemment, à côté des perles rythmiques de Temperance Movement.

Et voilà comment, en ce 21e siècle, le rock a retrouvé sa seconde jambe, les riffs de Joanne Shaw Taylor s’ajoutant à ceux de Blackberry Smoke, Temperance Movement, Blues Pills… Et, si ceux-ci sont dotés d’un feeling qui prend le temps de se déployer, c’est pour que ces riffs puissent résonner pendant une éternité.

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à demain pour la séance cinéma : La Reine Margot de Patrice Chéreau


5 commentaires:

  1. J'avoue avoir décroché depuis "The dirty truth" (2014) et pourtant ses premiers opus m'avaient enthousiasmé , son jeu s'est durci au fil des années , son blues-rock des débuts s'est à mon goût peu à peu estompé . Pour l'avoir vu plusieurs fois dont récemment en 2019 en compagnie de Bonamassa et Kenny Wayne Shepherd (croisière blues à Barcelone) la dame ne m'a pas convaincu ......J'avoue ne pas avoir écouté de près ce dernier disque , je vais le faire, je suis prêt à changer d'avis.

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    1. Ce "Reckless Heart" se démarque de ses productions précédentes, et si tout n'est pas du même tonneau, il m'arrive encore de l'écouter avec plaisir. Il convient de s'y attarder, sachant que la première écoute peut décevoir.

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  2. Bonamassa fait des croisières musicales ?!!! Comme Christian Morin ou Charles Dumont ?

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  3. Et oui mon cher Luc et y'a pas que lui.....Non seulement il en fait mais en plus il les supervise ! Celle que j'ai fait l'an dernier "Keeping the blues alive" partait de Barcelone pour Malte avec à son bord outre Bonamassa , Kenny Wayne Shepherd, Joanne Shaw Taylor, Peter Frampton , Eric Gale , Eric Bibb et plein d'autres, soit 5 jours de blues non stop ! Oui je sais les croisières.....c'est pour les retraités et ben ça tombe bien j'en suis un !!!!!
    Aux States il en existe autour du southern-rock .

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    1. Southern-rock, Punk-rock, Hard-rock ou Heavy-metal ; le tout avec bières à profusion. Bièèèrrreee !!!
      Je serai bien capable de me laisser tenter par certaines affiches alléchantes (en particulier celle que tu as suivi), cependant ça fait un peu produit de consommation. D'autant que les bateaux de croisières sont tout de même assez polluants.

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