- Mais Claude, tu as déjà commenté ces deux concertos… Voyons l'index : Claudio Arrau et Carlo-Maria Giulini pour le 1er en 2015 et Nelson Freire et Riccardo Chailly pour le 2ème en 2018… C'est quoi l'idée…
- Depuis un certain temps, je présente des compositeurs un peu
oubliés de l'histoire… Mais inversement, le monde des interprètes a
connu des artistes signant des disques légendaires, ici au clavier et
à la direction. Et tu sais Sonia que chaque interprétation échappe à
la redite au bénéfice d'émotions et de jeux instrumentaux renouvelés…
D'où un enrichissement dans la discographie …
- Oui je vois… Mais, comment dire… 1954 et 1958, ce n'est pas des vieilles cires grésillantes ?
- Tout au contraire, RCA inaugurait à la fois le microsillon et la
stéréophonie pour un résultat sonore dont la clarté et la dynamique ne
seront concurrencées par la suite qu'en CD. Et encore, pas toujours car
l'ingénieur du son devra avoir autant de talent que les interprètes…
- Rubinstein, Reiner, Krips, trois noms également au programme du blog plusieurs fois… Ils devaient super bien s'entendre…
- Ben… pas vraiment, ce qui pimente l'histoire de ces enregistrements vieux de 70 ans ou presque…
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Electrophone stéréo Schneider 1958 |
Rien de surprenant que Sonia note une forme de réitération concernant deux chroniques publiées il y a quelques années à propos des deux grands concertos pour piano de Brahms. Il était bien sûr possible de sélectionner de jeunes artistes à encourager. Or, j'ai choisi ces deux disques qui ont marqué les débuts du microsillon stéréophonique pour montrer que l'expression musique vivante n'est en rien un vain mot. Un demi-siècle sépare ces deux disques de ceux splendides de Nelson Freire et Riccardo Chailly ; notons que les deux œuvres bénéficient d'une discographie pléthorique.
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Thorens New Reference |
Quand des firmes d'équipements électroniques et labels d'Edition de disques veulent promouvoir une nouvelle technologie, ils doivent mettre les petits plats dans les grands. Dans le cas de la musique classique, quoi de plus logique que de faire appel à un casting à la réputation planétaire. On ne peut inciter les mélomanes à investir dans des nouveaux matériels de reproduction qu'avec des interprétations fascinantes qu'améliorent une prise de son et une gravure détaillée et réaliste ; le but étant de commercialiser des électrophones, puis des platines Hifi valant parfois des fortunes. (Et là je suis sceptique ; 220 000 € pour la Thorens New Référence ; ok mais avec quel disque, quelle cellule et quel ampli la facture se justifie-t-elle ?)
Malgré des petits défauts de lecture, crépitements, tac tac tac sur les rayures, distorsion en fin de face, des inconvénients dus à la poussière ou à un mauvais entretien des disques (platine de piètre qualité, diamant usé jusqu'au cantilever …), depuis ces années 50 et les prouesses RCA, la qualité de reproduction ne s'est pas réellement améliorée. Certains audiophiles trouvent la numérisation plus froide que l'analogique… La comparaison entre vinyle et son remastering ne m'a que rarement convaincu. Certes, plus de tac tac ni de distorsion, et une capacité accrue pour une écoute en continu…
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Phonographe Edison de 1900 et ses rouleaux |
Je ne peux résister au désir de conter l'aventure de l'enregistrement
musical, technologie aussi importante que l'invention de la Photographie par
le français Nicéphore Niépce en 1827 et perfectionnée par son
ami Louis Daguerre dans les années 1830… En France on n'a pas
de pétrole, etc… Le 30 avril 1877, le poète et bricoleur de génie
Charles Cros invente le parlophone qui utilise un disque et non un
rouleau. Tout le monde s'en fiche, Charles dépose son idée à
l'académie puis mourra pauvre rongé par l'absinthe.
Quelques mois plus tard, l'inventeur et industriel
Thomas Edison propose un appareil utilisant un mécanisme similaire
creusant un sillon suivant les vibrations sonores recueillies par le
pavillon et ainsi amplifiées. Au début, on dicte puis reproduit la parole de
l'utilisateur par relecture de la gravure qui fait résonner le pavillon…
Edison utilise un rouleau couvert d'une feuille d'étain … et le
sillon est à profondeur variable et non, comme chez Cros, tracé de
manière latérale et sinusoïdale sur une surface noircie, puis photographiée
pour permettre la fabrication en faisant appel au procédé de gravure sur une
plaque métallique d'artiste graveur. L'orthogonalité des deux modes de
gravure sera reprise et combinée pour créer les deux voies stéréophoniques…
Thomas Edison a-t-il caviardé l'invention de notre compatriote en lisant les notes publiées ? Mystère. Un rouleau vs un disque, une gravure recourant à deux axes différents, un procédé chimique compliqué en prime pour l'instrument français ; tout modifier en quelques mois ? Je ne crois guère au plagiat technique d'autant que l'américain travaillait déjà sur des voix parasites entendues sur un télégraphe. Edison étant à la tête d'une entreprise qui atteindra 35 000 salariés, dont des chercheurs, le projet venait simplement d'aboutir à un appareil commercialisable à partir de la fin du XIXème siècle… en remplaçant l'étain par la cire…
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Fritz Reiner et Artur Rubinstein |
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S'enregistrer soi-même ou bien tata Hortense chantant Merry Christmas est amusant, mais pour doper les ventes de l'appareil, un catalogue de rouleaux préenregistrés et divertissants doit être proposé. Un système de moules obtenus à partir du rouleau original est imaginé pour couler par millions de courts morceaux de musique ou de texte !!! Entre 1900 et 1920 le public écoute les "tubes" de l'époque dans tous les genres. Voici un exemple en classique :
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- Haï haï Haï Claude ! Quelle bouillie, on distingue quasiment aucun
instrument… Les acheteurs étaient satisfaits ?
- Ben… Tu sais Sonia, ils s'amusaient à défaut de rechercher la qualité
du concert… Evidemment, de nos jours, confronté à un chaine audiophile
haut de gamme… on en rigole…
En 1887, l'ingénieur allemand émigré Emile Berliner, invente
le gramophone. Le principe est identique au phonographe Edison : un pavillon, une
aiguille pour graver… un disque et non un rouleau. Une vis sans fin associée
permet de crée le sillon en spirale. (Qui deviendra le mode de gravure
définitif). Pendant deux décennies, rouleaux et disques se concurrencent.
Une foule d'inventions sur la matière employée et la mécanique des appareils
conduit à la création de labels les plus divers. En 1898 la firme
Berliner Gramophon fonde à
Hanovre une célèbre filiale toujours existante ;
Deutsch Gramophon ! Les disques
ont un diamètre de 12" (30 cm, 5mn de musique, un standard
voit le jour). Le 78 tours va s'imposer face au rouleau, car plus facile à
fabriquer et à glisser dans une pochette, à classer dans des rayonnages.
L'apparition des micros et plus tard des magnétophones assure une
amélioration progressive du son… Certes les aiguilles ou stylets avec
diamant ou saphir avec 200 g de pression n'épargnent pas les sillons 😣. En
1908,
Columbia Records fabrique les
premiers disques double face. Ma maman devait changer les aiguilles en acier
après chaque écoute de deux titres de
Tino Rossi
!
Jusqu'à la fin des années 40, le 78 tours reste le support de reproduction
musicale grand public. À ce sujet, depuis la démocratisation de la radio,
l'amplificateur à tubes électroniques permet une écoute bien plus nette
qu'avec les pavillons. Parfois, phonographe et radio ne font qu'un dans des
meubles de prestige… Le disque garde ses limites : 20 galettes pour le
Tristan et Isolde
à Bayreuth en 1928 !!!
Jamais rééditée, cette version est dirigée par
Karl Elmendorff, nazi convaincu qui, de 1927 à 1942, s'impose pour tous les
festivals.
ET COLUMBIA RECORDS CRÉA LE MICROSILLON LP…
Créée en 1889 pour commercialiser les rouleaux Edison, la
firme Columbia
records travaille en
1946 sur un nouveau disque en polychlorure de vinyle gravé d'un
sillon très fin : le microsillon apparaît. La vitesse se réduit à
33 tours
1/3. On parle de Long Playing
(LP), la bande passante, la dynamique et la clarté sont améliorées par rapport
à celles des vieilles technologies. Un modèle plus petit, tournant à
45 tours voit le jour avec un
diamètre de 18cm et un gros trou
central… Vive les Juke Box et les disques des yéyés, bienvenu au
Single. Le classique n'utilisera presque jamais ce format*. Pour le
LP la durée de lecture atteint
25 voire 30 minutes. Je possède une
6ème symphonie
de
Beethoven
par
Bruno Walter
sur 5 disques 78 tours de 1947. Un seul disque double face LP
supportait désormais l'œuvre avec en prime une ouverture (Egmont,
Coriolan, etc., 50 minutes). Les mélomanes sont ravis mais d'autres regrettent la
centralisation du son qui suggère un orchestre étriqué…
(*) Comme pour contester mon propos, le concerto N° 1 par Arthur Rubinstein et Fritz Reiner sera édité en quatre 45 tours simple face (avec un petit trou central ?). deux faces pour le premier mouvement, un retour aux durées du 78 tours... Il existe quelques exemplaires de cette curiosité vendus à prix d'or ! (Discogs)
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Josef Krips |
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RCA Victor / Master'S Voice. Trademark Image Nipper The Dog. American Lithograph 1920 |
Nota ; En 1948, le premier LP est commercialisé. On utilise
un enregistrement réunissant
Nathan Milstein
et
Bruno Walter
conduisant l'Orchestre philharmonique de New York, une captation de 1945 du
Concerto pour violon, op. 64
de
Felix Mendelssohn. Ne nions pas le timbre nasillard et le manque d'espace sonore, mais
Nathan Milstein
montre sa réputation de virtuose inspiré de l'archet !
ET RCA CRÉA LA STÉRÉOPHONIE…
La monophonie a offert à
l'histoire du disque des chefs-d'œuvre ! Dans le blog, réécoutez la
symphonie Alpestre
dirigée par
Karl Böhm, avec la Staastkapelle de Dresde. L'aisance inouïe avec laquelle le maestro ciselle l'orchestre gigantesque
de
R. Strauss
en 1957
(Clic). Cette œuvre monumentale sera choisie pour la première production
numérique par
Deutsch Gramophon en
1982 !
Herbert von Karajan
déchaîne les forces de sa
Philharmonie de
Berlin
; spectaculaire, certes l'ouvrage s'y prête, mais la magie poétique et
épique de
Böhm n'est tout compte fait pas contestée.
L'historique du label RCA est complexe, l'entreprise
Consolidated
Talking
Machine Company fondée en
1900 par Emile Berliner, sera dès 1929 l'éternelle
filiale d'autres sociétés et en premier
Radio Corporation of
America (RCA). Je ne détaille pas ces considérations industrielles et commerciales. La
présence du petit chien Nipper écoutant sagement un gramophone
sur les pochettes et étiquettes de disques chez
RCA Victor ou
EMI (issu de la fusion
Gramophone Company avec
Columbia Graphophone) … témoigne de cette aventure tumultueuse.
Les expériences d'enregistrements stéréophonique dès 1932 par
EMI sont des échecs : trop
compliqué, matériel inadapté, équipements et disques à des prix prohibitifs…
etc.
Pendant l'année 1953, RCA profite de l'invention du disque LP
pour de nouvelles tentatives d'enregistrements multicanaux. Les plus grands
artistes sont mis à contribution :
Pierre Monteux
ou
Charles Munch
à Boston,
Toscanini
avec l'orchestre de la NBC, ou encore
Leopold Stokowski
et
Arthur Fiedler
pour des musiques de genres… Il s'agit de sessions expérimentales jamais
publiées.
En 1954, la technique est au point et l'orchestre symphonique de Chicago connu pour sa clarté et sa puissance, notamment depuis que l'ombrageux Fritz Reiner l'a pris en mains avec une baguette de fer, est retenu pour les deux premières captations : Also Spach Zarathoustra et Une vie de Héros de Richard Strauss, grand postromantique adepte des orchestrations généreuses.
La direction vive, précise et musclée du maestro, la chaleur des bois et l'éclat des cuivres du symphonique de Chicago font merveilles ("l'orchestre le plus précis et le plus flexible au monde" dixit Stravinsky). Jamais sortis du catalogue, remasterisés, ces disques marquent la naissance officielle d'un réalisme sonore symphonique qui sera égalé mais jamais nettement surpassé.
Fritz Reiner enregistrera l'essentiel de Strauss et une mine d'or de gravures de référence telle Shehérazade de Rimski-Korsakov commentée dans ce blog (Clic). Fritz Reiner devient ainsi le "stakhanoviste" de RCA. Le catalogue constitué jusqu'en 1963, date du décès du maestro reste vertigineux (réédité sur 63 CD) : Beethoven, Respighi, Mozart, Ravel et … Brahms, en l'occurrence les deux concertos et la 3ème symphonie…
CONCERTO POUR PIANO N°1 OPUS 15 (ré mineur) - ARTUR RUBINSTEIN - FRITZ REINER
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
[Playlist 1]
Maestoso
[Playlist 2] Adagio
[Playlist 3] Rondo. Allegro non troppo
Arthur Rubinstein n'était pas a priori le complice idéal de Fritz Reiner. Malgré tout, les techniciens de RCA se rendent à Chicago pour enregistrer le 1er concerto de Brahms avec le pianiste septuagénaire et star internationale du clavier (sauf en Allemagne où sa famille a été exterminée). Or Reiner, éternellement acariâtre, prétendait que Chopin était un compositeur efféminé et sans doute homosexuel… Rubinstein, juif polonais épicurien et jovial, et l'un des meilleurs interprètes de Chopin n'apprécie guère le maestro après cette anathème à propos de son compatriote. Son intégrale de l'œuvre de Chopin fait toujours autorité (Clic). Les premières répétitions sont électriques… Les a priori mesquins de Reiner sur Chopin auraient dû humilier le pianiste pendant la durée de toutes les sessions en studio.
Étrangement l'énergie du
concerto
de
Brahms
et des choix interprétatifs décidés en commun et répondant à un souci de
précision et de vitalité rapprocheront les deux hommes qui offrent une
interprétation fulgurante et lyrique, une référence. Ce
concerto
dont la thématique et l'écriture sont celles d'un projet de symphonie perd
ici toute confusion un peu lourde parfois entendue. Conflictuel, la relation
des deux hommes s'adoucit grâce à
Brahms
; les deux hommes récidiveront leur collaboration à Chicago dans la
Rhapsodie sur un thème de Paganini en 1956 puis le
concerto N°2
de
Rachmaninov
en 1962.
CONCERTO POUR PIANO N°2 OPUS 83 (si bémol majeur) - ARTUR RUBINSTEIN –JOSEF KRIPS
[00:00] Allegro non troppo
[16:54] Allegro appassionato
[26:00] Andante
[38:43] Allegretto grazioso

Comme on l'a lu plus haut, les essais de prise de son stéréophonique à New-York avaient lieu avec la participation de grands maestros résidents sur la côte Est. Le succès des deux enregistrements R. Strauss à Chicago par Reiner ouvrent les portes à d'autres artistes de renom. Pour les concertos, citons le violoniste Jascha Heifetz, le violoncelliste Antonio Janigro, les pianistes Emil Gilels, Byron Janis et Van Cliburn, pour les extraits d'opéras ou lieder : Leontyne Price ou Inge Borkh… Waouh !!! Si Fritz Reiner veille jalousement sur son territoire, dirigeant presque sans partage SON orchestre symphonique de Chicago, quelques chefs seront invités à occuper le podium, notamment le maestro autrichien Josef Krips qui enregistrera Brahms, lui aussi, à savoir le concerto pour violon avec Jascha Heifetz et le 2ème concerto pour piano. Jascha Heifetz et Reiner avaient dans la foulée (1955) enregistré les concertos pour violon de Brahms et de Tchaikovsky. Deux grands disques à l'évidence, mais j'avoue ne pas être un fan de Heifetz, certes la virtuosité et l'énergie dionysiaque sont bien là, mais la grandiloquence n'est pas loin... Simple sentiment personnel...
J'avais choisi le chef autrichien
Josef Krips pour la première chronique consacrée à
Mozart, les
symphonies N°40 et 41
"Jupiter" enregistrées avec le merveilleux
orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, juste avant son décès prématuré en 1974. Voir la
(chronique).
Pourquoi
Rubinstein
n'a pas poursuivi la captation avec
Reiner
dans la continuité quatre ans après l'expérience de l'enregistrement de
1954 ? Rubinstein avait-il gardé rancune des avis discutables et de l'autoritarisme
de Reiner ? Sa notoriété lui avait-elle permis d'inviter
Krips
à Chicago ? Rubinstein
et
Krips
étaient amis et venaient d'enregistrer pour RCA les cinq concertos de
Beethoven, non pas à Chicago mais avec l'ensemble
Symphony of the air
composé de membres de l'orchestre NBC et fondé par
Stokowski.
On ne regrette pas ce choix, non que
Reiner
ne fût pas à la hauteur, mais le
deuxième concerto
pour piano
de
Brahms, contrairement à son aîné au style cyclopéen mérite une direction toute en
finesse et alacrité, soit poétique.
Brahms tournait le dos à la forme en trois mouvements habituels pour écrire une
riche et lyrique symphonie concertante avec piano. Voir la
(Chronique). Les tempos sont allants, le flot musical raffiné mais sans aucune
mièvrerie … encore une référence…

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