vendredi 29 août 2025

VALEUR SENTIMENTALE de Joachim Trier (2025) par Luc B. (comme Bergman)


On avait découvert Joachim Trier avec OLSO 31 AOÛT, et plus récemment avec JULIE EN DOUZE CHAPITRES, chroniqué [clic ici] en son temps, qui m’avait à la fois exalté mais aussi fait ronchonner un peu. Même sentiment mitigé pour ce VALEUR SENTIMENTALE, qui a reçu le Grand Prix à Cannes cette année. On y retrouve l’actrice Renate Reinsve, palmée pour son interprétation dans JULIE en 2021.

Bon, ça sent le Bergman à plein nez. Ce qui est plutôt de bon augure, on ne va pas non plus s’inspirer des plus mauvais. On imagine, à tort selon moi, un film centré sur le personnage joué par Renate Reinsve car elle occupe toute l’affiche. Elle interprète Nora Borg, une actrice de théâtre qui souffre d’un trac maladif. La première séquence est superbement mise en scène, c’est tendu, presque angoissant. La troupe attend Nora sur scène pour l’ouverture du rideau, elle hésite, recule, fuit, elle étouffe (plan dans la profondeur d’un couloir en coulisse), on la rassure, le public s’impatiente, le rideau s’ouvre puis se referme…

Puis autre séquence qui a pour personnage principal une maison. Une belle maison de bois rouge, celle de la famille Borg. Qui en a vu passer des générations, et là encore, la mise en scène parvient à nous faire entendre le coeur de cette bâtisse, la mémoire du passé, par des plans vides, des travellings qui serpentent dans les pièces, quelques flash-back. La mère de Nora, et de sa sœur Agnès, vient de mourir. Les proches se réunissent dans la maison familiale. On attend fébrilement le père : Gustav Borg. Séparé de son épouse de longue date, qui a refait sa vie en Suède, c’était un grand réalisateur de cinéma.

La maison comme coffre à souvenirs (la scène du vase), le passé qui ressurgit, les relations compliquées entre le père et ses filles, le théâtre, le cinéma, le double, la création… Thèmes bergmaniens par excellence. Gustav Borg annonce travailler à un nouveau film, il souhaite que sa fille Nora joue le premier rôle. Elle refuse. Elle n’a toujours pas pardonné à son père d’avoir quitté le domicile. Alors qu’on célèbre sa carrière au festival de Deauville, Gustav croise Rachel Kemp (jouée par Elle Fanning), une vedette américaine en mal de cinéma d'auteur, à qui il propose le rôle écrit pour sa fille. Rachel accepte.

Cette séquence à Deauville est une pure merveille, sur la plage baignée de la lumière douce du crépuscule, teintes violacées, l’actrice et le vieux metteur en scène se tournent autour, flûtes de champagne en main. Gustav arrête un cart tiré par un cheval pour que Rachel rentre à son hôtel. Elle trouve ça furieusement romantique.

Tout ce qui tourne autour de la préparation du film est très intéressant. Gustav, qui réfléchit déjà en termes de plans séquence, renoue avec son vieux chef op’, presque grabataire, qui à la lecture du scénario recommande plutôt des plans fixes. Sous les sourires gênés on lit dans le regard de Gustav « ça ne pas pas le faire... »

A une conférence de presse, on lui demande : « Votre film sera produit par Netflix, sortira-t-il en salle ? ». Gustav interloqué répond : « Bah, où voulez-vous qu’il sorte ? ». Sourires (encore) gênés du producteur… Gustav Borg est d'un autre temps, un maitre qu'on ne célèbre plus qu'en cinémathèques, qu'on soupçonne de capitaliser sur la célébrité de sa fille pour boucler son budget. Mais on sent aussi qu'il a le cinéma dans la peau.

Pendant les séances de lectures, l’actrice cherche des réponses, à comprendre le rôle, Gustav esquive malicieusement à chaque fois : « d’après toi ? ». Il embobine, séduit, finit par imposer Rachel Kemp à sa famille (il tourne dans la maison). Pour susciter la jalousie de ses filles ? L’actrice n’est pas dupe du manège de Gustav, qui lui fait teindre les cheveux en brun, comme Nora, et commence elle-même à douter.

Dans le rôle du patriarche manipulateur, qui persiste à vouloir jouir de la vie, séducteur, buveur, c’est l’acteur suédois Stellan Skarsgård. Il surclasse la distribution. Car le souci vient davantage des deux filles, plus ternes. Renate Reinsve héritant presque d’un second rôle. C’est ce qui m’a empêché d’adhérer complément au film. Gustav agit sur sa famille comme Skarsgård sur le film, un ogre qui cannibalise les autres. C’est bien sûr aussi le thème du film, mais je n’ai pas vraiment réussi à m’intéresser à Nora, dépressivement chiante, encore moins Agnès, engoncée dans sa petite vie bourgeoise.

On comprend que le trac maladif dont souffre Nora dans la première séquence, illustre sa peur de s’engager dans la vie, à faire le premier pas pour renouer avec son père. On attend leur face à face, qui n’arrivera pas. On reste sur la touche. C’est sa sœur qui lui fera finalement lire le scénario de son père : « Tout ce que tu attends qu’il te dise, et écrit là dedans ».

Alors oui, la fin est splendide, mise en abîme qui parvient à nous surprendre. Mais il faut attendre plus de deux heures. Je ne suis pas certain qu’un sujet pareil nécessitait autant de temps, de scènes qui  se suivent et se ressemblent. Joachim Trier qui avait su si bien capter l’essence du personnage de Renate Reinsve dans JULIE, semble échouer ici. 

C’est un beau film, mais il ne m’a pas touché.


Couleur - 2h15 - format 1:1.85 

2 commentaires:

  1. Ce film sentirait le Bergman à plein nez ?
    Je valide sans l'avoir vu. Le vieux patriarche Borg est un réalisateur de cinéma ? Tiens, dans Les fraises sauvages, où le vieux toubib s'appelle Borg, et où il est joué par Victor Sjostrom, antique réalisateur et père du cinéma nordique ... y'a des fois où y'a tellement de hasards que ce n'est plus du hasard ...

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  2. Je n'avais pas fait le rapprochement avec "Borg", effectivement, une case de plus de cochée !

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