vendredi 27 juin 2025

LE RÉPONDEUR de Fabienne Godet (2025) par Luc B.



Le titre n’est pas terrible et l’affiche est si mauvaise qu'elle renvoie à une énième comédie sociale, rencontre improbable (mais au final enrichissante) entre un bourge du VIIè arrondissement et un mec de banlieue. A fuir, donc. 

Sauf que non. 

LE RÉPONDEUR pourrait recevoir la palme du film le plus mal vendu ! Il n’y est jamais question de différences sociales, de classes, de cultures, ni de stéréotypes, ce n’est pas non plus une comédie qui fait rire gras. A vrai dire on rit peu, ce n’est pas fait pour ça, mais on sourit quasiment de bout en bout, charmé par cette histoire aux rebondissements inattendus.

Pierre Chozène (Denis Podalydès dans un rôle sur mesure) écrivain célèbre couronné d’un prix Goncourt, s’attelle à son nouveau roman avec difficulté. Son portable ne cesse de sonner, on le sollicite de toutes parts, impossible d’aligner trois mots. Il a l’idée saugrenue d’engager un comédien-imitateur pour répondre à sa place, Baptiste. Qui trouve cette situation « perverse ». Confier sa vie à un autre, un double phonique. Chozène lui a préparé des fiches sur toutes ses connaissances, et comme c’est bien payé…

La séquence où Baptiste s’approprie la voix de Pierre est très bien faite, on en suit la construction méthodique, technique, jusqu’au test final : Baptiste appelle Elsa, la fille de Pierre, au téléphone, et ça passe crème. L’acteur Salif Cissé est épatant, mais n’est pas imitateur (il donne dans le théâtre) et il a travaillé avec notamment Michael Gregorio pour apprendre l’imitation. Au final, les voix de Podalydès et Cissé/Podalydès ont été mixées, pour n’en faire qu’une. Comme lui dit Pierre, déçu, « ce n'est pas moi, ce n'est pas ma voix ». Mais qui connaît sa voix ?

Un scénario pareil, tiré du roman de Luc Blanvillain, puise ses racines dans le vaudeville, avec les quiproquos inhérents au genre. Mais là où le film de Fabienne Godet diffère, c’est que les situations à priori comiques se chargent de gravité. C’est à Baptiste qu’il revient la responsabilité de gérer la vie de Pierre, avec les attachés de presse, les journalistes, mais aussi avec son ex-femme, sa maîtresse, sa fille, son père toxique. Et c’est de là que naît le trouble. Ce que Baptiste qualifiait de situation perverse.

En cas d’urgence, Baptiste peut appeler Pierre Chozène (sur un autre numéro) mais il se prend au jeu, improvise, et va s’immiscer dans la vie de Pierre et de sa fille Elsa. C’est le deuxième étage de la fusée. Quand Baptiste apparaît en vrai, en tant que Baptiste et non plus en tant que voix déléguée. Il y a des situations qui ressemblent au DÎNER DE CON, quand Pignon, persuadé de bien faire, détruisait la vie de Pierre Brochant. Sauf qu’ici, Baptiste est tout sauf con, il goûte au jeu, brise un flirt entre Elsa et un critique littéraire soupçonné de draguer la fille pour atteindre le père. Et rentre dans la vie l’Elsa, artiste peintre, dont il devient le modèle.

La scène du restaurant est du pur vaudeville, sans les portes qui claquent et les hurlements tapageurs, le ton du film est beaucoup plus subtil, souligné par des dialogues impeccables. Beaucoup moins amusante, l’intervention de Baptiste dans les relations entre Pierre et son père, et cette question : Baptiste doit-il rendre compte à son patron de ce qu’il entend sur lui ?

Cette situation ne peut pas durer éternellement, on attend le moment où la machine va se vriller, et quand ça arrive, c’est à la fois drôle, gênant, et finalement assez tragique. Le scénario parvient à déjouer les pièges convenus, et surtout à tirer le meilleur de toutes les situations, qui ne se répètent pas mais en amènent de nouvelles, un effet boule de neige. Il faut saluer l’écriture des personnages, les seconds rôles ne sont pas oubliés, le directeur du café théâtre, l’habilleuse, l’arrivée de Clara, jouée avec classe par Aure Atika. Qui dira à Baptiste que mine de rien, grâce à sa roublardise mais aussi son honnêteté, il a positivement changé la vie des gens. On aurait pu imaginer une version maléfique, car Baptiste a finalement toutes les cartes en main pour intoxiquer la vie des autres.  

LE RÉPONDEUR est une bonne surprise, il n’y a pas une scène de trop, le rythme est soutenu, le crescendo parfaitement entretenu, construit en couches successives, en apparence légères mais finalement plus profondes, et surtout un film merveilleusement interprété. Le film manque sans doute un peu de mordant, l'idée aurait plu à un Woody Allen, qui y aurait injecté du sarcasme, quand Fabienne Godet est toute en empathie pour ses personnages.


Couleur - 1h40 - format 1:1.85 

12 commentaires:

  1. Shuffle Master.27/6/25 08:28

    Donc, un bon film avec Podalydès. C'est suffisamment rare pour être signalé. Il y a quelques jours, j'ai commencé à regarder La Petite Vadrouille avec le susnommé. Désespérant... le scénario fait effectivement beaucoup penser à Woody Allen. Chiche qu'il va en faire un remake?

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  2. Difficile, lorsqu'on s'est habitué au caviar (nos grands acteurs et cinéastes d'antan), de se contenter d'œufs de lump... Podalydès, jamais compris l'enthousiasme. Mais bon, il remplit le quota d'homme blanc hétérosexuel cisgenre d'un certain âge encore autorisé...

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  3. "Nos grands acteurs"... On regrette l'époque Gabin, Ventura, de vrais acteurs ça, des gueules, pas des gonzesses, et pis populaires, pas chiants... Et après c'était ah Dewaere, Depardieu, ça c'est des mecs qui savaient jouer, qui ne se prenaient pas au sérieux, pas comme maint'nant... Et dans 20 ans on dira, ah Roschdy Zem, Podalydès, ça c'était du comédien, théâtre, ciné, comédies, drames, y savaient tout faire... Bizarrement, on ne dit pas ça des actrices ?

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    1. Ben si... Morgan, Darrieux, Moreau, B.B, Signoret, Schneider, Deneuve, Baye, Adjani, Binoche, Huppert, j'en oublie forcément...

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    2. Evidemment. Mais on entend moins me semble-t-il : "Binoche, Cotillard, Haenel... pfff, des connasses, avant y'avait Signoret et Morgan, ça avait une autre gueule". Par contre les jérémiades "Belmondo, Delon, c'était la grande époque, aujourd'hui on a Dujardin et Lellouche" pullulent.

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    3. Mais dans l'ensemble, c'est vrai, non ? A chaque génération, on descend d'un niveau... Après, ce n'est pas uniquement de leur faute/fait. Pas le même vécu, pas la même époque...

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    4. Je ne sais pas... Difficile à dire. Pour moi la qualité d'un film vient avant tout de la qualité du réalisateur/auteur. Est-ce que Verneuil, de Broca ou Oury étaient meilleurs que Jimenez, Salvadori ou Toledano ? (pour essayer de rester dans les mêmes catégories). Les jeunes loups de la Nouvelle Vague ont eu la dent dure contre certains réalisateurs des années 50's (Truffaut a reconnu avoir été un peu con sur ce sujet), mais à revoir à la télé des trucs d'André Hunnebelle, Delannoy, Christian-Jacque, certains Grangier, les Jean Marais, les Fernandel, c'est amusant (à peine) car nostalgique, mais ça ne vaut pas trois clous. Franchement, les Lautner, Verneuil ou Deray dans les 80's, c'est assez mauvais. Ca fonctionne à cause de la tête d'affiche. Il n'y a pas de nouveaux Sautet, de nouveaux Chabrol, de nouveaux Rappeneau, encore moins de nouveaux Godard ou Resnais, mais c'est normal, chaque "auteur" est unique, et tant mieux. Et puis le métier a changé, les coûts, les financements. A l'époque 40's - 60's les mecs pouvaient tourner deux ou trois films par an, ce qui serait inimaginable aujourd'hui. La télé, les plateformes, les séries, tout cela a changé la donne aussi...

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    5. Qu'il n'y ait pas de nouveau Godard n'est pas gênant... Son "Mépris" m'a niflé, certes il y a quelques belles images (l'ouverture avec le mec sur son travelling, la villa à Capri et... les fesses de B.B) mais quel ennui ! Et Bardot, insupportable, elle et Piccoli qui se disputent pendant des plombes dans chaque pièce de leur appartement... Quant à "Soigne ta droite" (vu pour les Rita), quelle horreur et quelle prétention, ce truc !

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    6. "l'ouverture avec le mec sur son travelling" ... Le mec en question c'est Raoul Coutard, immense directeur photo (dont Le Mépris...) que Godard a choisi de filmer au travail, pour en faire certainement le plus beau générique de film qui soit, superbe mise en abîme, avec cette caméra qui finit son mouvement en cadrant 'l'autre caméra', et donc nous filmer, nous spectateurs, en train de regarder le film se faire... C'est vertigineux ! Et comme on dit, c'est tout con mais il fallait y penser !

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  6. C'est moi qui ai pris un coup de chaud où c'est blogger qui m'enregistre des coms au bout de trois mots ? Bon, on va réessayer ...
    Ce film, pas vu, pas entendu parler, mais faire un long métrage sur une idée de sketch à la Chevalier et Laspalès qui lui dure que cinq minutes, c'est possible voire probable que ce soit pas l'idée du siècle.
    Podalydès, il sort autant de films que King Gizzard & the lizard wizard sortent de disques chaque année ... alors forcément, il finit par y avoir du déchet ... J'avais bien aimé y'a quelques temps les 2 Alfred (son frangin était dans le coup aussi, il me semble que c'est lui qui réalisait ...)

    Il y a quelques belles images dans Le mépris, je confirme ...

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