jeudi 26 juin 2025

LE ROCK PROGRESSIF - Episode 1, par Benjamin


L’ambiance était calme, les yeux pétillants des musiciens présents témoignant d’une excitation qu’ils maîtrisèrent tant bien que mal. Du coté de George Harrison et Ringo Starr, plus rien ne pouvait paraître étonnant, leurs compositeurs n’ayant cessé de multiplier les excentricités sonores. Epuisés par l’hystérie de leur public, les Beatles se réfugièrent dans le calme austère des studios modernes. 

Là, le génie du duo Lennon/McCartney prit une ampleur qui n’eut jamais d’équivalent dans l’histoire de la musique anglaise. Des titres tels que « Norvegian wood » et « Within you without you » fondèrent le psychédélisme anglais, un disque tel que « Revolver » fit du 33 tours une œuvre totale. Puis vint l’idée de McCartney d’enregistrer le récital surréaliste du Sergent Poivre et son Orchestre de cœurs solitaires. Ainsi inventa t-il l’album concept, apothéose de l’ascension d’une musique soucieuse de devenir un art majeur. 

Un soir, alors que les sessions d’enregistrement du jour venaient de se terminer, un titre de journal attira l’attention de John Lennon. Tous ceux qui eurent pour ambition d’écrire quoi que ce soit savent que le processus ne s’arrête jamais, que le cerveau du créateur est une éponge absorbant tout ce qui l’entoure pour le faire fermenter dans l’alambique de sa pensée. Après avoir lu le récit du drame, Lennon fit de cette histoire d’accident de voiture un refrain historique :

« I read the news today o boy, About a lucky man who made the grade, And thought the news was rather sad, Well I just had to laugth, I saw the photograph… »

Lisant la suite de cette émouvante litanie endeuillée, Paul McCartney voulut lui apporter un peu de légèreté. Lennon se moqua souvent de ses refrains gentillets portés par des mélodies un peu niaises, qu’il appelait souvent ses « chansons de grand-mère ». Le Candide de la pop anglaise prit alors la plume, pour donner à ce lourd requiem la tendresse d’un conte enfantin :

« Woke up , fell out of bed, Dragged a comb accross my head… »

« A day in the life » fut le sommet indépassable du duo Lennon/McCartney, celui où leurs génies apparemment si opposés se complètent à la perfection. Comme s’ils entendirent soudain le cri de rassemblement de leurs ancêtres, les Beatles se mirent en tête de faire de leur chef d’œuvre l’acte de résurrection du génie mélodique du vieux continent. Un orchestre philharmonique fut donc convoqué, le groupe lui donna ses partitions et lui dit quand intervenir. Sa solennité donna de la profondeur à la légèreté et du lyrisme à la tristesse, jusqu’au carambolage final ayant des airs de big bang musical. 

Ce big bang broya progressivement les résidus rouillées du rhythm’n’blues, incita les musiciens à arrêter de singer les groupes américains. Pendant que les Beatles préparaient leur historique coup d’éclat, les Moody Blues apprenaient à leur dépend que l’ère de l’hégémonie culturelle américaine touchait à sa fin. En mimant les artistes américains, les Moody Blues obtinrent un succès aussi rapide qu’éphémère. 

Pris en première partie des Beatles lors d’une de leur dernière tournée, les Moody Blues ne purent que subir les conséquences du génie créatif des quatre de Liverpool. Tout groupe anglais évoluant entre 1965 et 1970 ne put que subir l’influence du duo Lennon McCartney, les Stones eux-mêmes se mirent à composer pour rivaliser avec eux. « Rubber Soul » et « Revolver » ayant fait passer la musique dans une nouvelle ère, la superficialité des Moody Blues devint flagrante.

Fardé de costumes de dandy leur donnant des airs de gendre idéal, le groupe chantait la vie des ouvriers américains avec une émotion ridiculement surjouée. Traité de plus mauvais groupe du monde, les Moody Blues virent leurs ventes s’effondrer au point de faire fuir le guitariste Denny Laine. Comble de l’ironie du sort, la carrière de ce dernier connut un second souffle en 1971, lorsqu’il rejoignit les Wings de Paul McCartney

Les formations rock suivent les mêmes règles que les gouvernements, ceux qui les ont menés à la déroute ne peuvent les sortir des limbes. Cherchant son nouveau chanteur, le groupe en déroute jeta son dévolu sur Justin Hayward, un musicien nourri par le talent lyrique du vieux continent. Ayant fait ses débuts en passant du chant au théâtre, l’homme fit le lien entre le passé pop du groupe et ses nouvelles ambitions artistiques.

Ses influences classiques tombèrent à pic, l’invention du mellotron permettant désormais au groupe de créer de grandes symphonies pop sans devoir engager un orchestre. Hayward écrivit donc une série de titres censés représenter la journée d’un homme, des minutes chargées d’espoirs de l’aube à la triste noirceur du crépuscule. « Days of the future passed » constitue un premier flirt un peu gauche entre le rock et l’influence des grands compositeurs européens. Les passages orchestraux servent de doux intermèdes entre deux morceaux pop raffinés. 

De sa voix théâtrale, Hayward donne une grâce solennelle à la gaieté de « Dawn » et une solennité mystique à la beauté sensuelle de « Night in white satin ». Second modèle du rock progressif, « Days of the future passed » en définissait les contours, que le mouvement ne cessa d’approfondir et de réadapter. Ambitions poétiques portées par un symphonisme rêveur et rehaussé par des chœurs alanguis, le rock progressif incarnait la joie d’une génération pour laquelle l’avenir ressemblait à un rêve éveillé. L’album actant la naissance du mouvement n’en fut pas moins une œuvre sombre et torturée.

A suivre...   

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