- Gabriel Pierné, Pierné (pas pied de nez, hihi), Heuuu… désolé Claude… Je cherche dans l'index. Ah voilà : 2023, dans un billet collectif d'œuvres de chambre autour de Madame la harpe…
- En effet Sonia, il me semble que je proposais ce programme Roussel, Pierné, Koechlin, Ropartz comme ultime tentative d'apporter charme et douceur dans un monde de brutes… pour le 1er mai avec des brins de muguets en illustration… À l'évidence, on ne peut pas dire que deux ans plus tard la réjouissance soit de retour…
- En effet Claude, toutes ces guerres, le gaspillage d'engins absurdes coûteux et à l'utilité discutable (fusées de Musk au hasard)… Tu nous remontes le moral avec un ballet féérique, tu t'y étais engagé d'ailleurs pour Pierné…
- En effet, Cydalise et le chèvre-pied mêle désir, sensualité, facétie, de la pure musique française. Maggy Toon pense à Ravel en l'écoutant…
- Dis ? cydalise et un chèvre-pied… ce sont quoi ?
- Cydalise est une danseuse vedette d'une troupe venue donner un spectacle de ballet devant Louis XIV…. chèvre-pied est synonyme de Faune, satyre, etc., une créature polissonne…
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Gabriel Pierné (1863-1937) |
Pas de Clic, je reprends la présentation écrite il y a deux ans du compositeur vedette ; quelques compléments s'imposent :
Gabriel Pierné naît à Metz en 1863, l'appropriation par l'Allemagne de la Lorraine en 1870 conduira la famille à Paris. Pierné dirigera sa carrière dans trois directions : organiste (il succédera à César Franck à l'Orgue de Ste Clotilde), chef d'orchestre (il succédera à Édouard Colonne à la tête de l'orchestre éponyme) et enfin, compositeur éclectique. Il composera dans tous les genres mais sans s'imposer face aux maîtres du temps, français ou germaniques. Il meurt en 1937. On lui doit de jolis ballets et oratorios dont on reparlera.
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Compositeur éclectique est un euphémisme. Cela dit, si Pierné se révèle un "touche à tout" dans ses créations, son catalogue ne comprend qu'une cinquantaine d'œuvres. La discographie n'est pas maigre, loin de là, mais la diversité de ses partitions et leur relative brièveté conduit à un éparpillement des enregistrements de celles-ci dans des anthologies à l'image de celle présentée en 2023. Pierné apparait alors comme un compositeur de second ordre… Heureusement cette situation évolue… grâce à nos amis anglais entre autres !
Il existe un coffret Warner réunissant 9 CD de gravures de diverses époques (mono-stéréo de 1956 à 2018 plus des témoignages discographiques historiques de 1926 à 1948 😊). Comme souvent, les labels aventureux et imaginatifs tels Chandos et Timpani (pour le disque du jour) ont publié des programmes cohérents qui permettent de disposer de la plupart des ouvrages écrits par Pierné. Je cite deux albums Chandos gravés par Juanjo Mena à la tête de la BBC et le pianiste Jean-Efflam Bavouzet.
Il n'existe à ma connaissance que cette seule gravure de Cydalise et le chèvre-pied en version intégrale. Pierné en avait extrait deux suites jouées et publiées plus ou moins fréquemment. Le grand Eugène Ormandy enregistra la marche des petits faunes en 1972 sur une drôle de galette fourre-tout réunissant neuf compositeurs de Moussorgski à Saint-Saëns en passant par Liszt et Delibes (Clic) 😊)
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Faune et Nymphe - Moritz Stifter (1894)
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Composé en 1914, le ballet Cydalise et le chèvre-pied ne sera créé qu'en 1923 à l'Opéra de Paris. La chorégraphie était réglée par Léo Staats. Maxime Dethomas avait créé les costumes et les décors et Camille Chevillard tenait la baguette. Le succès est au rendez-vous comme jamais. Les critiques parlent de "joyau national". Les chroniqueurs Henri Malherbe, Roland Manuel et André Levison sont aux anges ! Successivement, ils écrivent : "La partition témoigne d'une abondance et, d'une distinction, d'une verdeur et d'une science incomparable", "Notre académie Nationale trouve enfin avec ce ballet, une œuvre à sa mesure."* et enfin "L'œuvre est pétillante, elle fleure le terroir. Elle est d'une surprenante légèreté quoique d'une composition très réfléchie et d'une technique particulièrement habile." (Source : livret très complet du CD.) Je me demande ce que je vais pouvoir ajouter de pertinent ?
(*) Il est vrai que depuis deux décennies, vers 1920, le temple de l'innovation dans le domaine du ballet se trouve plutôt au Théâtre de Champs Élysées, notamment lors des saisons des ballets russes pendant lesquelles se sont illustrés Debussy, Ravel, Stravinsky, ce dernier au risque du scandale pour excès de modernisme délirant dans le Sacre du printemps.
Cydalise et le chèvre-pied prolonge l'intérêt du public pour les livrets inspirés de la mythologie grecque et sa myriade de créatures légendaires souvent friandes de jeux sexuels 😊. Ô depuis l'époque classique, le genre fascine. L'antiquité et ses dieux et déesses à la libido impétueuse permet de s'affranchir des codes moraux puritains censurant toute représentation trop explicite d'une quelconque bacchanale moderne sur scène. Rameau reste un maître du genre, s'aventurant même dans la mythologie égyptienne dans son opéra-ballet Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, et d'autres ouvrages symboliques… mais pas trop. Les allégories, l'Amour, les divinités : Aphrodite, Bacchus, Cupidon… ont un pouvoir suggestif très utile.
Le début du XXème siècle s'autorise des libertés. Nijinski choque en dansant lascivement le Prélude à l'après midi d'un Faune sur une musique érotisante de Debussy. Quant au Sacre du printemps, la polyrythmie barbare et percussive de Stravinsky scandalise, tout comme le sacrifice de "l'élue" à Larilo dieu des amours charnels dans la tradition slave. Ajoutons Daphnis et Chloé, le chef-d'œuvre de Ravel… Bacchus et Ariane de Roussel en 1930 mettra fin à cette longue série…
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David Shallon en 1990 |
Trop longtemps, Gabriel Pierné sera jugé dépassé voire ringard par rapport aux compositeurs majeurs de sa génération, notamment Ravel (les deux hommes mourront la même année). Quelle manie stupide que ce besoin d'organiser des compétitions entre musiciens, plutôt que de mutualiser des œuvres de style comparable. Et là, je pense à Daphnis et Chloé, peut-être plus coloré mais très similaire par la richesse de l'orchestration. Pierné concurrence son collègue ; Maggy Toon lors d'une première écoute en aveugle a cité Ravel en premier :
3 flûtes plus 3 piccolos, 3 hautbois + cor anglais, petite clarinette, 3 clarinettes + clarinette basse, 3 basson + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba, timbales, xylophone, caisse claire, grosse caisse, cymbales, célesta, harpe et piano ad libitum, cordes – chœur mixte. Donc pas vraiment un ensemble instrumental fin du XIXème siècle !
La technique compositionnelle n'a rien de passéiste, bien au contraire. Pierné, quinquagénaire maîtrise toutes les facettes de l'écriture destinée à la féérie du ballet. En parlant de Sibelius le finlandais il y a peu, j'évoquais ces créateurs qui ne cherchent pas à s'inscrire dans un courant solfégique particulier pour s'adapter à la mode de leur temps et flatter les critiques : tonalité vs atonalité, etc. Le flot musical se révèle poétique, vivant et magique : gammes par ton comme Debussy, mode hypolydien médiéval, ou chromatisme classique… Pierné privilégie les climats féériques au solfège savant, il compose pour un public et des danseurs, pas des théoriciens. La mélodie adopte des nuances sans excès, la violence n'existera pas dans le parc du château de Versailles qui accueille une pantomime teintée de marivaudage…
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Chèvre-Pied et un jeune faune |
Pierné
ne se limite pas à faire preuve de fantaisie dans la forme. Il imagine
intégrer un ballet dans un autre ballet en mêlant mythologie et tradition du
ballet baroque dont la cour de Louis XIV était si friande. Avant d'aller
plus loin, précisons qu'il est fait appel à Robert de Flers et son
pote Gaston Arman de Caillavet, deux dramaturges et auteurs de
livrets d'opérettes légères appréciées du public. Ces deux amis inspireront
des personnages du roman fleuve de Proust, à la recherche du temps perdu. Si
je vous dit que de Flers et Caillavet écriront une pièce
titrée
Miquette et sa mère
adaptée pour la toile vers 1950 par Henri-Georges Clouzot avec
Danièle Delorme, Bourvil, Saturnin Fabre et
Louis Jouvet, estimons alors que les compères n'étaient pas des
amateurs… Il s'agit d'un vaudeville, on s'en doute. L'esprit facétieux et le
goût des pantalonnades stimulent l'argument du ballet.
Acte I, 1er tableau : Parc du Château de Versailles, fin du règne du roi Soleil, à la tombée de la nuit… Dans les bosquets et futaies, les créatures féériques s'éveillent… (Je n'en ai jamais vu de jour). Des faunes et des nymphes (de diverses catégories socio-professionnelles : dryades, hamadryades, les nymphes, et des faunes tels des égipans [chèvre-pieds] etc.). Suivant leurs âges, tous suivent des cours de danses et de musique dispensés par des Faunes seniors 😊. Comme toujours, il y a une forte tête. Le jeune faune Styrax s'enivre en vidant la gourde du maître tout en fantasmant sur la jolie nymphette Mnésilla. Styrax doit aller "au piquet", attaché à un arbre avec du lierre par les autres élèves. Mnésilla, tout aussi indisciplinée libère son camarade pour qui… évidemment, elle en pince… Styrax refusera de s'aventurer avec sa belle hors des bois pour savourer les parfums nocturnes et… aperçoit une étrange berline (au sens de l'époque). Elle transporte la troupe des comédiens de Thespsis déguisés plus ou moins en personnages mythologiques. Styrax attiré par le minois des danseuses de la troupe s'accroche au chariot…
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Nymphe |
Musicalement, les neuf premières sections exaltent les espiègleries de nos
personnages. L'intro fait songer à celle de
Prélude à l'après midi d'un faune, à savoir une mélopée onirique surgie des ombres nocturnes. Quant à la
psalmodie du chœur, comment ne pas la rapprocher de celle de
Daphnis et Chloé. La suite révèlera un souci ardent de colorer l'orchestre pour symboliser
sauts et rires des apprentis danseurs. À noter : la sensualité d'un délicat
choral cuivré dans (3). La section (4), virevoltante, souvent sous-titrée
La Marche des faunes
est jouée comme bis en fin d'un concert ou d'une anthologie d'orchestrale
(Ormandy). La section (7), assez longue, à la thématique fantasque, illustre la
leçon de danse bien rythmée réunissant Styrax et Mnésilla…
puis les pitreries et l'ivrognerie de Styrax. Le dialogue
instrumental devient concertant et trépidant : xylophone – cuivres –
percussions – tambourin… témoigne de l'héritage modernisé de l'écriture
impressionniste inspirée de
Debussy.
Acte II, 2ème tableau : Lors d'une représentation, des figurants installent les décors dans l'un des Parterres de Versailles. On affiche cet écriteau :
LA SULTANE DES INDES (Comédie Ballet) Dansée par Mlle Cydalise En l'honneur des fiançailles du Dauphin |
Puis le spectacle débute par l'entrée des danseurs, suivi de
Styrax qui s'invite sans gêne particulière, caché dans un buisson, et
enfin de la vedette
Mlle Cydalise arrivée en retard.
Elle joue la coquette, minaude auprès du capitaine des gardes et d'un
fermier général qui la paie… Styrax s'est caché dans le panier des
accessoires et costumes de
Cydalise. La dame interprète son rôle de la sultane.
Ballet de "La Sultane des Indes"
: Humoriste,
Pierné
dirige l'orchestre dans une ouverture dite "à la française", typique du
baroque et un soupçon grandiloquente. (14) Le Sultan se languit, déprimé
(hilarant dialogue morose des 3 bassons). (15) Visite des apothicaires
dignes de Molière (clavecin, flûte et cor, une drôlerie pour petit effectif
aux timbres de l'époque). Sur ce, des pirates livrent des esclaves (flûtes
et cordes attristées), dont des "nègres" et la belle
Cydalise. (16) Danses lascives puis plus guillerettes des esclaves (cordes). (17)
Le Sultan approche de
Cydalise l'insolente qui le
gifle de son éventail… Celui-ci s'en amuse, il a retrouvé sa joie de vivre
le petit coquin ! (18) final aux cordes et trompettes. (19) section assez
longue, très vivante, orchestre et corps de ballet au complet.
À la fin du ballet aux accents orientaux, le public est ravi quand Styrax, devant la troupe stupéfaite, jaillit du panier que vient d'ouvrir le fermier général pour proposer un châle à la danseuse. Styrax embrasse Cydalise puis entraîne avec fougue tous les danseurs dans un ballet improvisé… prétexte à enlacer Cydalise. Heuu… très amusant, mais le capitaine des gardes et le fermier général mettent fin à ce qui tourne à la bacchanale. Ils entraînent Cydalise qui lance une rose à Styrax qui de son côté lui offre la flèche de l'amour (Cupidon sort de ces corps 😊).
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Robert de Flers et son pote
Gaston de Caillavet
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Acte II, 3ème tableau : Dans une grande mansarde du château Cydalise se repose, un peu lasse. Elle "jarte" les courtisans et les soubrettes. Le Capitaine et le Fermer général essayent de s'incruster, en vain. (20) Le discours musical accentue cette impression de cohue ! (21) Les suivantes reviennent portant des fleurs, un petit un "nègre" lui remet des "poulets" (des billets doux Sonia en vieux françois, avant 1835 😉). Cydalise en lit quelques-uns. (22) Dès le départ des servantes, elle en fait des confettis… qu'elle laisse s'envoler par la fenêtre tels des insectes importuns. (23) Cydalise retrouve l'aiguillon donné par Styrax. Rêveuse elle s'allonge, Styrax jaillit et la pique avec ledit aiguillon. Cydalise charmée s'éveille et danse avec Styrax toujours aussi foufou qui farfouille dans la chambre ! (24) Cydalise demande à Styrax de reconstituer un "poulet" et de le lire ; mais un jeune faune ne sait pas lire. Qu'à cela ne tienne, il peut lui en écrire un ; un jeune faune ne sait pas écrire ; alors, que faire ? Un jeune faune sait jouer de… la flûte de pan ! Tous les personnages mythologiques reviennent danser… Styrax retrouve sont attirance pour la nature et les nymphes, s'apprête à rejoindre ses amis, tandis que Cydalise s'endort, Styrax lui envoie un ultime baiser… Coquine et sentimentale, non ? Cette histoire ?! Même si gentilement simplette... Tout public.
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Le chef
David Shallon
d'origine israélienne, né en octobre 1950 a connu une carrière bien
trop courte puisqu'une crise d'asthme fatale l'a emporté en septembre
2000, à l'âge de 49 ans. Il étudie le violon, le cor et la direction
d'orchestre dans son pays puis à Vienne auprès du célèbre
Hans Swarowsky. Le jeune maestro devient de 1974 à 1979 l'assistant de
Leonard
Bernstein
et débute en dirigeant la monumentale
troisième symphonie
de
Gustav Mahler
dont le chef américain était lui-même un grand interprète.
À partir de 1980, il dirige des phalanges internationales comme :
l'Orchestre philharmonique de Düsseldorf,
l'Orchestre symphonique de Jérusalem et
l'Orchestre philharmonique du Luxembourg
avec lequel il a gravé le ballet de
Pierné. C'est la seule intégrale disponible au disque. La discographie de
Shallon
reste modeste du fait de sa disparition prématurée, mais le CD
Cydalise et le chèvre-pied
n'ayant aucun concurrent…
Il a accompagné des solistes réputés : les violonistes
Isaac Stern
et
Itzhak Perlman
et l'altiste
Tabea Zimmermann
dont il devint le mari en 1991. Une virtuose que nous avions écoutée
dans sa version de
Harold en Italie
de
Berlioz
avec le
symphonique de
Londres
dirigé par
Colin Davis.
(Partition) : Elle comporte les indications de l'argument (nécessite des bons yeux 😊)
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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Acte I - 1er Tableau 1. Introduction 2. Danse des Dryades 3. Apparition de la Source 4. L'École des égipans 5. La Leçon de flûte de Pan 6. L'École des Nymphes 7. La Leçon de danse 8. Scène 9. Styrax
Acte II -
2ème Tableau
10.Entrée des danseurs 11.Entrée de Styrax 12.Entrée de Cydalise |
Ballet de "La Sultane des
Indes" 13.Entrée 14.Pantomime 15.Pas des Apothicaires 16.Danse des Esclaves 17.Variations de Cydalise 18.Finale du Ballet 19.Danse de Styrax
Acte II -
3eme Tableau
20.Entrée de Cydalise 21.Entrée des Suivantes 22.Pas des billets doux 23.Entrée de Styrax et danse 24.Final |
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