vendredi 6 juin 2025

LA VENUE DE L'AVENIR de Cédric Klapisch (2025) par Luc B.


Voilà un Cédric Klapisch qui tranche avec ce qu’il nous a proposé par le passé, un film plus ambitieux, car en costume pour la bonne moitié, et qui joue sur deux temporalités. Le point de départ est assez improbable, raison pour laquelle ça patine un peu, il faut deux trois coups de manivelle pour que le moteur rugisse enfin (c'est pas non plus un moteur de F1...).

Un notaire réunit une trentaine de personnes, qui se découvrent cousins, descendants d’une certaine Adèle, qui a vécu en Normandie plus d’un siècle plus tôt. Ils héritent de sa maison, une ruine. Quatre d’entre eux sont désignés mandataires, se rendent sur place, découvrent sous la poussière deux photos, un tableau, un chiffon tâché de peinture. Autant d’indices qui permettront de retrouver l’histoire de leur aïeule.

Par un joli fondu enchainé, la longère décrépite semble renaître, nous sommes en 1895, la jeune Adèle quitte sa campagne pour rejoindre Paris, y retrouver sa mère (qu’elle n’a pas connue). Pendant le voyage, elle se lie avec Anatole et Lucien, deux jeunes peintre et photographe, qui espèrent trouver le succès à Paris…

Il ne s’agit pas d’un récit principal rythmé de flash-back, mais bien deux intrigues parallèles, ayant pour points communs une enquête sur les racines familiales, la transmission, la filiation**, la place de l’art, son utilisation, l’évolution des techniques de représentation. Il faut rester au générique de fin, où défilent les photos des protagonistes, Adèle et sa descendance, de 1895 à nos jours, photos fictives puis celle des comédiens, gamins, ados, adultes, depuis les premières plaques de Nadar jusqu’au fond d’écran d’I-Phone.

On guette la manière dont Klapisch va passer d’une histoire à l’autre, et il nous surprend à chaque fois, avec une petite idée de transition. Le changement d’époque se fait très naturellement, le rythme et le ton de l’interprétation étant le même. Citons en exemple ce plan où Adèle passe le coin d’une rue sur les quais de la Seine, et à peine sortie du champ, un jogger arrive dans l’autre sens. C'est tout bête, 100% garanti sans effets numériques, en un plan on a sauté cent ans 

Le récit historique rappelle l’ambiance de CASQUE D’OR de Becker, la butte Montmartre, les cafés, les charbonniers, les lavandières, avec quelques répliques amusantes (« la rue Caulaincourt ? A droite après le potager... »). Mais le souci, c’est que la reconstitution pue la naphtaline (le syndrome JEAN DE FLORETTE de Claude Berry), les costumes sortent du pressing, il n’y manque pas un bouton, la figuration très statique arrive elle directe du musée Grévin. 

Dans les scènes à Paris, la reconstitution des décors en numérique est d’une laideur absolue, on se croit dans un décor en carton pâte 50's hollywoodien. Martin Provost s’en sortait beaucoup mieux dans BONNARD PIERRE ET MARTHE (2023) avec déjà le couple Vincent Macaigne et Cécile de France. Et puisqu’on en est aux sujets qui fâchent, Suzanne Lindon, qui joue Adèle, frise l’erreur de casting, sans peps, sans grâce, monotone, elle fait pâle figure par rapport au reste de la distribution.

Beaucoup plus intéressantes sont les passerelles qui se tendent entre les récits, l’enquête autour du tableau, du chiffon, et l’enquête d’Adèle qui une fois sa mère retrouvée (dans un bordel) cherche l’identité de son père. Klapisch joue avec les figures historiques, on croise Félix Nadar, Sarah Bernhardt, Monnet, et dans une scène amusante qui rappelle MINUIT A PARIS de Woody Allen, les protagonistes (grâce à une liqueur chamanique !) se retrouvent dans un salon d’exposition où le tout Paris se presse autour de "Impression soleil levant", dont un lubrique Victor Hugo !

La mise en scène de Cédric Klapisch est plus académique qu’à l’ordinaire, moins de facéties narratives, il filme en scope et utilise bien ce format large, le montage est évidemment précis et recherché pour ce type de double récit. Le générique du début est superbe, aux couleurs subtiles.

Klapisch ne renvoie pas les époques dos à dos, ce n’est pas un film en mode c’était mieux avant. Le conducteur de la charrette qui conduit Adèle à la gare au début de film, se plaint « tout va trop vite aujourd'hui, on ne prend plus le temps de se parler  » tandis qu'il avance à 2 km/h ! Dans une scène au Train BleuFélix Nadar poussera ce soupir : « à l’époque on savait s’amuser, c’était les années 70 » (ndlr : 1870 !!). C’est un film sur la place de l’art, la création, l'innovation. Les impressionnistes choquent les classiques, les affichistes dédaignent la photographie, les photographes annoncent la mort de la peinture, eux mêmes inquiets de cette nouvelle invention, le cinématographe...

Seb le clippeur, créateur de contenu, hésite entre réaliser des trucs vendeurs, et d’autres plus personnels. Scène amusante au début, où une mannequin qui pose devant "Les Nymphéas", trouve les couleurs de sa robe peu assorties, demande si on peut les modifier d’un coup de photoshop. Hurlement le directrice artistique qui ne veut pas toucher à la robe, par contre le tableau derrière, oui, on pourrait…

C’est aussi un film qui s’éparpille un peu, Klapisch a mis beaucoup de choses dans son scénario, qu’il survole parfois à défaut de les approfondir. Venu de lui, paradoxalement, je trouve les personnages un peu sacrifiés. C’est un film choral, où les personnages sont brossés grossièrement, comme Guy l’apiculteur écolo forcément anti smart-phone, ou Calixte, directrice de collection à Orsay, bourgeoise et fantasque, carré Hermès et brushing impeccable. Cécile de France s'est amusée visiblement beaucoup à la créer. Julia Piaton a peu de matière pour défendre son rôle de business woman dont on ne comprend rien du métier qu'elle fait ! Les relations toute en fébrilité entre Anatole et Adèle auraient mérité qu'on s'y attarde. 

Mais Klapisch porte un regard bienveillant sur son petit monde, il n’assène aucune vérité, un film souvent touchant (grâce à Zinedine Soualem, compagnon de route du réalisateur) et agréable à suivre.

** A propos de filiation, est-ce un hasard si se bousculent au générique des fils/filles ou frères de… Suzanne Lindon, Paul Kirsher, Vassili Schneider, Sara Giraudeau, Julia Piaton, Abraham Wapler… ? 


couleur - 2h05 - format scope 1:2.39 

8 commentaires:

  1. Non, le népotisme serait monnaie courante dans le showbiz ? Je ne vous crois pas...
    https://www.sudouest.fr/culture/people/fils-et-filles-de-le-show-biz-submerge-par-les-heritiers-7566372.php

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  2. Combien de boulangers avaient un père boulanger, d'agriculteurs un père agriculteur, de curés un papa... ah non, là ça marche pas ! Il n'est pas surprenant qu'un gamin dont les parents sont comédiens ou musiciens, suive la même voie. C'est même le contraire qui est étonnant. Le fils de Springsteen il est pompier, et sa fille est dans l'équipe américaine d'équitation ! (et ma fille étudie le cinéma, étonnant non ?!)

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    1. D'accord mais là on parle célébrités et copinage car le talent de ces héritiers est souvent (pas toujours) sujet à caution... Et il faudrait voir si cela a toujours été comme ça (dans ces proportions) ou si le phénomène est plus récent.

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  3. A part Suzanne Lindon, un peu juste, les autres sont très bons, Sara Giraudeau, Piaton, les frangins Kirsher. On avait eu les Renoir, les Brasseur, les Fonda, les Barrymore, même les Sardou ! Le phénomène n'est pas nouveau. Après, c'est sans doute plus simple pour certains de passer un casting...

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  4. Shuffle Master.7/6/25 10:10

    Pour la venue de l'avenir, il est préférable de venir de l'avenue?

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    1. Pas forcément. Mais dans tous les cas, c'est la deuxième à gauche.

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  5. Klapisch, ouais Klapisch, ben j'en pense généralement rien (de bon), les quelques-uns que j'ai vus me font penser à du théâtre filmé. c'est écrit, mais visuellement, ça vole pas haut ...

    Sinon, le truc du changement d'époque dans le même plan, y'a ça dans l'excellent Lone Star dont on avait un jour causé, là aussi sans effets numériques, sinon, avec l'écran vert, il y a le non moins excellent Last night in Soho ...

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  6. Superbe "Lone Star" ! J'avais oublié les effets pour passer les époques, effectivement. Tu es dur sur Klapisch, le théâtre filmé c'était l'époque Bacri Jaoui, la trilogie "Auberge Espagnole" est formidable, y'a de la bonne mise en scène, de l'image, des idées, pas seulement de l'écriture.

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