vendredi 30 mai 2025

PARTIR UN JOUR de Amélie Bonnin (2025) par Luc B.


Procédé assez classique, lorsqu’un jeune réalisateur voit son court-métrage primé dans les festivals, il lui prend des envies de grandeur... Oh bon sang ! J'ai déjà lu ça quelque part... Ah oui, c'était l'entame de mon article de la semaine dernière ! [clic ici ]. Car on est dans le même cas. Amélie Bonnin avait réalisé le court métrage PARTIR UN JOUR en 2021, pour lequel elle avait gagné un César. Elle propose aujourd’hui une version rallongée, avec les mêmes acteurs Bastien Bouillon et Juliette Armanet, mais, et ça c’est original, aux situations renversées.

Dans court, c’est le personnage masculin joué par Bastien Bouillon qui était une personnalité, un romancier, futur père de famille, qui en revenant voir son père malade dans la région de son enfance, tombait sur une petite copine de lycée, aujourd’hui caissière en supermarché, jouée par Juliette Armanet

Dans le long métrage, c’est Cécile, une cheffe renommée, connue via l’émission Top Chef, qui revient aider son père qui tient un Restau Routier, et croise Raphaël, un béguin du lycée, qui tient un garage auto. Elle est enceinte (premier plan, le test de grosse « ah merde... ») mais n’en dit rien à son compagnon Sofiane, ne pensant pas garder le gosse. Dans les deux cas, le père, Gérard, est joué par François Rollin, qui vient de faire son troisième infarctus, mais s’obstine à gérer son Routier. Cécile qui ne venait que pour un jour ou deux, reste finalement pour l’aider à la popotte.

PARTIR UN JOUR est une comédie dramatique et musicale. Un produit typiquement hollywoodien, mais curieusement, c’est en France que les cinéastes s'amusent de manière originale avec ce genre. On connaît les films de Jacques Demy, avec cette caractéristique des dialogues parlés-chantés (les acteurs étaient souvent doublés). Il y a peu, Jacques Audiard dans EMILIA PEREZ transformait un thriller en opéra en prolongeant ses dialogues de chansons originales, interprétées par ses comédiennes. En 1997, Alain Resnais proposait le génial ON CONNAÎT LA CHANSON, où les acteurs, selon les situations, mimaient des extraits de chansons françaises, Bashung, France Gall…

Amélie Bonnin propose encore du nouveau. Dans PARTIR UN JOUR (oui oui, la chanson des 2 be 3 !) il y a aussi des chansons, de Dalida, Nougaro, Stromae, Delpech, mais réellement chantées par les comédiens, et surtout totalement réorchestrées, c’est à peine si on les reconnaît. Bastien Bouillon s’en sort bien, Juliette Armanet aussi bien sûr puisque c’est son métier. Les interprétations un peu vacillantes de François Rollin donnent une très joli vernis à ses scènes, comme celles de Dominique Blanc (la merveilleuse Dominique Blanc dont chaque apparition est un miracle).

J’avoue, j'étais un peu perplexe au départ. Une scène dans une fête de village tourne d’un coup à la comédie musicale, Cécile la parisienne entame « Le Loir et Cher » de Michel Delpech, les figurants lui donnant la réplique en chanson. Moment gênant. Et puis lors d’une soirée arrosée avec d’anciens potes de lycée, y’en a un qui nous fait du Cécile Dion. Ah non ! Stop ! Le coup de la scène dansée où on mime le micro avec une spatule, merde, on nous le refourgue tous les trois films maintenant ! Ca va pas être ça pendant deux heures ?

Puis le film, sans doute trop long au démarrage, prend ses marques, et les personnages de l’envergure. Il y a un ton, un truc qui sonne vrai, de la fraîcheur, un peu comme dans VINGT DIEUX. Les scènes entre Cécile et son père sont très belles (la chanson de Nougaro « Cécile » nous tirerait presque les larmes), à la fois électriques et tendres, il y a du contentieux entre ces deux là, le cuistot andouillette-frite et la cheffe deux étoiles. Il lui ressort de son carnet toutes les vacheries qu’elle avait proférées dans Top Chef à propos de la cuisine populaire.

De même qu’on sent de suite qu’entre Raphaël et Cécile, il y a des regards qui ne trompent pas. Les comédiens y sont pour beaucoup. Très joli moment de flottement, au moto cross, quand on découvre que Raphaël est marié, avec un gamin, sa femme était aussi dans le même lycée, et pas franchement la meilleure pote de Cécile. Un ménage à trois qui s’élargit lorsque Sofiane débarque à l’improviste (rôle par contre écrit à la va-vite).

Avec cette scène gag, Raphaël et Cécile dans une chambre, on entend l’intro guitare de « Je l’aime à mourir » de Cabrel, Sofiane entre inopinément, Raphaël n’a que le temps de chanter « Je... » ! Il y a une très belle séquence dans une patinoire, où deux temporalités se télescopent, les Cécile et Raphaël d’aujourd’hui et leurs doubles ados d’hier, Amélie Bonnin joue sur les jeux de lumières pour montrer le présent et les flashback dans un même plan, belle idée de mise en scène.

PARTIR UN JOUR est un joli petit film qui prend de l’envergure quand l'enjeu devient plus dramatique, qui interroge le rapport de classe, au père, à la carrière. On sent une Cécile très organisée dans sa vie professionnelle, qui perd pied au contact de ses racines, mal à l'aise, personnage pas forcément sympathique. 

Le film épate surtout par l’interprétation des comédiens, tous formidables, même François Rollin qui donne l’impression de jouer à côté de la plaque ! Dominique Blanc est épatante (qui fume en cachette depuis 40 ans dans le camping car !) c’est à elle que revient le « Parole » de Dalida (joli moment), les seconds rôles apportent beaucoup, et mention à Juliette Armanet (qui sait tout faire, comédienne, réalisatrice, journaliste, musicienne, chanteuse) qu’on devrait revoir souvent sur grand écran.


couleur - 1h35 - format 1:1.85 

7 commentaires:

  1. Une perte de temps et d'argent. Donc doublement d'argent puisque le temps, c'est de l'argent. Consolation : ce n'est pas le mien.

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  2. Peu de temps perdu finalement, 1h35 (c'est quoi dans la vie d'un homme ?!) et peu d'argent aussi, 5 euros et quelques...

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    1. Avec un abonnement et/ou tarif normal ? Car chez moi, une place tarif normal sans abonnement, moins de 10 balles (et même plutôt 12), ça n'existe pas...

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    2. Je fuis à toutes jambes dès que je vois des Gaumont, Pathé, UGC, MK2, CGR... qui tiennent davantage du supermarché que de la salle de cinéma, dont les tarifs sont prohibitifs. Si on a la chance d'avoir quelques salles associatives / municipales à portée de pieds, c'est possible d'aller voir des films pour cinq euros, et parfois moins, au tarif "normal" puisque je ne suis plus étudiant et pas encore retraité !

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  3. Juliette Armanet (sosie officiel de Bourvil jeune) à tendance à m'agacer. J'avais bien aimé un de ses premiers disques (son premier ?) avant les derniers jours du disco, les concerts soi-disant évènements sur canal qui prouvaient que live c'était du délayage de gimmicks sans imagination, chrisme ou feeling, les J.O. et le massacre prétentieux d'Imagine, ... Faudrait peut-être qu'elle en fasse moins mais qu'elle fasse mieux ce qu'elle fait ...
    De plus, vu le caractère indigent de la variété française, se servir d'extraits de morceaux pour des dialogues de films, ça me laisse pour le moins perplexe. Le Resnais, pour être poli, j'avais pas vraiment aimé ...

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  4. Armanet / Bourvil, j'aime beaucoup ! Pour la variété française... on fait avec ce qu'on a. Cabrel ou Nougaro, ce n'est pas déshonorant. Les english n'ont qu'à faire la même chose avec les Beatles, mais en termes de droit d'auteur, ça leur couterait un max. Le film de Resnais est une merveille, écrit par Bacri/Jaoui, l'idée de départ est juste géniale, et la mise en scène du vieux est d'une jeunesse folle.

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    1. "C'est un beau film que peu de gens ont vu ("Vous n'avez encore rien vu", NDLR), ça n'a pas très bien marché mais c'est un film qui restera dans l'histoire du cinéma. Comme tous les Resnais." (Pierre Arditi : https://www.youtube.com/watch?v=FYabG0PzqE8)

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