Lorsqu’un jeune réalisateur voit son court-métrage primé dans les festivals, il lui prend des envies de grandeur. En France, il y avait eu le cas Xavier Legrand avec l’excellent JUSQU’À LA GARDE (2017). Le roumain Bogdan Mureșanu avait tourné les 23 minutes de CADEAU DE NOËL en 2019, il en propose aujourd’hui une version rallongée (2h20) et étoffée de nouvelles intrigues.
Il a repris les mêmes acteurs, la
même situation, mais en a fait un film choral avec intrigues entremêlées, qui se déroulent sur une seule journée, le
20 décembre 1989.
Le film montre avec un réalisme quotidien et terrifiant les derniers heures de la dictature de Nicolae Ceaușescu, qui a œuvré sur la Roumanie pendant 20 ans.
Bogdan Mureșanu opte pour un rendu quasi documentaire, caméra à l’épaule, format carré 1:1.37, image granuleuse et souvent sous exposée. J’ai tout de même parfois l’impression qu'il abuse de son dispositif très naturaliste, la caméra ne se repose jamais, qui sous-entend la pression des situations, ça cadre au plus près, mouvements chaotiques, les frères Dardenne ne sont pas bien loin.
Comme beaucoup d’intrigues chorales, LA REGLE DU JEU, SHORT CUTS, MAGNOLIA, LOVE ACTUALLY (pour citer les classiques qui me reviennent en mémoire) voire les films de Claude Lelouch, il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver au départ, j’avoue m’y être paumé dans la première demi-heure. Car Bogdan Mureșanu filme une succession de situations très courtes, sans exposition préalable.
Parmi les déménageurs recrutés pour la besogne, Gelu, devra faire face à une situation délicate. Son jeune fils a envoyé une lettre au père Noël, parmi ses vœux celui de son père : voir ce vieux Nico mourir. Oups ! Nico, c’est le surnom de Ceaușescu. Le courrier étant ouvert par les autorités, la lettre du gamin devient compromettante. Le père fera tout pour la récupérer avant qu’elle ne soit distribuée, c’était l’histoire du court métrage CADEAU DE NOËL.
Si le départ paraît confus, c'est sans doute volontaire, des passerelles se tendent ensuite entre les personnages, plus ou moins liés entre eux. L’histoire de la vieille Margareta est la plus touchante, qui rechigne à partir de son appart, on ne comprend pas pourquoi elle demande à Gelu d’isoler du froid ses fenêtres avec du gros scotch, alors que son immeuble va être détruit. La raison nous sera donnée beaucoup plus tard…
CE NOUVEL AN QUI N'EST JAMAIS ARRIVÉ suinte l'humour noir, sans être la comédie hilarante comme j'ai pu le lire, faut pas déconner... C'est davantage le ridicule ou l'absurdité des situations (toutes les scènes dans la régie télé) qui font sourire, et qui, au contraire de désamorcer le drame, le renforce. On voit des gens sans cesse sur le qui-vive, n’osant parler, donner un avis, dans un Bucarest obscur et froid, où chacun se surveille.
On entend dire dans le film qu’un roumain sur dix appartient à la Securitate. Ceaușescu a instauré un régime, à l’exemple de Staline, qui mise sur la délation, le soupçon constant. Les flics ont des indics partout, on ne sait à qui se fier, l’étudiant Laurentiu en fera les frais. L’achat de Xanax dans une pharmacie devient suspecte. Le coup de la lettre du gamin au père Noël pourrait faire rire (et de fait, on en rit), l’actrice qui fume toute la nuit et picole pour se détruire la voix, aussi (quand elle se frappe avec une tapette à mouche!), si cela n’était le reflet d’une société mise sous surveillance, sous corset.
Et puis sur la fin, la bande son nous fait entendre le boléro de Ravel. Ah non ! Pas ça, pitié, pas comme chez Lelouch ! La ficelle est grosse, mais elle fonctionne. Le crescendo musical accompagne les dernières séquences, le format du film s’élargit (même idée que le MUMMY de Xavier Dolan), on passe en 1:1.85, l’image s’éclaircit, la photo semble plus nette, tout cela pour symboliser l’espoir poindre, et la chute de cette dictature infâme. Trois jours après les époux Ceaușescu seront exécutés.
Cette dernière séquence est un mélange saisissant d’images d’archives et de fiction, avec encore ces petits hasards, ces fils invisibles tissés entre les protagonistes (les pétards du gamin dans la poche de son père).
CE NOUVEL AN QUI N'EST JAMAIS ARRIVÉ est un très beau film, qui tient sa force d’abord de son sujet, de ses interprètes, mais surtout du montage, puisqu’il joue sur un enchâssement de scènes à priori disparates, des allers retours constants d’une intrigue à l’autre, qui au fur et à mesure prennent plus de temps à l’écran, finissent par faire sens, situations presque anecdotiques qui atteignent l’universel.
Ouais, ça donne envie, ton film roumain, pourtant ton com commençait mal. Dire du bien du ridicule Jusqu'à la garde, ça me fait toujours grincer les dents (un film tourné dans un Kangoo, avec son final à la Shining du pauvre, désolé, je peux pas ...)
RépondreSupprimerJ'aime bien les films chorals ? choraux ? coraux ? Corot ? ... Bon, les films de ce genre ... parmi lesquels je citerai les 3 premiers Inarritu, Amours chiennes, 21 grammes, Babel.
Me souviens de la fin du Nicolae, un gugusse hyper mégalo entre Poutine et Néron, c'est dire s'il était sympa ... Quand ils se sont fait gauler, juger et exécuter en deux temps trois mouvements, il se faisait dessus, par contre son Elena de meuf était une vraie furie ...