jeudi 29 mai 2025

MARC BOLAN (1947 - 1977) par Benjamin



Qu’est-ce que la beauté pour un homme ? Tient-elle plus de ce qu’il dégage que de ce qu’il est véritablement ? Oscar Wilde disait « rien n’est vrai que le beau », avant de tenter de donner une définition de cette beauté dans le portrait de Dorian Gray. Qualifié comme un homme d’une grâce fascinante, son personnage semble la perdre à mesure que ses erreurs distillent en lui le poison du doute. Ainsi perturbé par les tourments d’une morale représentée par son fascinant portrait, Dorian Gray perdit progressivement le pouvoir de fascination qu’il avait sur les autres. Pour être considéré comme beau, il faudrait donc avant tout se construire un égo solide et un culot à toute épreuve. 

Puis il y a les phénomènes anthropologiques, les chefs-d’œuvre de la nature, ceux qui incarnent si bien la perfection esthétique que tout l’amour du monde leur semble dû. 

Marc Bolan fit partie de ces exceptions là, même s’il condensait cette perfection dans un corps d’une taille anormalement basse. L’enfance étant l’âge le plus cruel, ce léger défaut lui valut les moqueries de ceux dont la grandeur n’était que physique. Heureusement pour lui, le petit Apollon faisait partie de la plus noble catégorie d’homme, celle qui s’est choisie un rêve où vivre. Privé de la conversation de ses contemporains, il se mit à s’imprégner des grands récits des morts. Sous son regard fasciné défila la poésie de Rimbaud, le pays des merveilles de Lewis Caroll, l’incontournable Tolkien et Lord Byron. Grâce à ce dernier, celui qui se considérait jusque-là comme un monstre se rêvait désormais en majestueux dandy.

Fort de cette philosophie assumant son culte de la superficialité et du narcissisme, il se tailla une allure lui valant l’admiration de tous les mods de son quartier. La littérature l’aida également à accomplir les tâches les plus pénibles avec enthousiasme, la croissance de son esprit renforçant son corps petit et frêle. Ainsi découvrit il le travail en montant des étals de fruits et légumes sur les marchés, ce qui fut le seul véritable emploi de sa vie. 

Au cours de l’un de ses convois, son père routier tomba sur un disque de Bill Haley and the Comet. Avec Chuck Berry et Elvis, Haley fut un des pionniers de cette fusion agressive du blues et de la country que l’on nomma rock’n’roll. Lorsque son fils posa le disque sur la platine, sa fascination fut immédiate. Cette révolution n’avait pas encore 10 ans, internet ne permettait pas encore à la musique de se propager à la vitesse du son, cette musique sonnait encore comme si elle avait été inventée hier. Lorsque le nain rêveur atteignit l’adolescence, des hommes tels que Cliff Richard ou Eddie Cochran vinrent conquérir son pays à grands coups de riffs orgiaques. 

C’est d’ailleurs Cochran qui, lors d’un concert ressemblant désormais à un passage de témoin, le laissa porter sa précieuse guitare. Lui vint alors la vocation de défendre de toutes ses forces cette puissance vitale, qui ne parlait malheureusement qu’à son esprit reptilien. Ainsi ne renia-t-il pas non plus ses rêveries littéraires, elles mûrissaient en lui en attendant l’occasion de se dévoiler. « How many road did a man walkin down before you call him a man »

Marc en resta pétrifié devant son poste de radio, suspendu à la voix de cet homme dont les phrases étaient des mélodies, les mots des notes. Si le travail du poète est de faire chanter la pensée et de donner une musicalité aux mots, cet homme était le digne descendant de Rimbaud et Verlaine. Un peu plus tard, Dylan greffa un cerveau au Frankenstein rock sur le disque « Highway 61 revisited », « Blonde on blonde » et « Bringing it all back home ». Déjà marié et père, Bolan monta le groupe T.Rex avec l’inconscience du rêveur désespéré. Jouant partout où l’on voulait bien l’accueillir, ce qui n’est alors qu’un duo psyché folk aux paroles alambiquées devint vite la coqueluche de l’underground. Repéré par John Peel alors qu’il partage la scène avec un certain David Jones, futur David Bowie, T.Rex commença lentement son irrésistible ascension. 

Fort du parrainage de John Peel, célèbre DJ de la BBC le duo parvint à enregistrer ses premiers 33 tours pour un sous label. Loin d’entamer une fulgurante ascension, la pop planante du groupe fut noyée dans le courant onirique de cette époque rêveuse. Perdu dans ses délires narcotiques, le premier partenaire musical de Marc Bolan dut vite être remplacé. Peu après avoir engagé le percussionniste Mikey Finn, Bolan se mit à la guitare électrique. Dès lors, la sauce se mit à prendre, le swing de « Inch in rock » annonçant l’énergie gracieuse du tube « Ride a white swan ». Lors de son passage à Top of the pop, l’allure de Marc Bolan marqua les esprits avant même qu’il ait joué la moindre note. Perché sur des platform boots et maquillé comme une voiture volée, le chanteur lança une mode que nombre de musiciens rechignèrent à adopter. Pour un homme sain d’esprit, s’habiller en femme est rarement un acte confortable et naturel. Si les lobbys LGBT semblent aujourd’hui prendre au premier degré ce qui fut d’abord une simple provocation, c’est qu’ils oublient que nombre de musiciens ne se plièrent à ce folklore qu’après avoir constaté l’effet qu’il produisait sur les femmes.

Il y eut de la testostérone sous les chemises étincelantes, du désir viril dans les riffs et les chants. Bowie s’inventa bien une ambiguïté sexuelle sur « Drive on Saturday », mais il finit par regretter d’avoir ensuite affirmé qu’il était bisexuel. L’époque comme le glam rock n’avait rien à voir avec l’exhibitionnisme militant et la vulgarité des gay pride modernes, ce fut simplement l’expression la plus pure de la fascination anglaise pour le rock américain. Marc Bolan avait la même énergie que Chuck Berry, son swing développait la même fougue juvénile. En digne descendant de Dylan ThomasMarc Bolan se mit rapidement à faire de cette force le puissant véhicule de sa poésie rêveuse. Lui vinrent alors la poésie saturnienne de « Cosmic dancer », l’énergie paranoïaque de « Metal guru », la philosophie nostalgique de « Life’s a gas ».

Se forgeant un personnage de débauché romantique, Marc Bolan fit de ses textes des poèmes paillards et romantiques, enjoués et nostalgiques. Puis il y avait cette musique, grâce puissante et séductrice, d’une apparente simplicité rassurante. « Electric warrior » et « The slider » sont au glam rock ce que Led zeppelin « I » et « II » sont au hard blues, des modèles aussi incontournables qu’indépassables. Bowie se fit plus pop, Mott the Hoople plus rhythm’n’blues, Slade flirta avec la violence des hordes zeppeliniennes avec une hargne digne des Who de la grande époque. Sorte de synthèse parfaite entre l’énergie charmeuse des Beatles des débuts et la regrettée simplicité du rockabilly, « Electric warrior » et « The slider » forment une synthèse parfaite entre la douce poésie anglaise et le rustique traditionalisme américain. 

Cette réussite signa également l’inéluctable déclin de l’ange Bolan, tant son enthousiasme l’avait poussé à livrer en deux disques le meilleur de son génie. Le succès fit ressortir son côté orgiaque et ses angoisses, les secondes nourrissant le premier dans un cercle vicieux qui l’éloigna vite de son art. Enregistré à la va vite, « Tanx » fut le premier épisode d’une série de navets pop produits par un has been déboussolé. Noyés dans l’alcool et étouffés par la cocaïne, ses précieux rêves avaient disparu, faisant de lui une bête de somme passant d’un poison à l’autre pour oublier ses tourments.

L’Angleterre ne l’avait pourtant pas oublié, une révolte nourrie par la simplicité de sa musique couvait sous son ciel gris. Le jeune Elvis Costello reprit alors « Jeepster » lors de ses premiers concerts, avant que les Damned n’effectuent la première partie de ce qui sera une de ses dernières tournées. Plein de projets, le chanteur embarqua dans une voiture conduite par sa compagne. La nuit fut sombre, la vitesse excessive, le virage mal anticipé. Emporté dans un effrayant dérapage incontrôlé, le véhicule percuta violemment un arbre situé en bord de route. Le corps petit et fluet du danseur cosmique n’y survécut pas, laissant ainsi un des plus grands musiciens de son temps mourir au seuil de la trentaine. Reste de lui le visage sculptural illustrant l’album « The slider », porte ouverte sur un monde où la beauté était reine.   

2 commentaires:

  1. Ah, les "lobbys LGBT", y'avait longtemps... Mais dans un article sur un rocker au look androgyne, la tentation était sûrement trop grande de le caser. Je n'en dirai pas davantage, de peur d'être taxé de faire du "hors piste" (justement, c'est pas moi qu'a commencé).
    P.S : Bowie est revenu sur le sujet en 2002, déclarant que ce ne fût une erreur (de se déclarer bisexuel, NDLR) que pour l'Amérique, plus puritaine que l'Europe.

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  2. Tanx est son meilleur album et Dandy in the underworld est son second meilleur album

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