mercredi 28 mai 2025

DOUBLE CRIME SUR LA LIGNE MAGINOT de Pierre Nord (1936/1951) – par Nema M.


Madame Portillon a offert à Nema un livre sur les forteresses Vauban pour son anniversaire. Elle le lit et s’intéresse à tous les détails de construction mais aussi de positionnement des canons et autres armes défensives. Sonia l‘interpelle :

- Finalement ça t’intéresse ? Je croyais que tu avais horreur de tout ce qui concerne la guerre.

- Je ne vais pas m’engager, c’est sûr, mais c’est notre histoire de France quand même. D’ailleurs au sujet des bâtiments militaires et de l’armée, je te recommande un bouquin passionnant, trouvé dans le grenier chez ma grand-mère Monateri : "Double crime sur la ligne Maginot".

- Maginot ? Une ligne de train ? Une ligne de bus ?

- Ignare, soupire Nema.

Basses Vosges

Non,  il ne s’agit pas d’une ligne de train mais d’une longue fortification sous-terraine qui passe à l’Est de la France pour protéger la patrie d’une invasion allemande, après la guerre de 14-18. Cet ouvrage fortifié, construit entre 1930 et 1934, est le lieu clos ou sont commis ces deux meurtres. Nous plongeons donc dans la vie militaire de l’époque, puisque l’action se passe en 1936.


Le commandant Malatre, avec le capitaine adjudant-major Dubois, accueillent le commandant d’Espinac, nouveau chef de corps du 40ème bataillon de l’Arme, à la Tête du vieux Fritz, dans les Vosges. Avant de partir à la retraite Malatre donne quelques indications sur le caractère et la personnalité des officiers du bataillon. Le capitaine Bruchot est un ancien de 14-18 qui a été blessé et a malheureusement tendance à boire. Mais c’est un excellent manager pour les troupes. Les trois lieutenants sous ses ordres sont jeunes et très fougueux : Le Guenn le breton assez réservé, Capelle l’organisateur des fêtes lors des permissions et Kuntz l’alsacien bosseur qui prépare le concours de l’Ecole de guerre.


Entrée Ligne Maginot

Les troupes et leur commandement sont installés dans un casernement dans une clairière à deux pas de l’entrée de la ligne Maginot quand ils ne sont pas en activité à l’intérieur du fort. Ce "village" comporte notamment des maisons pour les officiers. Ainsi d’Espinac reprend le pavillon de Malatre et se trouve voisin du petit pavillon de Bruchot et de sa charmante épouse Anna. En effet, Il n’est pas nécessaire de vivre enfermé dans la Ligne en permanence. Mais la mise en service et la préparation de cette Ligne de défense exige des travaux en continu et des exercices d’alerte et de positionnement des forces aux différents points de combat défensif. On accède à la rotonde principale par un long couloir d’accès, à partir de là différents couloirs mènent aux postes de combat. On trouve à ce niveau un poste de commandement, un central téléphonique (installation téléphonique interne reliant tous les postes de combat et les autres étages), un atelier, un magasin, la chambre des officiers, le casernement de la troupe… et un ascenseur et un monte-charge pour aller aux niveaux supérieurs. Eau, électricité, enlèvement des ordures… tout est prévu pour s’enfermer durablement en cas d’attaque.

Pour prendre la mesure de ce qui pourrait l’attendre en cas d’invasion, Espinac décide assez rapidement une revue de l’ensemble des lieux avec les troupes au travail. Ceci après une fête de bienvenue organisée dans le pavillon du commandant, avec quelques notables de la région, fête qui se déroule autour d’un grand buffet dans le salon principal transformé en salle de danse mais offre également une salle de bridge avec un coin fumeurs. Comportement provincial de l’époque, recherche des sous-officiers pour être l’époux de leur fille par une certaine petite bourgeoisie locale, très belle description de cette ambiance de l’entre-deux guerres… Anna remplace en quelque sorte la maîtresse de maison car Espinac est célibataire. Il y a bien en fin de soirée un petit incident lié à l’état d’ébriété de Bruchot, mais globalement tout s’est très bien passé. Mais la nuit sera très courte.



Tunnels de la ligne Maginot

Le jour suivant la fête, après avoir très peu dormi, Espinac prend son service comme d’habitude, très tôt le matin. Tout le monde est en poste, même si certains sont un peu endormis. Soudain, on entend une rafale de pistolet mitrailleur, les hommes se précipitent dans la rotonde. Il y a une panne de courant et un moment de panique. L’un des sous-officiers reprend le contrôle car Bruchot reste abasourdi devant les corps d’Espinac et de Dubois qui gisent dans l’ascenseur. On monte les morts à  l’étage de l’hôpital. On appelle la hiérarchie. Le chef d’état-major de la division, Barbet, arrive très rapidement, accompagné du juge d’instruction, de son greffier, d’un médecin légiste et d’un commissaire de police dénommé Finois. Le lieutenant-colonel Barbet est là non seulement pour suivre l’enquête mais aussi pour veiller au respect des secrets militaires. Le lieu est très particulier et ce qui peut s’y préparer doit rester plus que confidentiel. Finois, plus habitué des chiens écrasés et des vols sur les marchés que des crimes, veut montrer son efficacité en désignant très vite Bruchot comme le coupable.  Mais cela ne satisfait pas en haut lieu car Espinac était un agent de renseignement chevronné avant de venir dans ce bataillon. N’y aurait-il pas autre chose derrière ces meurtres ? Un commissaire de la Sureté nationale est dépêché de Paris : le fameux Vennard qui a résolu une affaire en quinze jours… Finois est vexé. Vennard relève de nouveaux indices qui malgré tout n’apportent pas toute la lumière sur ces crimes. Bruchot est incarcéré. Qui, comment et surtout pourquoi ces morts ? 


Pierre Nord

De roman policier, on passe à roman d’espionnage. Le capitaine Ardant est nommé en remplacement de Bruchot. Il arrive avec sa jeune femme, Geneviève. Est-il seulement là pour jouer ce rôle ? Pas exactement, car il y a doute au sujet d’une fuite d’un plan de site en Allemagne. Ardant identifie trois suspects, mais lequel est le vrai coupable, qui veut trahir la France ? Y-a-t-il un espion allemand dans le site ? La belle Anna, qui est allemande, joue-t-elle un rôle dans cette affaire, elle qui proclame que son mari est innocent, mais qui ne fournit aucun alibi quand c’est nécessaire… La fin est très  mouvementée. Cela fait penser un peu à un James Bond. Le meurtrier/espion sera abattu, mais dans une forme de respect militaire car finalement il ne faisait qu’obéir aux ordres…

 

Pierre Nord est sans doute tombé dans l’oubli, mais c’est un tort. Ce militaire et romancier français (1900 - 1985) est un personnage : sa vie très active le conduit à passer notamment par le Maroc et par l’Ecole supérieur de guerre dans les années 1930. Il entre dans le renseignement à cette même période. Il recevra de nombreuses médailles militaires, s’illustrant entre autres pendant la guerre de 39-45. Il nous a laissé une cinquantaine de romans et peut être considéré comme le père du roman d’espionnage français. "Double crime sur la ligne Maginot" est son premier roman. Il combine enquête policière et espionnage dans le monde fermé de la Grande Muette. Un livre très bien construit, avec suffisamment de détails pour qu’on s’y retrouve (et un schéma de la partie de la Ligne Maginot où se passe l’action), un style allègre et des personnages bien campés. A prendre également comme une "leçon d’histoire" quand on découvre la description de la Ligne et la vie militaire de l’époque.  

 

Bonne lecture !

Fayard - 254 pages 


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