Madame Portillon a offert à Nema un livre sur les forteresses Vauban pour son anniversaire. Elle le lit et s’intéresse à tous les détails de construction mais aussi de positionnement des canons et autres armes défensives. Sonia l‘interpelle :
- Finalement ça t’intéresse ? Je croyais que tu avais horreur de tout ce qui concerne la guerre.
- Je ne vais pas m’engager, c’est sûr, mais c’est notre histoire de France quand même. D’ailleurs au sujet des bâtiments militaires et de l’armée, je te recommande un bouquin passionnant, trouvé dans le grenier chez ma grand-mère Monateri : "Double crime sur la ligne Maginot".
- Maginot ? Une ligne de train ? Une ligne de bus ?
- Ignare, soupire Nema.
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Basses Vosges |
Non, il ne s’agit pas d’une ligne de train mais d’une longue
fortification sous-terraine qui passe à l’Est de la France pour protéger la
patrie d’une invasion allemande, après la guerre de 14-18. Cet ouvrage
fortifié, construit entre 1930 et 1934, est le lieu clos ou sont commis ces
deux meurtres. Nous plongeons donc dans la vie militaire de l’époque,
puisque l’action se passe en 1936.
Le commandant Malatre, avec le capitaine
adjudant-major Dubois, accueillent le commandant d’Espinac,
nouveau chef de corps du 40ème bataillon de l’Arme, à la
Tête du vieux Fritz, dans les Vosges. Avant de partir à la retraite
Malatre donne quelques indications sur le caractère et la
personnalité des officiers du bataillon. Le capitaine Bruchot est un
ancien de 14-18 qui a été blessé et a malheureusement tendance à boire. Mais
c’est un excellent manager pour les troupes. Les trois lieutenants sous ses
ordres sont jeunes et très fougueux : Le Guenn le breton assez
réservé, Capelle l’organisateur des fêtes lors des permissions et
Kuntz l’alsacien bosseur qui prépare le concours de l’Ecole de
guerre.
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Entrée Ligne Maginot |
Les troupes et leur commandement sont installés dans un casernement dans
une clairière à deux pas de l’entrée de la ligne Maginot quand ils ne sont
pas en activité à l’intérieur du fort. Ce "village" comporte notamment des
maisons pour les officiers. Ainsi d’Espinac reprend le pavillon de
Malatre et se trouve voisin du petit pavillon de Bruchot et de
sa charmante épouse Anna. En effet, Il n’est pas nécessaire de vivre
enfermé dans la Ligne en permanence. Mais la mise en service et la
préparation de cette Ligne de défense exige des travaux en continu et des
exercices d’alerte et de positionnement des forces aux différents points de
combat défensif. On accède à la rotonde principale par un long couloir
d’accès, à partir de là différents couloirs mènent aux postes de combat. On
trouve à ce niveau un poste de commandement, un central téléphonique
(installation téléphonique interne reliant tous les postes de combat et les
autres étages), un atelier, un magasin, la chambre des officiers, le
casernement de la troupe… et un ascenseur et un monte-charge pour aller aux
niveaux supérieurs. Eau, électricité, enlèvement des ordures… tout est prévu
pour s’enfermer durablement en cas d’attaque.
Pour prendre la mesure de ce qui pourrait l’attendre en cas d’invasion,
Espinac décide assez rapidement une revue de l’ensemble des lieux
avec les troupes au travail. Ceci après une fête de bienvenue organisée dans
le pavillon du commandant, avec quelques notables de la région, fête qui se
déroule autour d’un grand buffet dans le salon principal transformé en salle
de danse mais offre également une salle de bridge avec un coin fumeurs.
Comportement provincial de l’époque, recherche des sous-officiers pour être
l’époux de leur fille par une certaine petite bourgeoisie locale, très belle
description de cette ambiance de l’entre-deux guerres… Anna remplace
en quelque sorte la maîtresse de maison car Espinac est célibataire.
Il y a bien en fin de soirée un petit incident lié à l’état d’ébriété de
Bruchot, mais globalement tout s’est très bien passé. Mais la nuit
sera très courte.
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Tunnels de la ligne Maginot |
Le jour suivant la fête, après avoir très peu dormi, Espinac prend
son service comme d’habitude, très tôt le matin. Tout le monde est en poste,
même si certains sont un peu endormis. Soudain, on entend une rafale de
pistolet mitrailleur, les hommes se précipitent dans la rotonde. Il y a une
panne de courant et un moment de panique. L’un des sous-officiers reprend le
contrôle car Bruchot reste abasourdi devant les corps d’Espinac
et de Dubois qui gisent dans l’ascenseur. On monte les morts à
l’étage de l’hôpital. On appelle la hiérarchie. Le chef d’état-major de la
division, Barbet, arrive très rapidement, accompagné du juge
d’instruction, de son greffier, d’un médecin légiste et d’un commissaire de
police dénommé Finois. Le lieutenant-colonel Barbet est là non
seulement pour suivre l’enquête mais aussi pour veiller au respect des
secrets militaires. Le lieu est très particulier et ce qui peut s’y préparer
doit rester plus que confidentiel. Finois, plus habitué des chiens
écrasés et des vols sur les marchés que des crimes, veut montrer son
efficacité en désignant très vite Bruchot comme le coupable.
Mais cela ne satisfait pas en haut lieu car Espinac était un agent de
renseignement chevronné avant de venir dans ce bataillon. N’y aurait-il pas
autre chose derrière ces meurtres ? Un commissaire de la Sureté
nationale est dépêché de Paris : le fameux Vennard qui a résolu
une affaire en quinze jours… Finois est vexé. Vennard relève
de nouveaux indices qui malgré tout n’apportent pas toute la lumière sur ces
crimes. Bruchot est incarcéré. Qui, comment et surtout pourquoi ces
morts ?
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Pierre Nord |
De roman policier, on passe à roman d’espionnage. Le capitaine
Ardant est nommé en remplacement de Bruchot. Il arrive avec sa
jeune femme, Geneviève. Est-il seulement là pour jouer ce rôle ?
Pas exactement, car il y a doute au sujet d’une fuite d’un plan de site en
Allemagne. Ardant identifie trois suspects, mais lequel est le vrai
coupable, qui veut trahir la France ? Y-a-t-il un espion allemand dans
le site ? La belle Anna, qui est allemande, joue-t-elle un rôle
dans cette affaire, elle qui proclame que son mari est innocent, mais qui ne
fournit aucun alibi quand c’est nécessaire… La fin est très
mouvementée. Cela fait penser un peu à un
James Bond. Le meurtrier/espion sera abattu, mais dans une forme de respect militaire
car finalement il ne faisait qu’obéir aux ordres…
Pierre Nord est sans doute
tombé dans l’oubli, mais c’est un tort. Ce militaire et romancier français
(1900 - 1985) est un personnage : sa vie très active le conduit à
passer notamment par le Maroc et par l’Ecole supérieur de guerre dans les
années 1930. Il entre dans le renseignement à cette même période. Il recevra
de nombreuses médailles militaires, s’illustrant entre autres pendant la
guerre de 39-45. Il nous a laissé une cinquantaine de romans et peut être
considéré comme le père du roman d’espionnage français. "Double crime sur la ligne Maginot" est son premier roman. Il combine enquête policière et espionnage dans le
monde fermé de la Grande Muette. Un livre très bien construit, avec
suffisamment de détails pour qu’on s’y retrouve (et un schéma de la partie
de la Ligne Maginot où se passe l’action), un style allègre et des
personnages bien campés. A prendre également comme une "leçon d’histoire"
quand on découvre la description de la Ligne et la vie militaire de
l’époque.
Bonne lecture !
Fayard - 254 pages
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