vendredi 4 avril 2025

LA CACHE de Lionel Baier (2025) par Luc B.


Le même réalisateur suisse Lionel Baier avait réalisé LES GRANDES ONDES, en 2013, une comédie réjouissante et délicieusement libertaire, sur une équipe de bras cassés de la télé suisse en goguette au Portugal, qui se retrouvait en pleine révolution des Œillets. De révolution il y est encore question dans LA CACHE, celle de 1968, les zévènements de mai.

Où comment une famille de confession juive (ashkénaze) est contrainte de se terrer dans leur appartement de la rue de Grenelle, pour échapper à la chienlit, aux barricades, aux lacrymogènes. Le scénario est adapté du récit autobiographique du journaliste écrivain Christophe Boltanski

On est frappé d’abord par une mise en abime, dès le générique. Une voix (celle du réalisateur / narrateur) explique le pourquoi de cette adaptation, on voit à l’écran le bouquin de Boltanski, annoté, des passages surlignés. C’est original, ça rappelle un peu les génériques de Sacha Guitry, mais on craint aussi de se retrouver dans une démarche intellectuelle. Ce que ne démentira pas la suite.

L’histoire est racontée du point de vue du gamin. Il a neuf ans, ses parents participent aux manifs, et l'ont confié aux grands parents, qui vivent aussi avec deux oncles et l’arrière-grand-mère. Une smala soudée, intellectuelle, engagée dans le combat, vivant encore sous le spectre de l’Occupation. Quand le gamin se plaque à la poitrine une étoile jaune en guise d’étoile de shérif, ça fait un peu tiquer le grand père. On va suivre le Grand-Père médecin (les personnages n’ont pas de nom) qui tente de se présenter à la présidence de l’Académie, ou Grand-Mère, revêche, à la patte folle, parcourir la ville en Ami 6, pour interviewer les ouvriers sur leurs conditions de travail. Ou Grand-Oncle, linguiste qui épate par son art de la rhétorique, et Petit-Oncle, artiste, lors de sa première exposition de toiles.

La cache du titre ne serait donc pas l’appartement, puisque les protagonistes en sortent régulièrement. C’est pas le Journal d’Anne Franck… Alors quoi, on nous aurait trompé ? Il faut attendre la fin pour le savoir, une cache y’en a bien une dans l’appartement, celle où Grand-Père a passé des années à se planquer de la gestapo pendant la guerre (c'est l'histoire vraie d'Alexandre Boltanski), et qui sera l’objet du twist final, à propos duquel je reste dubitatif, même si l'idée est amusante.    

On doit les bons moments à Grand-Mère, jouée par l’excellente Dominique Reymond, éclopée dure à cuire mais pleine de tendresse pour son mari, un angoissé maladif interprété par Michel Blanc, tout en fragilité, dont LA CACHE est le dernier rôle. L’arrière-grand-mère est jouée par Liliane Rovère, dans un registre vieille ronchon anar, qui carbure à la vodka et propose des clopes au gamin, qui refuse poliment. 

La mise en scène réserve de bonnes surprises, des cadres et une palette de couleur étudiés, un format scope bien utilisé, des cadres larges, un univers aussi de bric et de broc proche de Jacques Tati (l'Ami 6 parcourant la banlieue bétonnée rappelle MON ONCLE). La plupart des trajets en voiture sont filmés en transparence (sur un fond vert) qui permet au réalisateur de changer l’arrière-plan en fonction des dialogues, étonnant. Il utilise aussi l’écran multiple, un format en scope recoupé en deux, petite coquetterie. Le souci vient des extérieurs, comme figés, avec des figurants qui ressemblent à des mannequins sortis du musée Grévin, engoncés dans des fringues trop propres, dans un décor qui sent la reconstitution au rabais. 

Le problème, c'est que je me suis ennuyé (le film est pourtant court), cette mise en scène rigide semble étouffer les personnages. Ca parle de quoi ? De mai 68 et des antagonismes sociaux ? Même pas, dans le genre bourgeois effrayés fuyants la capitale, on reverra le jubilatoire MILOU EN MAI de Louis Malle, ou même LA CARAPATE de Gérard Oury. Un film sur l’antisémitisme larvé ? Le voisin catho ultra réac et délateur est tellement caricatural (et mal joué par Baier lui-même) que l'intention tombe à plat. Le traumatisme encore vivace de la guerre, symbolisé par cette cache ? On voit dans une scène Grand-Père tétanisé par l'arrestation d'un manifestant, dans un restau, faisant ressurgir l'époque de l'Occupation... Reste une chronique familiale, tendre, poétique, mais qui manque cruellement de développement, si ce n'est le pèlerinage de Grand-Père et du petit fils, vers Odessa. Pèlerinage circonscrit à trois plans filmé sur une départementale...   

Lionel Baier hésite sur le ton, la direction à prendre, s’embourbe dans des effets parfois maniérés. On voit bien qu'il veut peindre par petites touches, mais quand on recule, on ne voit pas le tableau ! Un film finalement très lisse et sans malice, aux antipodes des comédies poil à gratter de Jean Yanne, dont on entend l’« Alléluia » sur une séquence.


couleur  -  1H25  -  scope 1:2.39      

5 commentaires:

  1. Shuffle Master4/4/25 09:46

    Beau placement de produit pour l'Ami 6. Remarquable voiture par ailleurs, qui "flottait" sur la route. Un copain avait l'Ami 8 et en virage, à plusieurs, il arrivait à faire toucher la caisse.

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    1. Houlala, l'Ami 6 !! L'Ami 8, c'était déjà la classe au-dessus. Nous (un pote), c'était plus modeste : l'Ami 6. Increvable.
      Cela m'évoque aussi la Diane d'un copain. Pied au plancher en descente, compteur bloqué à fond, l'aiguille au-delà des 130 km/h.
      Avec les fenêtres (entre-) ouvertes, l'air s'engouffrait. On a cru qu'on allait s'envoler 🤣

      [maintenant, au même endroit, avec une route plus large, si on dépasse le 80 - même avec une Porsche ou un Range -, c'est verbalisation au mieux, retrait de permis au pire. Va comprendre.... ]

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  2. Pour être parfaitement honnête, j'avais d'abord écrit qu'elle roulait en Dyane. Puis je me suis renseigné, parce que hein, évitons d'écrire des conneries, et c'est bien une Ami 6. Bon, les deux ont quatre roues et un volant...

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  3. Ma première voiture fut une Ami 6 ... break. Pas vraiment sexy ou glamour comme caisse, mais c'était immensément mieux que ma mobylette 103 Peugeot que j'ai toujours (faire offre, y'a un gars qui m'a dit que ça valait mille balles aujourd'hui).

    Sinon, on dira que La cache a été le dernier film de Michel Blanc ...

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  4. Vachement original comme sujet... Visiblement inépuisable.

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