lundi 3 mars 2025

SCHUBERT – 3 Klavierstücke D 946 (1828 - Impromptus ?) – Maurizio POLLINI (1985) – par Claude Toon


- Soniaaaaaaaaaaaaaaa… il faut préparer un complément au billet de jeudi dernier consacré aux huit impromptus de Schubert…

- Ah bon, tu en as oublié ? Quelle est cette raison de manger du Schubert à tous les repas, et puis le lundi des semaines réservées à Benjamin, tu parles cinoche ou on publie un article de ma copine Nema…

- Oui, oui, je sais… Mais Schubert avait commencé tardivement une nouvelle série de pièces de forme libre qui font songer (ou peut-être pas) à un nouveau cycle d'impromptus… Elle restera posthume jusqu'en 1868…

- Je vois comme cela l'ensemble de ces belles pièces seront en écoute dans le blog…

- En effet mon petit…


Lunettes et manuscrit de Schubert
 
 

Il y a quelques jours, nous avons écouté les impromptus D 899 et D 935, deux cycles de quatre pièces chacun. Pour résumer, Schubert et Chopin seront les deux auteurs de ces pièces courtes dont la forme plus libre que les ballades, scherzo, valses, nocturnes, etc. (voir la liste donnée jeudi) fut imaginée par un certain Václav Jan Tomášek (compositeur qui cherchait de la nouveauté dans l'écriture pour piano).

Ces deux cycles avaient été composés pendant l'été 1827, année de la mort de Beethoven en février. Schubert était parti en vacances chez des amis de Graz, les Pracher, pour à la fois se  reposer de la maladie qui le rongeait et travailler sur ces impromptus. Je ne radote pas, le dernier article détaille les circonstances de la rédaction et l'état d'esprit nouveau de Franz dont la mort de Beethoven semble avoir libérer son pouvoir créateur en effaçant son complexe d'infériorité injustifié par rapport à son mentor de génie. Bien que syphilitique, c'est vraisemblablement le typhus qui l'emportera en novembre 1828 à 31 ans.

 

Mai 1828. Depuis l'été convivial à Graz, Schubert a retrouvé sa fougue créatrice. On attribue à cette période la fin de l'écriture de la 9ème symphonie dite "La grande". Rien n'est moins sûr, l'immense symphonie fut commencée en 1825, et comme la 9ème de Beethoven, marque un tournant définitif du genre vers l'ouvrage royal du romantisme et influence durablement Schumann, Brahms et les monumentales symphonies de Bruckner. La date sur le manuscrit est indéchiffrable, 5 ou 8 ?… Une 10ème symphonie est ébauchée, sans plus..

Schubert renoue avec sa passion du lied : 7 isolés et le grand cycle de 14 lieder "Schwanengesang (Chant du cygne)", sans unité patente, inspirés de divers poèmes mais magnifiant la synthèse de l'art de Schubert dans ce domaine. C'est pendant cette période propice à l'écriture de lieder que verront le jour les 3 Klavierstücke D 946. Pourquoi pas une quatrième pièce à l'image des cycles de l'été 1827 ? Mystère…

Vont suivre une série de chefs-d'œuvre qui, au crépuscule d'une trop courte vie, feront entrer Schubert dans le club des génies, et même des miracles pour reprendre une expression de Max Pol-Fouchet : La messe N°6 de belle dimension, le quintette pour deux violoncelles – un must absolu de l'histoire de la musique de chambre -, et après les "Schwanengesang (Chant du cygne)", Schubert signera les trois dernières sonates 19 à 21, là encore des merveilles… Sauf les lieder, ces œuvres ont été commentées dans le blog.

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Pollini vers 1980

Comme leurs sœurs aînées, les Klavierstücke disposent d'une discographie généreuse, souvent en association avec l'un des cycles d'impromptus ou une grande sonate de la maturité… Parmi les gravures marquantes, j'en ai sélectionné quatre, celles de pianistes serviteurs de  Schubert, différents de ceux de la semaine passée qui auraient pu concourir, on s'en doute.

Enregistrés en 1985, deux albums du encore jeune Maurizio Pollini réunissaient les trois dernières sonates, les Klavierstücke et l'Allegretto D 915. À sa publication, on loua le respect de l'écriture de Schubert, le pianiste s'effaçant au bénéfice du texte, mais aussi le jeu plus volontaire que la traditionnelle interprétation schubertienne parfois maniérée et introvertie. Maurizio Pollini nous a quittés il y a une petite année, me donnant l'opportunité de lui consacrer un RIP détaillé et déjà d'écouter l'intégralité de ces deux albums condensée dans un coffret 2 CD qui ne quitte pas le catalogue depuis quarante ans (Clic). Je n'ajoute rien.

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En 1868, Brahms se trouve face à une énigme quand il commence à ordonner avec logique les manuscrits disparates de ce qui lui semblait être une nouvelle série d'impromptus. Brahms admire ces pages et prend le risque de les classer arbitrairement. Rédigée sur du papier différent, la troisième pièce, courte et effervescente, s'intégrait-elle dans un cycle ? La composition de la première interpelle le compositeur par sa forme inhabituelle, presque académique (le contraire de l'esprit d'un impromptu). De nos jours des musicologues se prennent encore la tête… Est-ce très indispensable ? Peut-être pas, mais j'avoue que confronté moi-même aux mystères de la genèse de nombreuses œuvres des compositeurs en fin de carrière et les échanger avec vous, s'avère assez passionnant. Faisons confiance à la perspicacité de Brahms qui n'a pas jugé bon d'ajouter son nom lors de la publication…

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N° 1 en mi  mineur (allegro assai)

Brahms en 1870
 
 

Couramment interprété tel que Brahms l'a compilé, il comporte trois refrains et deux couplets différents (ABACA). On pense à un scherzo à double trio ou à un rondo mais on peut supposer que Schubert songeait à supprimer le second trio maintenu par Brahms. Certains pianistes ne le jouent pas, Pollini entre autres. Par ailleurs, chaque section offre diverses opportunités de jouer des reprises. Vous voyez le nombre de possibilités structurelles dont disposent les interprètes. Maurizio Pollini interprète fougueusement la pièce avec un seul trio en neuf minutes. Maria-João Pires avec un tempo aussi allant nous enchante pendant un petit quart d'heure, exécutant toutes les reprises et jouant le second trio, ce qui donnent à l'ensemble un petit air de sonate…

Un motif de chevauchée alerte ouvre la pièce. Il y a de courtes pauses entre les trois répétitions du motif sujettes à de subtils caprices. On ressent comme une insistance, une combativité. Cette première section deviendra le refrain et se décomposera donc en trois séquences structurées sur le motif élu leitmotiv. [02:24] Le couplet se joue andante. À l'inverse du refrain et sa rythmique obsédante, Schubert cherche son chemin, enchaînant moult motifs frémissants interrompus par quelques coups de tonnerre. Richesse des rythmes, des tonalités, des émotions graves ou espérance, tous les univers tourmentés de Schubert se trouvent réunis dans ces divines minutes… [07:25] Refrain conclusif da capo.

Maria-João Pires débute le couplet 1 à [02:35]. [08:58] Retour du refrain [10:28] Le second couplet ou trio tourne le dos à la méditation du premier. Son climat ludique, souvenir de la jeunesse contraste fortement avec l'esprit mi-inquiet mi-serein du refrain et du premier couplet… [13:10] Refrain avec une très courte et douce coda.

N° 2 en mi  majeur (allegreto)

La seconde pièce adopte le même schéma ABACA que l'édition de Brahms pour la première. Mais là, il n'y a pas de choix d'écourter et le morceau dure onze minutes sous les doigts de Maurizio Pollini. Le "refrain" fredonne gaiement à l'inverse de celui plus âpre et cadencé de la pièce N°1, une ambiance lyrique, poétique ; un retour nostalgique dans le monde du lieder ? [02:00] La mélodie du premier trio s'anime, vibrante voire épique, les trémolos et les variations abruptes de nuances en seront la signature. [04:23] Reprise du refrain. [05:32] Le second trio s'amuse, danse. Cette variété de sentiments qui en émerge est due comme toujours à ces jeux incessants de changement de tonalité. Une pièce dans la pièce par son incroyable fantaisie. [09:53] Deuxième reprise conclusive de l'attendrissant refrain.

N° 3 en ut majeur (allegro)

Après les deux "impromptus" initiaux (oui, cette appellation est pertinente), Schubert conclut (avec l'aval de Brahms) ce cycle par une courte pièce pétulante réduite à une forme très concise ABA ; un seul trio et aucune reprise. la tonalité d'Ut majeur s'inscrit parmi les plus gaies, celles de la réconciliation. La thématique de l'ouverture est sautillante, staccato avec un intermède d'un lyrisme joyeux. [00:54] Le trio central au tempo apaisé alterne pas moins de 6 tonalités majeures/mineures dans une forme de ländler populaire. [03:50]. La transition vers le retour de l'allegro interrompt crûment cette danse villageoise allegro qui achève la pièce avec brio…

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 

 

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DISCOGRAPHIE

Virilité presque tragique chez Pollini, poésie et élégie chez Maria-João Pires (1998). Deux belles versions rivales et passionnantes. Complément des trois dernières sonates pour l'un, des impromptus D899 et D945 pour l'autre. Deux autres disques aux programmes moins banals sont incontournables :

Un pianiste génial dans ce répertoire entre autres : Paul Lewis que l'on aurait pu citer la semaine passée dans une exceptionnelle gravure des impromptus. Le voici ici complétant le cycle D 946 une sélection de trois sonates moins rabâchées que les trois dernières (HM – 2011 – 5/6).

Pianiste de légende, Sokolov avait inscrit les klavierstücke au programme d'un récital en 2013 : Diable de pianiste : D899, D946, Beethoven : sonate hammerklavier, 5 pièces de Rameau et un intermezzo de Brahms. Le piano devient un sport extrême, le jeu du piano est volcanique (DG – 2013 – 5,5/6)

 


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