mercredi 19 mars 2025

NITZINGER " First - same " (1972), by Bruno



   Le Texas, le plus vaste état des Etats-Unis après l'Alaska, et l'un des plus peuplés. Un état qui s'est d'abord construit sur des injustices, des conquêtes, de l'exploitation, des conflits et des spoliations. Dans la fureur et le sang. Pour justifier ses actes et dorer son blason, il a fallu que cet état se crée des héros. Avec dans le lot des hommes au passé trouble. D'ailleurs, si ces colons américains étaient entrés en conflit avec le Mexique, c'était initialement pour créer une république indépendante en s'accaparant au passage des terres mexicaines (Tejas), qu'ils exploitaient avec l'autorisation (moyennant loyer - resté impayé... jusqu'à ce jour) de la république du Mexique. Un conflit fomenté par de riches exploitants et trafiquants qui souhaitaient s'affranchir du bail et continuer à faire fructifier une économie alors généralement appuyée sur l'esclavage (pour les grandes exploitations). Le Mexique, abolitionniste depuis 1829, avait donné un ultimatum d'une année avant de retirer l'exploitation de ses terres à tous ceux qui continueraient à pratiquer l'esclavage. Les Etats-Unis n'y arriveront que trente-six ans plus tard, en 1865. Le héro James Bowie, lui-même, a été trafiquant d'esclaves, et querelleur de première, avec quelques assassinats à son actif (dont un shérif). 

     Outre des héros "guerriers" ou politiciens, le Texas va enfanter une pléiade de musiciens emblématiques qui font aujourd'hui la fierté de l'état. De fabuleux musiciens, dont la reconnaissance tardive n'empêchera pas certains de finir tristement dans le dénuement. Blind Lemon Jefferson, Blind Wille Johnson, Lightning Hopkins, Charley Patton, Charles Brown, T-Bone Walker, Louis Jordan, Clarence Gatemouth Brown, Pee-Wee Crayton, Freddie King, Mance Lipscomb, Johnny Guitar Watson, Albert Collins, Johnny Copeland, Johnny Winter, Roy Gaines, Joe Guitar Hughes, Roky Erickson, Point Blank, Bloodrock et, évidemment, les ambassadeurs ZZ-Top. Suivis plus tard par les frères Vaughan, Fabulous Thunderbird, Smokin' Joe Kubek et Bnois King, Anson Funderburgh, Ian Moore, Charlie Sexton, Doyle Bramhall, Chris Duarte, Walter Trout, Carolyn Wonderland, Rocky Athas, Eric Johnson, Van Wilks, Omar Dykes, pour les plus connus.


   Cette profusion de musiciens talentueux a généré une émulation mais aussi une sacrée concurrence qui va en laisser plus d'un dans l'ombre. Ou du moins quelques uns qui auraient bien du mal à rayonner au-delà des frontières du Texas. Un célèbre groupe d'Irlandais, mené par un charismatique métis, de passage dans la ville d'Austin, avait été abasourdi, déjà par le nombre de clubs d'où émanaient les échos à peine étouffés de musique populaire de toute sorte, et puis par la qualité des musiciens officiant. D'illustres inconnus qui avaient de quoi inquiéter les musiciens les plus illustres de la vieille Europe. 

     John Nitzinger est de ceux-là. Dès le mitan des années soixante, son assiduité auprès des clubs et ses dispositions à la guitare en font un incontournable des chaudes soirées texanes. Cependant, avec The Barons ou sous son propre nom, seuls quelques 45 tours voient le jour. Proche des membres du groupe de hard-rock Bloodrock (ils sont tous de Fort Worth), il joue à l'occasion avec eux, les rejoignant parfois sur scène pour croiser le fer et faire monter la température. C'est grâce à sa complicité avec ce groupe que Nitzinger commence sa carrière d'homme de l'ombre. Ses liens avec la troupe l'amènent à participer activement aux chansons, jusqu'à en composer intégralement trois pour le premier album, et pour le suivant deux de sa main et deux autres en collaboration. Il en est de même pour "Bloodrock 3", et pour "Bloodrock USA", ce sont trois chansons qu'il offre aux potos.

     Lorsque le disque "Bloodrock 2" (👉  lien) commence à taquiner les charts et devient disque d'or, Capitol Records s'intéresse de plus près au groupe et remarque que certaines des meilleures pièces de l'album ont été composées par Nitzinger. Il n'en faut pas plus pour que la major s'empresse de démarcher Nitzinger et lui proposer un contrat. Ainsi, en 1972, un premier album éponyme sort, avec une sobre pochette double (gatefold), minimaliste. Avec juste le nom de John, en larges lettres grises sur fond noir simili-cuir (1).

     La qualité d'une majorité des chansons de ce premier album lui donne des allures de "best of". Sans jamais chercher à en faire des tonnes, sans jamais s'épancher avec soli à rallonge ou démonstratif, John, avec une maîtrise digne de vieux briscard au long cours,  déroule dix chansons naviguant entre southern-rock, heavy-blues texan et hard-rock. Il n'a pourtant que vingt-trois ans lors des séances studio. Mais le gars a commencé tôt, très tôt ; quittant l'école pour se consacrer à la musique, s'affûtant dans des clubs pas toujours bien fréquentés, où il y a intérêt à assurer, au risque de se faire huer ou de se prendre une douche à la bière et l'alcool frelaté à faire des trous dans la chemise 🥴.

     Certains morceaux possèdent cet indéfinissable parfum texan où se mêlent country, blues, tex-mex et bon rock'n'roll. En particulier l'enjoué "L.A. Texas Boy", qui préfigure le meilleur d'un southern-rock - entre The Outlaws et Lynyrd, avec des chœurs dignes des Honkettes (2). Ainsi que sur "Ticklelick", qui anticipe de quelques années un southern plus heavy et hargneux, plus particulièrement celui des compatriotes de Point Blank. Ou encore sur le slow blues "Boogie Queen", qui se place entre ZZ-Top (pré-Tejas) et le "Pull the Plug" de Starz. Et "Louisiana Cock Fight", soulevé de terre par le jeu énergique et nerveux de la batteuse Linda Waring (autre oubliée dont la célébrité peina à exfiltrer les frontières texanes), anticipe un southern-rock plus carré, plus hard. Sortie également en 45 tours, cette pièce devient un classique Texan, régulièrement reprise par les groupes locaux. Pièce maîtresse de son répertoire scénique, elle figure sur le "Live At Rockpalast" de 2001, et se retrouve parfois dans la set-list de groupes locaux. 

 


  Étonnamment, d'autres morceaux - l'intégralité de la seconde face - paraissent s'efforcer de 
s'affranchir, dans la douleur, des racines blues et Texanes. "Witness to the Truth" fait plus dans le dur, dans un hard-rock à la Nugent ou Moxy. Même la ballade bancale "Enigma" a la raideur et la froideur du métal. Visiblement moins à l'aise avec les douceurs, dans ce style il se révèle néanmoins, avec la sombre ballade suintante de spleen, "No Sun", meilleur en acoustique. En final, "Hero of the War" offre une vision d'un George Harrison goûtant aux saveurs d'un hard-rock brut et robuste.


     Après un second album moins pertinent, et un troisième tardif (Live Better Electrically de 1976) avec deux succès à la clé, John Nitzinger est moins présent. Il se réveille en 1980 en fondant avec Carl Palmer, PM, qui sort un seul disque, "1 : PM", avant de disparaître subitement. Mais l'année suivante, Nitzinger se fait connaître du grand public en accompagnant en tournée Alice Cooper et son Special Forces. Absent de l'album du même nom, il apparaît néanmoins sur les prestations promotionnelles télévisées (dont la longue séquence - près d'une heure - réalisée pour Antenne 2) - c'est le barbu de la bande. Adoubé par Alice, il reste un temps dans la troupe et participe aux sessions et compositions de "Zipper Catches Skin". Après quoi, il s'écarte un temps des grandes tournées et du show business, avant de revenir au début de ce siècle avec un quatrième opus, le copieux "Going back to Texas" (dix-huit morceaux), où il ressort cinq de ses succès, dont deux du premier.


     Enfant, John voulait être danseur de claquettes, avant de se prendre de passion pour l'accordéon et souhaiter ardemment en avoir un. Mais ses parents, aux revenus modestes, ne pouvaient accéder à sa requête. A la place, il eut une guitare acoustique - une Gibson, tout de même. Probablement une LG-1, le modèle le plus abordable de la marque et généralement considéré comme un instrument d'étude. C'est ce premier instrument qui va décider de la destinée de Nitzinger. Même si sa notoriété hors Texas reste des plus ténues, pas sûr qu'il aurait pu avoir cette vie, avec la possibilité de pouvoir vivre de son art, en faisant des claquettes ou de l'accordéon.



(1) Certaines rééditions abordent un lettrage jaune et d'autres or, quand ce n'est pas la pochette qui prend des allures de vieux cuir.

(2) Janie Fricke, futur star de la country, participe aux chœurs.




🎼🎶☆

12 commentaires:

  1. Shuffle Master.19/3/25 14:00

    Pour être passé à Austin pendant l'été 1980, je confirme que sur je ne sais plus quelle rue, il y avait un bar tous les 50m, avec une scène ouverte et des types d'un niveau ahurissant. Hormis les musiciens que tu cites (et encore...), les Texans sont généralement considérés comme des gros c... Il y a des trucs qui sont anodins dans d'autres États, mais qui peuvent valoir le pénitencier là-bas. Don't mess with Texas (qu'ils ont effectivement volé aux Mexicains, comme la Californie), comme ils disent. Et God bless America, évidemment.

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  2. Un gars qui avait fait une partie de ses études dans le coin, à la fin des années 80, m'avait parlé, avec des étoiles dans les yeux, de cette rue. Interminable, envahie de piano-bars, de clubs plus ou moins luxueux, de petites salles, parfois miteuses mais pleine à craquer, où, d'après ses dires, on pouvait écouter de tout : du folk au gros truc heavy-metal. Néanmoins, le Blues, sous toutes ses formes, dominait. Chaude ambiance et soirées arrosées...

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  3. En plus de la Haute Californie, il y a le Nouveau-Mexique

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    1. Shuffle Master.19/3/25 20:42

      Ils sont trop bons, ils ont laissé Mexique dans le nom.

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    2. Oui, effectivement. Ou par provocation 😄

      Pour le Texas, ils ont tout de même gardé le nom d'origine du territoire, en le modifiant juste d'un chouia ; probablement parce qu'on devait avoir du mal avec la prononciation 😁 "Tejas" - clin d'œil d'ailleurs de ZZ-Top avec son album du même nom. Le trio expliquait à l'époque que la culture, les traditions, la cuisine et les mœurs texanes devaient beaucoup au Mexique. Le groupe revendiquait même une affiliation.

      Et pour la Californie, par contre, on a rien changé - trop compliqué 🥴

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Beaucoup de groupes, peu d’inspiration. L’avantage c’est qu’en aimer un, c’est les aimer tous ))
    Au dessus du lot, Billy Gibbons.

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    1. ....et Johnny Winter.

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    2. Et Stevie Ray Vaughan ?

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    3. et Jimmie aussi, on est d'accord. On peut même aller jusqu'à Janis Joplin

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    4. ceci dit aucun de ceux là (que j'adore, ce n'est pas le sujet) n'a l'originalité et la créativité de Billy Gibbons. On ne mesure pas le génie de ce mec. Peut être parce qu'il a ce look, mais les sons qu'il multiplie, les compositions comme master of sparks et tant d'autres, aucun autre, même techniquement supérieur et doté d'un feeling gros comme trois immeubles, ne peut rivaliser.

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    5. 👍🏼👍🏼👍🏼 Tu prêches un convaincu 😁 The Reverend Billy Gibbons ! J'suis fan 😉

      (pas mentionné Janis, because y'a pas trop de parfums Texans dans sa musique 😊)

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