vendredi 7 février 2025

UN PARFAIT INCONNU de James Mangold (2025) par Luc B. (avec un B comme Bob)

 


Enfin un sujet intéressant : la vie et l’oeuvre de Bob Dylan. Ou plutôt le début de l’oeuvre, puisque le film de James Mangold ne couvre que les années 1961-65. Une courte période avec laquelle il trouve le moyen de faire un film trop long. Car mal équilibré, entre une première partie consacrée à l’apprentissage, la gloire soudaine, mais une seconde partie qui ne se concentre que sur le festival de Newport 1965, et quelques bribes de l’enregistrement du « Highway 61 Revisited »

La séquence de l’enregistrement de « Like a rolling stone » revient sur l’épisode amusant de l’intrusion d'Al Kooper (anecdote adulée des thuriféraires mais qui échappera aux autres) qui s’est glissé en douce derrière l’orgue Hammond, sans savoir ce que les autres allaient jouer ! 

Mais pourquoi s’arrêter à Newport (historique certes, Dylan y joue avec un groupe rock et déclenche la fureur du public folk et des organisateurs) quand le récit aurait pu inclure la sortie de « Highway 61 Revisited », et surtout de « Blonde on blonde » (autre marqueur, premier double album de la pop). Finir sur l'accident de moto de juillet 1966 aurait été une bonne idée. Mangold circonscrit son récit à la genèse et la charnière folk/rock (car strictement adapté du bouquin de Elijah Wald), ainsi que l'effervescence politique du moment, Droits Civiques, Cuba, Vietnam. Mais une petite année de plus aurait davantage rempli ces 2h20 qui se trainent sur la fin.

UN PARFAIT INCONNU (tiré de « like a complete unknown, like a rolling stone ») est curieusement un film très académique, lissé, bien léché. Mangold sait y faire, rien de déshonorant dans sa filmo : COPLAND, WALK THE LINE, 3H10 POUR YUMA, INDIANA JONES 5... Techniquement irréprochable, la direction artistique est superbe, la photo vintage, ocre, reconstitution impeccable du New York d’époque, tout y est, de la chemise à pois au modèle de micro, du café Wha? à la Triumph. Les documentaristes ont bien bossé. Curieusement académique disais-je, car le personnage, lui, ne l’était pas. On aurait aimé des séquences plus inventives visuellement. Todd Haynes ne s’y était pas trompé en réalisant I’M NOT THERE (2007) où six comédiens jouaient le rôle de l'insaisissable Dylan, et en explosant la forme narrative. Le NO DIRECTION HOME (2005) de Scorsese tentait aussi (avec succès) d'appréhender le personnage.  

Pour ceux qui ne connaissent pas Dylan, le film leur apprendra des choses, c’est un film-Wikipédia. Arrivée en 61 à New York, visite à Woodie Guthrie au sanatorium (jolie scène), rencontre et parrainage de Pete Seeger (excellent Edward Norton), premiers tremplins où il croise Joan Baez, concerts en club, le manager Albert Grossman qui le prend sous son aile et John Hammond qui le signe à la Columbia, sa relation épistolaire avec Johnny Cash.

Il manque des trucs, le refus de participer à l’Ed Sullivan Show car on lui imposait de jouer ce qu'il ne voulait pas, la rencontre décisive avec Dave von Ronk (le looser magnifique du film INSIDE LLEWYN DAVIS des frères Coen) et pour le fun, la fameuse soirée avec les BeatlesDylan leur fait fumer leurs premiers pétards. Et juste signaler que le tournant électrique s’est produit sur « Bringing It All Back Home » et non l’album suivant, c’est pas très clair dans le film. 

Mais comme me l’a fait remarquer ma chère fille : et avant, y faisait quoi ? D’où il vient ? D'où le titre Un parfait inconnu. Dylan a toujours brouillé les pistes, joué avec son passé, trituré, inventé sa vie. Dans le film, il laisse traîner un album photos, il aurait travaillé dans un cirque (?!), personne n'est dupe. Suze Rotolo apprend par hasard (un recommandé du facteur) que son vrai nom est Robert Zimmerman. Mangold fait le choix de faire surgir ce type de nulle part, comme le bon génie sort de sa lampe.   

Plusieurs aspects sont bien traités. Comme le fait que Dylan refusait d’être catalogué en chanteur folk (scène au café où des gars s’invectivent sur ce qui est folk, country, bluegrass) et surtout pas en activiste politique. Tout au début, la scène avec Pete Seeger en voiture : ils écoutent Little Richards à la radio, Dylan aime, l’autre lui assène qu’on a pas besoin de trois guitares ni de batterie pour intéresser un public. On sent déjà le jeune Bobby attiré par le swing rock et l'énergie d'un groupe. La crise des missiles à Cuba déclenche la panique à New York ? Il écrit « A hard rain's a gonna fall » et s'en va peinard la chanter au club.  


On voit son refus de se plier aux conventions du folk, perpétuer la tradition. On lui impose sur son premier disque de graver des reprises. Pour le deuxième, il tient tête à John Hammond et enregistre ses propres compositions. Même chose en club, on l’entend toujours dire : « voici une nouvelle chanson ». Et ce concert avec Joan Baez, où Dylan refuse de jouer « Blowin’ in the wind ». Climax à Newport 65, où Mike Bloomfield et sa Télécaster saturée font exploser la sono.

Le film dit bien que Dylan débarque dans le métier comme auteur-compositeur, pas simplement interprète, et ses textes imprègnent immédiatement le public. Très beau moment à Newport où il crée « The times they are a changin » ovationné à chaque couplet. En coulisse, les témoins sont médusés, conscients d'assister à un truc immense, ce gars n’est pas fait du même bois que les autres. L’aspect fuyant du personnage (qui répond toujours « je n’sais pas » à chaque question qu’on lui pose) puis son arrogance quand le succès arrive, ne sont pas édulcorés. Il y a cette réplique balancée à Joan Baez : « tes chansons sont comme les aquarelles au mur d’une salle d'attente de dentiste ». Comme son comportement limite goujat avec les femmes, il papillonne de l'une à l'autre, profite d'un voyage de Rotolo pour la faire cocue avec Joan Baez

UN PARFAIT INCONNU montre bien le succès phénoménal et foudroyant de Dylan, dès la sortie de son deuxième disque, il devient prophète, messie, ne peut quasiment plus marcher dans la rue sans être suivi par une horde de fans déchaînés. Mangold le filme plusieurs fois contraint de se jeter dans un taxi pour fuir. Dans ces moments, le montage dynamise le film, comme ce fondu au noir qui clôt la première partie, un insert indique « 1965 » à l'écran, et paf ! d'un coup, la fureur de la foule hystérique, un Dylan chaussé de ses Ray-ban noire, provoquant des émeutes, des bagarres dès qu'il entre dans un bar. Johnny Cash le prévient, le succès rend parano. Alors Dylan se crée une armure façonnée d’insolence, de morgue, quitte à passer pour un gros con. Excédé par la populace : « les gens me demandent d'où me viennent mes chansons, mais en réalité ils veulent savoir pourquoi elles ne leurs sont pas venues, à eux ».

Dommage de n’avoir pas travaillé un peu plus le personnage de Suze Rotolo (rebaptisée Sylvie dans le film !) c'est elle sur la pochette de « The Freewheelin' », la première p'tite amie qui l'initie à la politique. On assiste aux séances photos (mais pas LA photo !!). Elle Fanning en donne une version un peu fade, pleurniche beaucoup, en maîtresse éplorée.

Le film laisse une grande place à la musique. Pendant 18 mois l'équipe sera en studio pour enregistrer les playback, une volonté de la production (pas de prise de risque !) mais Mangold avait une autre idée, et a tenu bon : finalement tout sera joué, chanté et capté en direct au tournage. C'est assez bluffant (voix moins nasillarde, incisive), l’acteur Thimothée Chalamet s'y préparait depuis 5 ans, y'a une vidéo où on le voit gratter une guitare entre deux prises de DUNE ! Monica Barbaro qui interprète Joan Baez chante aussi vraiment. Bonne idée de casting que d’avoir choisi le chouchou des jeunes filles, qui grâce à lui iront peut être voir le film, et se diront que ce sale type à l’écran, ben ça vaut le coup d’aller écouter ses disques.

UN PARFAIT INCONNU ne révolutionnera pas l’art du biopic hollywoodien, c'est un travail appliqué, qui cerne le personnage, mais le rendu est trop plan-plan. James Mangold avait déjà tâté du biopic folk, avec WALK THE LINE (2005) Joaquin Phoenix y incarnait Johnny Cash, dans mon souvenir plus incisif. 


Couleur - 2h20 - scope 2:35



5 commentaires:

  1. J'ai du mal à comprendre cette fascination des manieurs de caméra pour Dylan. Que tout le monde connaît, mais qui reste finalement assez énigmatique, secret, et surtout peu loquace sur sa vie, son oeuvre, et totalement elliptique sur la plupart de ses textes.
    D'où la difficulté de le transposer sur grand écran. Le docu de Pennebaker et I'm not there, le premier parce qu'il est en immersion totale et le second parce que c'est un puzzle de ses différentes facettes me semblent ressortir du lot ...

    Si ça continue, il y aura plus de films sur lui que d'albums dans sa discographie ...

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    1. Le doc de Pennebaker est excellent, une belle plongée dans la dylan-mania in situ. Et le doc de Scorsese que je mentionnais, est vraiment passionnant aussi. C'est sans doute pourquoi le type est énigmatique et fuyant, qu'on s'intéresse à lui, pour percer le mystère. C'est un sujet comme un autre, qui a comme premier intérêt de faire entendre de bonnes chansons ! Comme j'ai tenté de l'exprimer, ce film est suffisamment bien fait pour plaire au plus grand nombre, si ça peut lui ramener des clients (qui auraient raté le train) ce ne sera pas totalement inutile.

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  2. Dylan, c'est à ce jour :
    - 40 albums studio
    - 14 albums en concert
    - une quinzaine de compilations
    - 15 volumes de la Bootleg Series

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  3. Hey, salut Philou ! Ca va ? Avec les années, il y aura bientôt davantage de Bootleg Serie que d'albums. Quand le gars cassera sa pipe, ce que je lui souhaite le plus tard possible, les fonds de tiroirs devraient tenir dans deux semi-remorques !

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    1. hello, toujours fidèle lecteur du blog...j'ai arrêté la collection des "Bootleg Series" par peur de surendettement !!!

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