vendredi 28 février 2025

L'ATTACHEMENT de Carine Tardieu (2025) par Luc B.


Voilà un sujet qui n’est pas souvent traité, ou alors en périphérie. Comment reconstruit-on une famille autour d’un enfant ? Qui incorpore-t-on dans la smala ? Une configuration qui interroge Alex, jeune veuf avec deux enfants. A moins que le sujet soit autre, comment une femme accueille un enfant qui n'est pas le sien ? Tout est question de point de vue. 

Alex part à la maternité avec sa femme, sur le point d’accoucher. Le couple laisse leur fils Elliot (5/6 ans ?) à leur voisine Sandra, pas très ravie, mais bon. Vous savez, les fameux « si un jour j’peux aider, n’hésitez pas » qu’on lance pour faire bien, poli, et qu’on regrette ensuite… Mais qui pour elle va changer beaucoup de choses.

Le face à face entre Elliot, plutôt mignon et pas con, et Sandra, célibataire par conviction, est savoureux. On est tout de suite frappé par le naturel qui se dégage des échanges, sans filtre. Mais il commence à se faire tard, ce serait bien que le papa revienne récupérer le marmot. 

Quand Alex sonne enfin, il apparait figé, en larmes toutes contenues : sa femme est morte en accouchant. Comment annoncer la nouvelle à Elliot ? Pas besoin, quand son père lui dit, cherchant ses mots « il faut que je te dise en truc triste à propos de maman » le gamin répond du tac au tac : « Elle est morte ? ». Quelle belle scène, tout en pudeur, et tragique à la fois.

La mise en scène circonscrit d’abord l’espace à un palier, et deux portes d’appartements qui se font face. Un palier qu’Elliot franchit de plus en plus. Pas sûr qu’il retrouve en Sandra la maman qu’il a perdue, le film est plus subtil que ça, mais un repère, une copine, une copine adulte (plan où ils sont sous la table). Un lien se tisse, improbable, le duo rejoint par Alex devient trio. Et le scénario ne va pas cesser d’évoluer, convoquant d’autres personnages, c'est peu dire que les seconds rôles sont choyés.

La belle mère d’Alex (excellente Catherine Mouchet), celle de Sandra (Marie Christine Barrault), et puis quand on apprendra qu’Alex n’est pas le père d’Elliot, on va découvrir le père biologique, David (Raphaël Quenard). Les deux papas auront une très belle scène entre eux, au sujet de la répartition de la garde. Petit à petit le film devient chorale. Sandra, la libraire féministe, qui parle parfois avec des slogans de manif, dont le célibat était la religion, devient le centre d’attraction, celle qui apaise, guérit les plaies. Et qui refusera avec beaucoup de tact les élans libidino-amoureux d’Alex. Trop simple, trop évident. Sandra ne veut pas d’un amour qui serait naît d’une frustration.

Une autre femme va combler ce vide affectif, la pédiatre Emillia (Vimala Pons pleine de charme) qui apporte piment et joie de vivre. Mais pas facile pour elle de trouver sa place dans le coeur d’Alex, qui déborde déjà d’amour pour sa fille, son beau-fils, sa voisine (très belle scène de l’album photo). Quand il le faut, Carine Tardieu laisse tourner la caméra, joue sur la durée du plan, comme ce plan fixe sur Alex au moment de la fausse couche et la voix d'Emillia hors champ. 

Quand le film s’aère du côté de Cancale, certains moments (le repas, le mariage) ont un charme fou, même si derrière la légèreté pointe toujours l’incertitude de pouvoir retrouver l’équilibre et le bonheur. Le mantra de Sandra : « Ton boulot s’est d’être heureux ».

La réalisatrice Carine Tardieu (DU VENT DANS LES MOLLETS, LES JEUNES AMANTS) trouve toujours la bonne distance, le ton qu’il faut pour ne pas tomber dans le mélo, le sirupeux. Et si ça fonctionne si bien, c’est aussi grâce aux acteurs. Pio Marmaï déploie une palette de jeu sensible, Valeria Bruni Tedeschi est comme souvent parfaite, trois clopes au bec par plan, même le gamin est bon, c'est dire. 

L’ATTACHEMENT aurait pu être réalisé par le japonais Kore-Eda, qui s’est beaucoup interrogé sur la famille, dans son sens le plus large. Alex convoque autour de lui un tas de pièces rapportées, et en redéfinit les liens malgré lui pour préserver et entourer ses enfants d’affection. Film sur le deuil, la résilience, mais tout simplement sur les rapports humains, de tous âges, réalisé tout en délicatesse. 


Couleur - 1h45 - format 1:1.66 

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