Dans le chapitre de la "à la poursuite des perles perdues des années 70", copieusement fourni en perdants magnifiques qui n'ont jamais été vraiment récompensés à leur juste valeur - par malchance, concours de circonstances, découragement, ou encore en raison de mauvais choix assez souvent assortis d'escrocs -, il y a Strider. Un quatuor regroupant d'excellents musiciens londoniens.
Strider... Strider, encore un nom qui n'évoquera rien pour la plupart des gens, sauf par les "archéologues" férus de musique des années 70. Et pourtant, ce groupe avait suffisamment d'atouts et de caractère pour se faire une petite place parmi les grands groupes de heavy-rock des 70's, voire de rock au sens large. Mais alors, qu'est-ce qui lui a fait défaut ? Strider avait bien réussi à se faire un nom au Royaume-Uni, jouant régulièrement au Marquee, engagé par des groupes tels que Deep-Purple, The Faces, Rory Gallagher, The Sensational Alex Harvey Band, Status Quo et Humble Pie pour les accompagner en tournée, et a été accueilli au festival de Reading en 1973 et 1974. Strider était parvenu à se constituer un public fidèle lui permettant de se produire ponctuellement dans divers clubs d'Albion et quelques universités. Mais alors, qu'est-ce qui a empêché son décollage ? Un bon manager suffisamment agressif et convaincant pour faire céder les lourdes portes des majors ? Possible.
En tout cas il est certain que la signature sur le modeste, jeune et éphémère GM Records a été préjudiciable. D'autant que, dans sa courte existence, ce label ne s'est jamais illustré par des groupes goûtant les robustes tonalités de strong rock. Le groupe lui-même a été déçu du résultat de la production, notamment au niveau de la section rythmique. Il est vrai que la basse aurait mérité plus de relief et la batterie de puissance. On raconte d'ailleurs que les démos profiteraient d'une meilleure définition. Certainement aussi que la trésorerie forcément réduite du jeune label n'ait permis ni promotion, ni exportation. Cependant, malgré tout, la réputation du groupe et de ses deux uniques galettes est parvenue à traverser les âges, et à gagner leur réédition en cd. La dernière en date est du très sérieux et respectueux Rock Candy Records.
En fait, ce premier essai, "Exposed", nécessite une écoute au casque ou à un certain volume pour l'apprécier à sa juste valeur. Et là, même les esgourdes quotidiennement rassasiées depuis des lustres de musique "rock", à guitares, frétillent de contentement à l'écoute de ce formidable album. On pourrait ajouter que même le temps ne parvient à entamer ce plaisir sans cesse renouvelé. Point de hard-rock outrancier ou tapageur ici. On se rapprocherait plutôt d'un hard-blues à la Free, voire, dans un certaine mesure, à la Mountain lorsqu'il s'aventure dans des espaces relativement lyriques. Sachant qu'à la différence de ces deux derniers, le piano - et non pas l'orgue - a une place déterminante. Si c'est bien la guitare râpeuse de Gary Grainger qui donne le ton, le piano de Ian Kewley permet de saisissants contrastes. Il permet à Strider de glisser un pied hors d'une ambiance sauvage, un brin crasseuse, pour le faufiler dans un espace légèrement feutré, raffiné. Une guitare grasse à la tonalité de Gibson (SG ? - on lui connait la possession d'un étonnant prototype de Zematis de 1969 avec deux paires de micros de Stratocaster accolés comme deux humbuckers, touche en ébène, corps acajou. Et une seconde Zemaitis de 1973, avec plaque en alu, deux doubles et six potentiomètres) brutalisant ses amplis, cramant ses notes à la fuzz, tempérée par un piano aristocrate, jouant avec retenue. Toutefois, le pianiste, s'il paraît s'acharner à donner un peu de lustre, notamment en choisissant le piano plutôt que l'orgue - alors plus couru -, son chant, rêche, rageur et graveleux, ramène ce hard-blues dans la rue, dans de sombres coupe-gorges. A ce titre, bien des fois, Strider pourrait être une fusion de Joe Cocker (premiers albums) avec Free. Ou des Faces avec Mountain. Tout un programme.
Mais là encore, Jenny Haan, la chanteuse de Babe Ruth, apporte son concours pour éviter l'embrasement. Finalement, Strider joue avec les contraires, avec l'ombre et la lumière, avec l'explosivité d'une guitare ardente et la fraîcheur, la clarté d'un piano. Ainsi, "Ain't Got No Love" débute par un piano calme et une slide légère, évoquant les chansons bucoliques de Rod the Mod, avant que déboulent riff lourd et avalanche de fûts. Le piano n'a pas d'autre choix que d'essayer de suivre cette chevauchée de gaillards frustes et déterminés, en prenant l'allure d'un trot soutenu, tout en essayant de temps à autre de faire redescendre la pression. Et lorsqu'il semble enfin y parvenir, un harmonica surgit raviver les braises. La reprise du "Higher and Higher" de Jackie Wilson suit la même configuration, en débutant comme un slow tristounet, dépouillé, avec pour seule orchestration une basse glissante et un piano minimaliste, sur laquelle Kewley manque de fondre en larmes... jusqu'à ce qu'il se botte les les fesses, pousse un cri de ralliement (ou un cri de douleur ? - du genre on s'est coincé quelque chose), rameutant batterie surexcitée, gratte énervée et chœurs véhéments, transformant ce classique maintes fois repris en farouche morceau de heavy-soul. Le solo de Grainger se fait chantant, fluté, comme ceux d'Adrian Gurvitz (plus du temps Gun que de celui de Three Man Army). Avec "Flying", c'est plutôt l'inverse. Une guitare lourde et granuleuse ouvre seule le bal, avant de se mettre légèrement en retrait pour laisser la place au piano.
Avec "Ether's Place" (sorti également en version single), ce sont les Faces qui sont revisités dans une version plus rocailleuse, granitique. Kewley, qui semblait avoir un registre plutôt limité - chantant même sensiblement de la même façon sur les deux premières pièces -, prend alors naturellement des intonations à la Rod Stewart. Tandis qu'avec "Woman Blue", la formation crée un pont entre le Blues dramatique de Free (il semblerait d'ailleurs que le jeu épuré et sensible de Kossof ait eu un impact sur celui de Grainger) et celui fiévreux d'Humble Pie.
Le groupe clôt ce premier essai sur une version particulièrement alourdie de "Get Ready". Près de neuf minutes d'un hard-blues poisseux et revêche qui s'offre un long break où pointent les chauds rayons d'un rock-latin vaguement jazzy. La Soul originelle ne fait que péniblement surface à travers les chœurs de Haan.
La dernière édition cd propose en bonus, en plus des dispensables versions en "45 tours" de deux titres, un brillant titre live, "Road Runner" qui dévoile une facette encore plus heavy du groupe, notamment grâce à Kewley qui se déchaîne autant sur son piano (électrique) qu'au micro où il se râcle les cordes vocales.
En dépit d'une forte demande dans les premières semaines suivant sa sortie, les ventes d' "Exposed" s'avèrent décevantes par rapport à l'indéniable qualité de l'ensemble. Peut-être pour les possibles raisons évoquées plus haut - mais la concurrence est rude ; c'est l'année des "Dark Side of the Moon", "Billion Dollar Babies", "Tres Hombres", "Tattoo", "House of the Holy", "Aladdin Sane", "Pronounced 'leh-nérd 'skin-'nerd", "Grand Hotel", "Tyranny and Mutation", "Betty Davis", "Tales from Topographic Oceans", "Sabbath Bloody Sabbath", "Goats Head Soup", "Raw Power", etc... Devant les difficultés accumulées, les dissensions surgissent et le batteur et le bassiste sont remerciés. Ainsi, l'année suivante, c'est une nouvelle mouture qui officie sur le second et dernier disque, "Misunderstood". C'est pratiquement un nouveau groupe, avec Kewley qui a laissé sa place au micro à un nouveau chanteur au registre d'apparence plus large, mais qui ne possède pas cette fibre sauvage, brutale, qui fait le charme du premier essai. Même si Kewley apporte parfois son secours en tant que choriste, toujours avec le concours de Jenny Haan. "Misunderstood" est plus varié, bien mieux produit, mais le groupe a mis de l'eau dans son vin, flirtant parfois avec un rock progressif ou simplement mainstream, et, en dépit de quelques excellentes pièces ("Open Your Eyes", "Seems So Easy", "Wing Tips") peine à retrouver le feu sacré. Toutefois, les avis sont partagés, nombre de critiques le préférant au premier.
Il y avait beaucoup d'espoir pour ce groupe, on raconte même que sa prestation au festival de Reading de 1974 avait enflammé le public. Il est évident, à l'écoute de ses disques, qu'il avait les moyens de faire une belle carrière. Au moins jusqu'à la fin de la décennie. Ce fut tout de même le cas pour trois des musiciens, à commencer par les deux leaders et compositeurs, Gary Grainger et Ian Kewley. Le premier a répondu positivement aux avances de Rod Stewart - qui l'avait déjà repéré du temps de Strider - avec lequel il resta près d'une dizaine d'année, contribuant d'ailleurs activement aux compositions des "Foot Loose & Fancy Face", "Blondes Have More Fun" et "Foolish Behaviour". Il accompagna aussi Roger Daltrey et John Entwistle. Le second va être un acteur fondamental de la carrière de Paul Young. En effet, alors qu'ils jouaient ensemble au sein de l'obscur Q-Tips, Kewley encourage Young à se lancer en solo. Une carrière solo rapidement couronnée d'un succès international, dont Kewley a été l'indissociable partenaire pour la composition, l'arrangement et la direction musicale des trois premiers albums de Young. En plus, évidemment, de jouer des claviers. Paul Young, qui l'appelait le Révérend Kewley, le considérait comme le partenaire le plus important qu'il ait jamais eu, et comme l'un des cinq meilleurs joueurs au monde d'orgue Hammond B3. On peut remarquer qu'après le départ de Kewley, la fulgurante carrière solo de Paul Young, a amorcée un sérieux déclin. Après l'aventure "Paul Young", Kewley se contente d'une vie discrète de musicien de studio et de compositeur. Le second batteur, Tony Brock, va s'illustrer dans The Babys (toujours présent dans la reformation de 2013), puis avec Rod Stewart (merci Gary) et Eddie Money. Avant de rejoindre Jimmy Barnes pour la meilleure période de l'Australien (dont le torride live "Barnestorming").
🎶📐
Flying, pas mal, bien représentatif de l'époque. Sans vouloir jouer au vieux c.... (un peu quand même, et c'est loin d'être un rôle de composition), il faut bien reconnaître que comme tu le dis, à l'époque, quasiment tous les mois, quand tu regardais les sorties sur Rock & Folk, il y avait de quoi avoir le tournis. En février, le disque du mois, c'est Gyasi (qui ça?), espèce de croisement contre nature entre Gary Glitter, T. Rex, Elliot Murphy (uniquement pour le look) et Bowie (beurk....). Et reste ne fait pas vraiment rêver. Pour sauver l'honneur du magazine, il y a une chronique du premier Moxy, groupe que j'avais découvert avec tes chroniques.
RépondreSupprimerGyasi n'est pas vraiment un petit nouveau sachant que son premier essai (un Ep) date de 2018. Y'a des trucs pas mal. Il essaye de ressusciter le glam des 70's, en particulier celui des Bowie et T-Rex. Mais il paraît plus se soucier de son apparence que de la musique.
SupprimerDans le genre, j'ai bien plus été capté par Bobbie Dazzle. Plus frais, plus naturel - même si de temps à autres, ça sort la sulfateuse (mais en semi-automatique, délicatement, avec parcimonie 😄)