mercredi 22 janvier 2025

STORACE " Crossfire " (2024), by Bruno

 


      Il y a en a qui ne sont là principalement que pour l'attrait du pognon et/ou de la célébrité, tandis que d'autres ont eu une épiphanie. Et depuis, la passion chevillée au corps, ils ne parviennent pas à raccrocher. Tant que ça tient, on continue. Marc Storace est de ces derniers. Pourtant, en naissant à Malte dans les années cinquante, rien n'était gagné. Mais le petit Marc, en laissant traîner ses esgourdes sur les ondes des radios anglaises, a été mordu. Dès lors, sa vie a changé, prenant le chemin de la musique rock. Même si ce n'était alors pas spécialement populaire dans ce petit archipel méditerranéen.

     Lassé de tourner en rond dans des groupes de reprises, à dix-huit ans, en 1970, il part pour l'épicentre du tsunami rock européen : Londres. Mais ça ne donne rien et il ne s'y éternise pas. Il suit alors sa copine, une Suisse. C'est là, en Helvétie, à vingt ans, que contre tout pronostic, il débute une carrière musicale qui va s'avérer non seulement longue, mais qui va l'amener à traverser montagnes et océans. Après un passage au sein de l'obscur et sans lendemain "Deaf", Storace rejoint une jeune formation à la recherche d'un chanteur, Tea. Une formation de heavy-rock-progressif assez inspirée par Uriah Heep, qui réussit à faire une belle carrière européenne, et même à se faire accepter au Royaume-Uni (en première partie de groupes Britons, dont quelques poids-lourds - Baker Gurvitz Army, Nazareth, Queen). Même la presse anglaise, pourtant réputée pour ne pas être tendre, d'autant plus avec des continentaux, lui réserve quelques bons articles. Storace récolte ses premiers éloges. Hélas, après trois albums et d'incessantes tournées, certains membres du groupes s'épuisent et préfèrent placer leurs billes ailleurs. Le guitariste, Armand Volker, se tourne vers les studios, où il se fait un nom en qualité de musicien et compositeur, ainsi que comme producteur et ingénieur du son. Sans la présence de Storace, Tea serait probablement aujourd'hui complètement oublié en dehors des frontières helvètes ; pourtant, ce quintet a composé et enregistré quelques très belles chansons. 


   Storace, lui, en profite pour repartir sur Londres. Où, à nouveau, il ne s'éternise pas. Cependant, il laisse une trace sur la seconde compilation proto-NWOBHM "Metal for Muthas", avec le groupe "Eazy Money" et la chanson "Telephone Man"... Il aurait mieux valu qu'il n'y ait rien eu du tout, tant cette chanson s'affaisse dans un amateurisme primaire. Un monde entre ce groupe londonien et le suisse Tea. Une période qui marque une franche régression pour Storace, qui semble alors même douter de lui-même. Car en effet, il refuse carrément la proposition d'un sombre musicien anglais, un certain Ritchie Blackmore, qui l'auditionne (sur la chanson "Mistreated") pour le remplacement de son chanteur, parti rejoindre un quatuor de Birmingham. Le Maltais réussit le test et convainc l'homme en noir. Néanmoins, il ne s'estime pas suffisamment prêt, pas assez bon pour affronter le public de deux continents sur la musique de Rainbow. La crainte du succès ? Son histoire aurait pu s'arrêter là ; cependant, de retour en Suisse, il rejoint fin 1979 un groupe du coin qui, en dépit d'un réel engagement professionnel, peine à décoller. L'album qui en découle, "Metal Rendez-Vous", est un franc succès.

     Enfin, c'est le début d'une longue et riche carrière. Où et comment un groupe Suisse comportant un chanteur Maltais (Italo-britannique) se hisse parmi les groupes européens heavy parmi les plus influents des années 80, parvenant à tourner régulièrement chez les chauvins anglo-saxons (USA et Angleterre) et à effectuer de confortables ventes outre-Atlantique. Malheureusement, comme pour une grande majorité des groupes heavy de cette époque, une fois l'euphorie passée, la chute est rude. Et forcément, c'est là, quand de sombres nuages s'amoncellent, alors qu'on se croyait à l'abri, que les doutes, le découragement et les dissensions surgissent. Mais si l'aube des 90's marque une pause, Storace lui, ne décroche pas et continue, bon an mal an, à se produire dans diverses formations et projets. On le verra aux côtés des plus vieilles gloires rock helvètes, Vic Vergeat (Toad), avec le groupe californien de heavy-power-metal Warrior, auprès de Glenn Hughes, ou du chanteur d'opéra Raphael Haslinger, ainsi que de l'orchestre symphonique de Lucerne. Et puis, parallèlement, il y a les multiples reformations de Krokus qui, péniblement, dans des moutures plus ou moins différentes, parvient à franchir les ans jusqu'à aborder un rythme de carrière régulier avec le retour d'éléments historiques, Von Arb et Von Rohr, et des disques qui marchent assez fort en Europe.

     Mais tout le monde prend de l'âge, les anciens, dont Storace, dépassant largement la soixantaine, et il est désormais difficile de supporter une certaine cadence. Le groupe tourne toujours, et des dates sont déjà prévues en Europe pour les cinquante ans (!) du groupe, mais ce dernier n'a plus enregistré de nouvelles chansons depuis 2013. L'album "Big Rocks" de 2017 n'est qu'un exercice de classiques tellement de fois repris qu'à force on frôle l'overdose, le rejet total.

 


   Mais Storace, lui, en a sous le coude, et des chansons commence à s'accumuler. Il ne lui manque plus que l'aide de sérieux musiciens pour peaufiner son travail. Une assistance qui se mue en totale collaboration avec l'Américain Tommy Henriksen. Oui, le gars qui semble avoir depuis quelques temps une sacré bougeotte, finalisant en 2024 son projet "Crossbone Skully" tout en continuant à fidèlement soutenir Alice Cooper et la réunion de vieux brigands de Hollywood Vampires. Il en résulte un album au heavy-rock de facture certes classique mais fichtrement revitalisant ; apte à réanimer moribonds et dépressifs. 

     Alors, forcément, entre Storace et Tommy Henriksen, ça sonne assez comme du Krokus carré, franchement "rock'n'roll", pas cérébral pour un sou (absolument rien de poétique ou d'intellectuel dans les paroles - même en fouillant et en étant tolérant 🥴), qui prend plaisir à envoyer le bois. Simplement, quasiment sans pathos, gérant avec parcimonie clichés et flagrances. Une entité heavy-rock'n'rollienne se dévoilant comme une proche cousine, voire une sœurette du Crossbone Skully d'Henriksen. Si ce n'est que ce dernier sonne relativement plus "moderne", actuel, "Crossfire" abordant plus fièrement et ouvertement des atours millésimé 80's. En faisant fi d'orchestration ostentatoire, de stériles plans démonstratifs, de hurlements et de monstrueuses batteries amplifiées dotées de réverbération de temples chtoniens. En dépit de l'âge des loustics, cet album dégage une certaine fraîcheur. Celle d'un groupe qui joue un rock efficace, évident, juste pour le plaisir et l'énergie qui s'en dégage. Avec "Crossfire", Storace ravive une flamme qui pouvait faire défaut à son précédent essai, "Live and Let Live". Il retrouve pratiquement l'énergie qui l'habitait sur ses premiers albums avec Krokus.

     L'entrée en matière, "Screaming Demon", renoue donc avec ces années 80, faisant le lien entre un gros heavy-rock et un hair-metal débarrassé de ses oripeaux maniérés. Evidemment, comme pour nombre de compositions de Krokus,  - et même si on pourrait mentionner d'autres groupes des 70's moins illustres - beaucoup argueront que l'ombre d'AC/DC est prégnante. Et il est indéniable que "Love Thing Stealer", "Let's Get Nuts" et le quasi-glam "We All Need the Money"  semblent parfois être le malicieux fruit de diverses pièces rapportées. Ce qui n'enlève rien à l'attrait de ces petites friandises qui font toujours du bien par où ça passe - et sans risque de cholestérol.

     Tandis que les enthousiasmants "Adrenaline" et "Hell Yeah" empruntent avec honneur le chemin du rock stadium tracé par Def Leppard. Du rock stadium encore avec "Rock this City", où règnent grosses guitares, mid-tempo, section rythmique basique et chœurs quasi martiaux. Efficacité évidente, académisme et pulsation tribale sont les lois régissant ces deux morceaux.  

     Storace sort occasionnellement de son fringant hard-rock pour tâter, avec "Thrill and a Kiss" et "Sirens" - où Marc mélange sans a priori, Rome, flotte phénicienne, Troie, titans, Carthage, Ulysse et Calypso -, d'un heavy-metal abordant de sombres couleurs pouvant évoquer les teutons d'Accept - ère Udo. Et pour démontrer qu'il n'est pas qu'une brutasse vociférant dans son pauvre micro, Storace se fend avec "Only Love Can Hurt Like This", chanson sur la perte d'un être cher, un slow ; une plage dépouillée, proche de la variété.


    Tommy Henriksen, probablement un peu débordé par la masse de son travail, entre la production, la composition, jouer des guitares, de la basse, des claviers, et faire les chœurs, a sollicité la jolie blonde platine au visage fermé de son Crossbone Skully, Anna Cara, pour quelques soli bien sentis. Tandis que c'est Pat Aeby de Krokus qui assure derrière les fûts. 
Finalement, avec cet album, Marc Storace fait de l'ombre à l'un des plus célèbres groupes helvètes ; son propre groupe, Krokus. 


P.S. : Non, la croix portée par l'aigle (un pygargue à tête blanche) n'est pas une référence à un quelconque groupuscule fasciste, mais juste un rappel de ses origines Maltaises (par sa mère), origines dont Storace reste très fier. Le côté gauche représentant la croix de Malte, et la droite, probablement, celle de Georges (présente sur le drapeau Maltais, mais peut-être placée là en référence à ses origines anglaises par son père). Même si depuis longtemps, il a élu domicile avec sa famille dans un grand village suisse, il prend toujours plaisir à retourner régulièrement dans l'archipel. Et à y faire jouer autant que possible Krokus. Il y a une dizaine d'année, le président Maltais lui a remis en mains propres une distinction civile.



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