Toute
preuve d’amour maternel ne lui semblerait plus qu’une infâme
hypocrisie, une aumône offerte à un mendiant, une injure d’autant
plus violente qu’elle confond douceur et pitié. Si « avec
l’amour maternel la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle
ne tient jamais », alors l’enfant de mère déçue n’a même
pas cette promesse pour l’encourager à vivre. La mère de Johnny Winter se contenta donc d’offrir au nouveau-né l’amour dont il
aura besoin pour affronter la dure existence des hommes différents.
C’est ainsi que, isolé par la bêtise aveugle du conformisme, le
jeune Johnny Winter finit par trouver la musique donnant un sens à
sa souffrance.
Il se réfugia dans cette salle de cinéma sans
réfléchir, pensant sans doute que les insultes et les brimades ne
l’y suivraient pas. Le film était une simple réadaptation de
série télé, son affiche semblait annoncer un produit créé pour
faire les poches d’une jeunesse en pleine émancipation. Mais un
film n’a pas toujours besoin de grands objectifs artistiques pour
marquer à jamais le public, il suffit qu’il vous tombe dessus au
bon moment.
[<= avec Janis Joplin] Comme Johnny, le héros de « Pete’s Kelly blues »
devait lutter contre des forces aussi primaires que redoutables, le
blues était son cri de guerre et le chemin de sa victoire. Le jeune
homme découvrit ainsi cette musique née au milieu d’un monde de
crime et de vice, fleur délicate grandissant sur un tas de fumier.
La musique blues eut encore pour lui une définition vague, ce film
ne le montrant que sous les traits d’un pianiste de jazz ponctuant
les poignantes lamentations d’Ella Fitzgerald.
Vague silhouette
dont il imaginait les voluptés, la beauté du blues ne lui en fut
que plus désirable. Les premiers essais pour la conquérir furent
hasardeux, la simplicité sèche du ukulélé ne se prêtant pas à
ce genre d’exercices langoureux. Enfant de sa génération, Johnny
Winter arriva au blues par la porte du rock, Chuck Berry lui montrant
l’instrument qui l’éleva vers ces mélancoliques sommets. La
guitare, passée de simple accompagnatrice à élément central du
rock et du blues, sera la fée qui le conduira vers la gloire. Et le
jeune homme progressa vite, si vite qu’il osa perturber la
prestation d’un BB King en pleine gloire.
Le « Live
at the Regal »
venait alors de sortir lorsque, marchant d’une allure de seigneur,
BB King vint aiguiser son blues dans un petit bar texan. Les cheveux
coiffés à la Elvis, l’enfant terrible de la ville lui posa la
main sur l’épaule avant qu’il ait joué la moindre note. Gérant
l’incident avec la bonhomie des honnêtes hommes, le King
dit simplement au malotru « tu ne veux pas priver le public de
sa dose de blues ? ». Loin de se démonter, Johnny Winter affirma qu’il voulait au contraire lui offrir à ses côtés. Il
savait bien ce qu’il risquait en cas d’échec, les videurs
n’hésitant pas à faire ravaler aux prétentieux leur fierté mal
placée. Souriant pour mieux masquer sa surprise, BB introduisit son
vibrant hommage à sa chère Lucille, sa fidèle compagne à six
cordes.
[avec Jimi Hendrix =>] Enivré par son chant tendre et intense, Johnny lui tricota
une robe fine et lumineuse, répondit à ses chorus avec autant
d’agilité que de finesse. Le blues, comme toute interaction
humaine, dépend d’une symbiose qui survient sans que l’on puisse
l’expliquer. C’est un amour suprême, la joie de la pureté
retrouvée, l’accouplement d’âmes n’en formant plus qu’une.
Le morceau se termina, l’écho des dernières notes s’éteignant
pour laisser place au silence de spectateurs médusés. En quittant
la scène, BB King eut pour le jeune homme ces quelques mots « tu
iras loin si tu ne te laisses pas dévorer ». C’est ainsi que
le roi adouba son dauphin. La musique, comme l’histoire, est faite
d’ascensions
et de déclins,
d’assassinats symboliques et d’adoubements solennels.
Lorsqu’il
découvrit Johnny Winter, Mike Bloomfield était déjà descendu du
piédestal sur lequel l’avait porté sa participation au
Butterfield blues band. En tentant de produire son album solo, le
guitariste ne parvint qu’à prouver que ses talents d’écriture
n’étaient pas à la hauteur de sa virtuosité musicale. En
l’invitant à partager la scène avec lui, Mike Bloomfield retrouva
cette ferveur à l’origine de l’inimitable magie du blues.
Présents dans la salle ce soir-là, les cadres de Columbia n’eurent
aucune peine à croire qu’ils tenaient là le plus grand bluesman
blanc. Soucieux de ne pas laisser passer celui qui pouvait devenir le
BB King des années 60-70, le label offrit à l’albinos plusieurs
centaines de milliers de dollars d’avance ainsi que la garantie
d’une liberté artistique totale.
Fort de cette liberté, Johnny Winter fit l’inventaire de ce que le blues fut et devint, le tout
parsemé d’accélérations rythmiques laissant deviner ce que le
blues deviendrait. Car, dans les studios modernes de la perfide
Albion, une bande de sauvages magnifiques donnaient à la musique des
pionniers une puissance inégalée. Lorsque les anglais jouent le
blues, ce n’est jamais tout à fait le blues, le génie harmonique
du vieux continent les poussant fatalement à le remodeler. L’album
« Johnny Winter » semblait alors représenter une limite,
celle au-delà de laquelle le blues perdait la beauté unique léguée
par les pionniers. Héritant du statut incontesté de gardien du
temple blues, Johnny Winter défendit sa tradition à la grand-messe
psychédélique de Woodstock, mit ses dons au service de la reine
Janis Joplin, avant de réapprendre au rock d’où il venait sur un
second album bien plus véloce que le premier.
Au cœur de cette
énergie se situait une fratrie vouée à la préservation de la
grande musique américaine. Aucun lien n’est plus solide que celui
de deux frères ayant ajouté la communion des esprits aux liens du
sang. Reliés par une symbiose unique, le duo Edgar / Johnny Winter commençait avec « Second Winter » sa grande épopée.
Plus éclectique que son frère, Edgar profita de son succès pour
enregistrer « Entrance », un mélange détonnant
d’énergie rock et de grâce jazz. Edgar dragua ainsi la secte
élitiste des partisans du rock progressif, Johnny préféra durcir
son jeu pour profiter du succès des conquérants du rock
sudiste.
[avec Muddy Waters => ] Ainsi naquit « Johnny Winter and », disque dont
Blackfoot n’aurait pas renié la puissance entraînante. Cette
puissance lui valut d’être déifié par une époque instaurant le
culte du guitar hero. Devenu l’égal d’un Hendrix ou de Ten Years
After, l’excentrique guitariste perdit progressivement ses repères
musicaux et existentiels. Dernier né de cette période dorée,
« Live » le cimentait dans la tradition d’un rock
excentrique et spectaculaire. Le résultat eut beau être magnifique,
l’albinos perdit ainsi le contact avec la musique des grands
pionniers. Épuisé par ses addictions et le rythme infernal des
tournées, l’auteur de « Rock’n’roll hoochie koo »
se réfugia dans une maison isolée de Woodstock. Ce repos n’améliora
malheureusement pas son état, qui l’obligea à entamer une cure de
désintoxication qui dura plusieurs mois. Émancipé malgré lui de
l’ombre tutélaire de son frère, Edgar Winter trouva dans le
gospel et le funk l’énergie qui lui permit de bâtir sa propre
légende. Porté par la ferveur de ses chœurs et la chaleur de ses
cuivres, l’album « White trash » fut un classique
instantané.
Chanteur dont les cris sauvages annonçaient les
hurlements d’un certain Steven Tyler, Jerry Lacroix en profita pour
graver son nom dans l’histoire. Ainsi, malgré les défaillances de
Johnny, le nom de Winter resta le symbole d’une certaine résistance
traditionnelle face à la folie moderne. Suivi le démentiel « Live
roadwork » et la mise au pas de la beauté glam sur l’excellent
« They only come out at night ». Pendant ce temps,
admiratif de son parcours fulgurant, les Stones eux-mêmes incitèrent Johnny Winter à revenir en lui offrant une de leurs compositions.
Publié sur le bien nommé « Still alive and well », son
interprétation chuck
berryenne
de « Silver train » se montre bien plus convaincante que
celle du groupe de Keith Richards. Ce swing mâtiné de puissance
sudiste et de feeling blues, le phoenix Johnny le garda durant la
majeure partie de sa brillante carrière.
Les disques se suivirent et
se ressemblèrent, rassurants repères dans un monde en évolution
permanente. N’ayant pas oublié ses racines, l’albinos participa
ensuite à la renaissance du héros du Delta Muddy Waters. Issu de
cette collaboration, l’album « Hard again » vit le
grand Muddy redonner à son disciple le goût des rythmes lents et
des notes prolongeant leur écho dans de grands espaces silencieux.
S’offrant un dernier bain de jouvence, Johnny Winter prolongea ensuite
l’écho de ce delta blues sur l’excellent « Nothin but the
blues ». Devenant ensuite une triste caricature de ce qu’il
fut, ce dernier héros de Woodstock passa les années suivantes à
célébrer son glorieux passé.
Devenu l’esclave de sa propre
légende, il apparut très affaibli lors de ses derniers concerts.
Pouvant à peine marcher, l’homme s’installa alors sur un
tabouret de bois pour jouer un blues crépusculaire. Cette image
rappela furieusement l’iconique photo de Robert Johnson, comme si
ce génie s’apprêtait alors à rendre son âme au diable. Il
s’éteignit en 2014, quelques jours après que sa descendance l’ait
remercié en participant à son dernier album. Si le bluesman est
d’abord un homme sublimant ses peines, alors son corps épuisé et
l’intensité de son jeu sont les preuves irréfutables de sa
grandeur de bluesmen.
Désolé de casser ton envolée lyrique mais si les pères n'étaient pas dans la salle de travail lors de l'accouchement, c'est que l'accès leur était tout bonnement interdit... Comme c'était le cas jusque dans les années 70. Possiblement 80 même.
RépondreSupprimerEt donc ?
SupprimerBen je suppose qu'il veut dire que cette absence dans la salle de travail était peut-être plus contrainte (par ladite interdiction) que souhaitée...
SupprimerÀ part si tu sais que la loi est l'expression de l'intérêt commun, elle suit donc les mentalitées. Rien n'empêche donc de déplorer ou vanter l'idée qu'elle sous entend. Mais cela n'est pas le principal sujet de l'article.
Supprimer"la loi est l'expression de l'intérêt commun". Pas vraiment et pas toujours. C'est l'expression d'une majorité (qui peut être de 80% comme de 51%) élue, par adhésion ou par défaut.
Supprimer"L'expression d'une majorité " Elle est donc l'expression des opinions de la dite majorité.
Supprimer"J'ai la majorité et pis c'est tout ! Mais quelle majorité ? Celle qui est pour le rétablissement de la peine de mort ? Celle qui croyait que la Terre était plate ?" (J-P. Bacri dans "Cuisine et dépendances") :-)
SupprimerJe ne suis pas une autorité morale, vous pensiez souligner une certaine incohérence dans les propos de cet article, vos incohérences prouvent le contraire.
SupprimerEt ?
RépondreSupprimerSalut Benjamin et au club des commentateurs anonymes qui lisent les billets.
RépondreSupprimerEn effet, Et ?
Les débatteurs ne doivent pas être pères, simple supposition… ou pas encore.
J'ai 73 ans …. En 83 et 85, j'ai assisté à la naissance de deux de mes premier enfants, Difficile pour le 1er, plus facile pour la 2ème… En 89, exit, il s'agissait d'une césarienne, donc… asepsie oblige… dehors !!! Une de mes nièces est née en 1976 en présence de son père…
Dans les années 50 et avant, le père n'était pas le bienvenu en principe… mais à la campagne, sur la table de la cuisine et entre deux visites aux bêtes… il pouvait se rendre utile…
Réduire l'article toujours aussi bien écrit à ce petit détail m'amuse, quoique…
À bientôt Benjamin… À jeudi si le cœur t'en dit… du lourd 😊
c'est un blog musical ou un blog sociétal ? j'ai l'impression que les anonymes (en supposant qu'il y en ait plusieurs) n'ont rien de mieux qu'à vouloir étaler leur culture à défaut d'autre chose sur la place publique et ils me font pitié
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