JE SUIS TOUJOURS LÀ de Walter Salles (2025) par Luc B.
Des affiches indiquent "3
millions de spectateurs au Brésil". C’est un beau
chiffre, mais pas non plus un ras de marée sur presque 215 millions
d’habitants. Mais ce qui titille, c’est pourquoi mettre cette
information en avant ? On le comprend, vu de chez nous, pour
deux raisons. D’abord le film est bon, mais aussi parce qu’il
replonge les brésiliens dans une période sombre, la dictature, et l’histoire réelle du
député Rubens Paiva.
Le film est tiré du livre de Marcelo Paiva,
le fils du député, devenu écrivain, on voit son personnage dans le
film, comme celui de sa mère Eunice Paiva, qui est devenue avocate à
48 ans pour défendre les victimes de la dictature, et on voit aussi
le reste de la famille. Car JE SUIS TOUJOURS LÀ est à la fois une
chronique familiale merveilleuse, un film historique, politique, qui
a permis aux brésiliens de regarder de front cette époque noire,
d’où le succès en salle, là bas.
C’est pratique ce genre de
film, comme tout est vrai, archivé, référencé, on peut spoiler !
Le réalisateur Walter Salles s’est fait connaître avec
CENTRAL DO BRASIL (1998), il y avait eu aussi CARNETS DE VOYAGE sur
Che Guevara, son dernier film il y a 12 ans était l’adaptation de
SUR LA ROUTE de Kerouac. Par certains aspects, ce film rappelle
ROMA d’Alfonso Cuaron, une plongée dans le passé, l'Histoire, sa propre
histoire, puisque que Walter Salles a non seulement connu cette
période, mais aussi la famille Paiva, il venait chez eux, gamin, s’amuser
avec les enfants.
La première partie est lumineuse, électrisante,
Salles nous plonge, souvent caméra à l’épaule mais pas survoltée, dans
l’effervescence d’une famille bourgeoise, progressiste. Nous
sommes en 1971, années hippie, fumette, rock’n’roll et Copacabana. La
texture de la photo évoque ces années-là. Les enfants, un gamin et
quatre filles, n’ont qu’à traverser le boulevard pour aller à
la plage. On fête Noël en maillot de
bain. On sent une famille heureuse, soudée, ouverte, la musique est
très présente (pop, prog), on danse, jolie scène où le petit Marcelo fait une
insomnie, son père lui propose une partie de baby foot, hurlements
dans la maisonnée !
Mais tout n’est pas rose. Dès le premier
plan, la mère, Eunice, se baigne dans l’océan, la volupté du moment est gâchée par un
hélicoptère militaire survolant la plage. Plus tard, l’aînée et
ses potes sont arrêtés en voiture par un barrage militaire.
Ce que raconte la
mise en scène, c’est la sécurité que confère la maison, le cocon, par rapport à l’extérieur
hostile. La mère protège les plus jeunes, y compris dans les moments les plus dramatiques. Superbe scène lorsque Eunice embarque tout le monde manger une glace alors
qu’elle vient d’apprendre la mort de son mari (scène pudique, faite de non-dits).
Rester digne, ne pas se départir de la joie de vivre infusée par le père, comme avec cette séance photo où le journaliste demande
des visages sérieux pour illustrer le drame de sa famille, et Eunice,
malicieuse, qui ordonne à tous : « Souriez ! ». Ceux
qui ne gâte rien, c’est l’interprétation des acteurs, tous
formidables, mêmes les gamins, et surtout Fernanda Torres qui joue
la mère, elle tient la famille à bout de bras et le film sur ses
épaules ! L’actrice avait bien débuté sa carrière avec
une Palme d’or pour PARLEZ MOI D’AMOUR en 1986, elle vient de
rafler le Golden Globe cette année.
L’inquiétude filtre aussi par ces
coups de fil que reçoit Rubens Paiva. Salles laisse ça hors champ, des plans à la volée, mais on comprend que Rubens, qui était député
travailliste avant le coup d’État de 1964, depuis ingénieur, n'est pas rangé de la politique, active toujours ses réseaux. Des hommes armés débarquent un
soir, emmènent Rubens Paiva pour un interrogatoire de routine. Il ne
reviendra jamais chez lui. Aujourd’hui encore, on ne sait pas où
se trouve son cadavre.
Les miliciens (ou flics ?) restent à demeure, l'homme fort de la maison n'est plus le père, mais l'ennemi. Ca pollue l'atmosphère. Eunice et une de ses filles seront aussi embarquées dans un centre qui pratique la torture, la mère y
restera 19 jours. Cette bascule se traduit aussi dans la mise en scène, moins solaire, on ferme les rideaux, la caméra arpente des couloirs vides, le silence remplace la musique. Y'a la mort du chien,
accident ou avertissement, ces silhouettes furtives, ces
voitures en planque…
JE SUIS TOUJOURS LÀ est sans doute un peu
longuet sur la fin, verse dans le didactisme hollywoodien. On croit le film fini avec ce plan de
la caméra super 8 de l’aînée qui documente le départ de la famille pour Sao Paulo, mais Walter Salles fait
un saut dans le temps, en 1995, puis un autre en 2014, il s'agit de montrer ce que sont devenus les personnages, un encart aurait suffit, ou un renvoi à leurs fiches Wikipédia ! Même si le plan d'Eunice, vieille, malade, devant le poste de télé qui diffuse des images d'archives de son mari ravive l'émotion.
On n’est pas chez Costa
Gavras, qui aurait pu adapter aussi cette histoire, au sens où
Walter Salles privilégie les liens familiaux, la sensibilité, la
chronique, plus que le thriller politique, mais sa démonstration
n’en est pas moins convaincante.
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