L’ami Pedro Almodòvar fait partie
du cercle restreint de ces (grands) cinéastes dont on attend avec
impatience le dernier opus. D’autant que MADRE PARALELAS
(2021) m’avait paru mineur - toutes proportions gardées, hein,
mais après le flamboyant DOULEUR ET GLOIRE la comparaison était
inévitable - et qu'ensuite il n’avait réalisé que deux courts métrages,
LA VOIX HUMAINE d’après Cocteau (avec déjà Tilda Swinton) et son
western queer STRANGE WAY OF LIFE.
Depuis quelques années, le cinéma
d’Almodòvar semble hanté par la mort, et le passé révolu. C’est
l’âge qui veut ça, notre espagnol préféré – après Enrique
Iglesias – tape ses 75 balais. La mort, dans LA CHAMBRE D’À
CÔTÉ, on y plonge à pieds joints dans ce qu’elle a de plus
organique. Les deux courts métrages sus nommés étaient
anglophones, et pour ce nouveau film, Almodòvar a posé ses caméras
à New York, puis près de Woodstock. Les deux personnages féminins
sont interprétées par l’américaine Julianne Moore, et l’anglaise
Tilda Swinton.
Raison pour laquelle, il faut un peu de temps à
s’habituer, s’immerger dans l’univers si codifié du metteur en
scène, les décors et la langue surprennent (idem lorsque Woody
Allen tournait à Barcelone ou à Paris). C’est aussi, me
semble-t-il, le premier film en format scope. Une image large, en
Panavision, alors que c’est un film intime, généralement
constitué de plans moyens, mais qui permet à Almodovàr de cadrer
ses deux actrices ensembles, d’éviter les champs / contre champs. Visuellement différent, mais très vite, la charte graphique, la
géométrie des plans, les nuances de couleurs, nous ramènent au
bercail.
Désolé de vous plomber la journée avec ce pitch :
Martha est atteinte d’un cancer du col de l’utérus, les
traitements expérimentaux auxquels elle se plie échouent. Quand
Ingrid, une vieille amie perdue de longue date, qui est écrivain,
vient lui rendre visite, Martha lui demande de l’assister dans son
suicide programmé. C’est pas gai, pourtant, Almodòvar ne tire pas
de cette histoire un film morbide.
Les premières scènes à l’hôpital
sont réalistes, au sens où la souffrance de Martha ne nous est pas
épargnée, ça parle de protocole comme de vertiges ou de diarrhées.
Par quelques flash-back, le réalisateur nous renvoie à la jeunesse
de Martha, cette enfant qu’elle à eu trop tôt, d’un amant tout
juste revenu traumatisé du Vietnam. Superbe scène où le vétéran
se précipite dans une maison en flamme pour en sauver les habitants,
hallucinations sonores, car la bicoque était vide… Ou cette scène,
où correspondante de guerre, Martha interroge un religieux, un
carme, en Afghanistan, à l’homosexualité revendiquée ! On
retrouve le Almodòvar poil à gratter des bonnes mœurs !
Puis
Martha explique à Ingrid son plan. Tout est scrupuleusement préparé.
Une maison isolée, louée pour un mois, une pilule achetée par un
ami pharmacien sur le dark web, Martha est prête à mourir, mais ne
souhaite pas être seule au moment fatidique. Ingrid devra être dans
la chambre d’à côté.
C’est dans cette seconde partie que le
film devient, paradoxalement, plus lumineux. On retrouve les motifs à
fleurs, une colorimétrie savamment étudiée entre les vêtements et
les sofas (et les tasses pantone !), géométrie des cadres (le plan des livres à la séance de dédicaces) des jeux de transparence (Martha souvent cadrée à l'extérieur de fenêtres, comme si elle était déjà passée dans l'au delà). Le film n'est pas sombre, la lumière entre par les larges
baies vitrées. Almodòvar filme deux amies confinées dans une
baraque sublime, à l’architecture contemporaine, perdue dans les
bois, elles parlent, mangent, regardent lovées sur un canapé des
dvd de Buster Keaton, mais aussi « Les gens de Dublin »
dernier film de John Huston, qui s’appelait en VO « The
Dead ».
Et puis il y a ce protocole. Martha laissera la porte de
sa chambre toujours ouverte. Sauf quand elle décidera que c’est
son jour, celui de mourir. Les plans d’Ingrid surveillant la porte,
chaque matin, angoissée, sont superbes, assez hitchcockiens, en
plongée (le point de vue de la chambre). La scène où Ingrid trouve
la porte fermée est absolument superbe, on est comme poignardé,
Julianne Moore nous offre un regard rempli non pas de tristesse (le
film n’est pas larmoyant, ce n’est pas un mélo) mais de
désarroi, d’angoisse, d’injustice. Mais n’était-ce pas une
fausse alerte, un courant d’air mal venu ?
Pedro Almodòvar
confronte deux mondes, l’Amérique et l’Europe. Y’a une scène
dans un club de sport ou l’entraîneur d’Ingrid, qui s’est
confiée à lui, regrette de ne pas pouvoir la prendre dans ses bras.
Geste impossible, sous peine de procès pour harcèlement. Il rajoute
que dans son métier, ne pas pouvoir toucher ses clients pour
réajuster une position, est un sérieux handicap. Il y a aussi ce
flic, chargé de l’enquête sur la mort de Martha, qui déclare
être choqué en tant que policier, mais aussi comme homme de foi !
Ingrid dit à son avocate que son ami Damian (joué par John Turturro)
lui a conseillé de prendre : « On m’a interrogé comme
une meurtrière ». On comprend que s'il était prouvé qu'elle fût présente au moment fatidique, elle aurait été arrêtée pour complicité de meurtre, rien que ça, l’euthanasie, comme l’avortement, ne
semble pas avoir sa place chez l’oncle Donald.
LA CHAMBRE D’À
CÔTÉ dit aussi les rapports à la vie, à l’amour, à la mort,
sur deux continents, le vieux, et le plus jeune. Ce personnage de
Damian, dont on comprend qu’il a séduit en son temps les deux
femmes - elles ont un amant en commun - apporte à la fois légèreté
(un obsédé de cul!) et gravité, un type qui ne se fait plus
d’illusions sur le genre humain (porte parole fictionnel du
réalisateur ?) qui donne des conférences sur le réchauffement
climatique, autrement dit, la mort programmée de l’humanité
entière.
C’est indéniablement un très beau film, profond, grave,
qui secoue, pose les bonnes questions, et y répond du point de vue
de son auteur. C’est aussi une partition de choix pour ses deux
actrices, superbes, deux personnages nuancées, notamment Martha,
dont on s’interroge sur le machiavélisme, mais n’en disons pas
trop...
Almodovar vieillit et ça personne n'y peut rien... Je suis plus intéressé par ses films des débuts où il y avait de l'audace, du rythme, un fond de comédie dans des sujets graves. Depuis qu'il a son fauteuil réservé à Cannes, il devient ianch ... Je regarde parfois ses film récents (douleur et gloire, étreintes brisées, c'est pas mal mais bof ...), et plus ça va, plus ses films on dirait du Lelouch, des histoires tristes de couples en rupture ...
RépondreSupprimerDans un film qui parle de mort et avec chambre dans le titre, y'a la chambre du fils de Nanni Moretti qui est vachement bien ...