jeudi 7 novembre 2024

MENDELSSOHN – La première nuit de Walpurgis (1843) – Frieder BERNIUS (2020) - par Claude Toon


Sonia entre dans le bureau de Claude et remarque tout de suite un paquet cadeau, avec un joli nœud, posé sur sa table.

- Oh, c'est pour qui ce cadeau ? pour Mme Maggy Toon ou Nema ?

- Non pour toi ma belle, c'est ton anniversaire je crois, et cette année, j'y ai pensé…

Sonia déchire le papier et découvre la couverture argentée du dernier roman de Giacometti et Ravenne : Le livre des merveilles...

- Super, j'adore cette saga dans la lignée de Dan Brown et Cie où les héros empêchent les cinglés mystiques de nazis de s'emparer d'objets magiques pour les aider à gagner la guerre… Du Indiana Jones littéraire… Tu l'as lu aussi, ça parle de quoi cette fois ?

- Du livre des sorcières et de la fête desdites sorcières appelée Nuit de Walpurgis, la veille du 1er Mai… Je l'ai acheté sans trop savoir qu'il y aurait un lien avec la chronique du jour. Du coup j'ai pu compléter dès le premier chapitre les connaissances qui ont inspiré Goethe puis Mendelssohn…

- Waouh… Mendelssohn et la sorcellerie… Ça fait peur ?

- Non, il est aussi l'auteur du Songe d'une nuit d'été d’après Shakespeare, plutôt de la magie et… un brin d'humour…


Felix Mendelssohn
 

Le livres des merveilles : roman de gare ? Roman d'aventure ? Roman historico-ésotérique si à la mode depuis Da Vinci Code de Dan Brown paru en 2003, un coup de tonnerre littéraire vendu à 40 millions d'exemplaires. Une drôle d'affaire juteuse et rocambolesque et un incroyable succès s'expliquant par une intrigue alambiquée et passionnante tirant à boulet rouge sur un Vatican disons… historiquement manipulateur. Le duo Giacometti et Ravenne surfent sur cette manne avec habileté depuis 2005… surtout dans un cycle dit du Soleil Noir débuté en 2018.

En ce XXIème siècle, l'occultisme est à la mode à longueur de page, je ne suis pas contre (plutôt fan, ça détend), et c'est moins charlatanesque que de solliciter les esprits et les fantômes démoniaques en faisant appel à des médiums non diplômés 😊, arnaques très prisées les siècles passés. Désormais, les pigeons amateurs des soirées "table tournante" et autres "Ouijas" bouquinent, c'est plutôt une bonne chose. Et avec les meilleurs auteurs, nous pouvons revisiter mythes, légendes, miracles, maléfices, artefacts magiques et démonologie tel un Indiana Jones en robe de chambre lové en sécurité dans son fauteuil 😊.

Coïncidence, j'avais jeté les premières idées du billet dédié à la cantate de Mendelssohn avant d'acheter ce roman dans lequel je vais joyeusement piller quelques bonnes infos réunies par les deux auteurs. Et j'ajoute pour conclure que le style rédactionnel du duo me satisfait pleinement en phase détente. Ce n'est pas du Proust ou du Mauriac (Benjamin serait d'accord, je suppose), et pourtant je viens de découvrir un mot : gaste ; adjectif appliqué à une terre désolée par la guerre ou les catastrophes naturelles ; dans le contexte : l'Allemagne de 1944 pulvérisée par les raids de la R.A.F. et de l'U.S. Air force… vous voyez le genre 😧.

 

- Heu Claude, c'est un billet catégorie musique classique ou catégorie romans ésotériques ?

- Un peu de patience Sonia, il n'y a pas dix pages de commentaires a priori sur l'œuvre et toutes les cultures ne faisant qu'une…


Sainte Walburge (710-779)

Walburgue, Walpurge, Walpurgis ou une autre variante, nous disposons de diverses conjectures quant à l'orthographe exacte de la Sainte. Certitude : elle serait née au sud de l'actuelle Angleterre, dans le comté du Kent ou du Sussex ("Pardon Pat ? … Bon, ce genre de blague de collège, tu te les gardes, nom d'une pipe !! Désolé mes chers lecteurs, Pat est coquin !"). La terre anglo-saxonne a été christianisée depuis 595 par Saint Augustin en commençant par le Kent sur lequel règne le roi païen Æthelberht Ier marié à Berthe (aux pieds normaux) qui sera canonisée. Le couple royal converti au catholicisme naissant aura un arrière-arrière-arrière-petite-fils, Hlothhere, le grand-père de… Walpurgis ("Pardon Pat ? À mon âge j'ai la passion des anciens ? Très drôle !"). Vous connaissiez tout ça je pense, mais à tout hasard… Walburgis est également la sœur des futurs Saint Willibald et de Saint Wunibald. Quelle famille pieuse, mon Dieu !

Elle entre au couvent Bénédictin de Wimborne (qui est mixte 😊). Sa foi profonde attire l'attention de Saint Boniface qui l'envoie évangéliser les Goths en Germanie, en Haute-Bavière. Son aura et sa force de persuasion seront très efficaces face aux rugueux barbares teutons ! L'Église de Rome en fait une icône pour ces nouveaux chrétiens en jouant sur l'immense popularité dont elle jouit ("Pat ? Une dernière c**e avec ce verbe ? Oui ? Non ? Tu boudes ?").

Pour bientôt pouvoir commencer réellement cette chronique, notons que l'épiscopat décide de fêter Sainte Walpurgis, si populaire, la veille du 1er mai pour concurrencer voire faire cesser les fêtes païennes qui ont lieu ce jour-là pour honorer la fin de l'hiver et le début du printemps. Les anciennes coutumes ont encore la vie dure et cette nuit-là se réunissent les sorcières et autres nécromanciens pour invoquer démons maléfiques ou bénéfiques, les anciens dieux de la nature ! Voilà comment ce sabbat de sorcières qui disparaitra au fil des siècles inspirera Goethe dans son Faust… (Le rituel est juste ressuscité par Himmler dans le roman – un ReichFührer obsédé d'occultisme à des fins de pouvoir et de victoire pour le Reich, courtisan ainsi le Führer tout aussi obnubilé - pour les besoins du livre de Giacometti et Ravenne).

En Allemagne et en Suède, la festivité subsiste dans un climat folklorique…

J'ai choisi cette belle illustration car je suis surpris de voir une femme, fusse-t-elle Sainte, portant une crosse et les huiles saintes, attributs sacerdotaux réservés aux évêques. Mystère, peut-être pas tant que ça en cette époque d'une Église plus tolérante…

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Illustration de Delacroix pour Faust
 
 

18ème chronique dédiée à Félix Mendelssohn, compositeur trop souvent éclipsé par le génie de Beethoven et de Schubert. Il est vrai que comme ce dernier, sa courte vie de 38 ans (1809-1847) ne lui a pas permis de nous léguer un catalogue aussi riche quantitativement que ceux de ses concurrents… Précisons que Félix est né et a vécu pendant l'époque romantique définitivement mise en place par Beethoven en 1805 (3ème symphonie "héroïque").

La biographie rédigée pour la 1ère chronique dressait un portrait détaillé de Mendelssohn, tant sur le génie précoce – 13 premières symphonies à quinze ans – que la force de travail incroyable du pianiste et compositeur et sa profonde tendresse et admiration envers sa sœur Fanny dont la mort en 1847 sera sans doute à l'origine de celle de Félix la même année, le deuil inconsolable ayant fortement altérer sa santé.

Nous avions évoqué les origines juives de sa riche famille de banquier. Les Mendelssohn se sont convertis au luthéranisme pour s'affranchir des diverses interdictions antisémites incluses dans les droits civiques de l'époque… Un siècle plus tard, le nazisme interdira malgré cette conversion l'exécution de son œuvre ! Wagner, renommé autant pour son talent que pour son dédain des confrères, rédigera un pamphlet au titre explicite "Le Judaïsme dans la musique", épingle la "mièvrerie" de la musique de Meyerbeer et de Mendelssohn dont il s'est pourtant copieusement inspiré en façonnant son style d'écriture. Pas Cool, mais courant à l'époque…

Mendelssohn, certes était croyant, mais tel un digne héritier des humanistes de la Renaissance, il n'appréciait guère les conflits religieux intégristes ; chaque religion, voire chaque courant cherchant à dominer la concurrence spirituelle par tous les moyens… En ce début du XIXème siècle l'inquisition touche presque à sa fin… salles de torture, procès en sorcellerie et bûchers ont cessé (sauf en Espagne), mais les atrocités, notamment les procès des sorcières dans l'Allemagne des XVIème et XVIIème siècles, ont laissé des traces douloureuses vilipendées par les philosophes des Lumières ! (40 à 50 000 victimes.)

Le compositeur fasciné par les grands oratorios de l'époque baroque – il ressuscita la Passion selon Saint Mathieu de Bach (Clic) - et composera deux partitions de même envergure inspirées d'épisodes bibliques : Paulus (Clic), Elias, et une troisième inachevée Christus !

Les formes Oratorio et Cantate sacrées si prisées par Bach et Haendel sont ainsi remises au goût du jour. Mais pourquoi écrire ces cantates aux accents diaboliques que sont le Songe d'une nuit d'été et La nuit de Walpurgis, des mises en scène et en musique de fêtes païennes a priori blasphématoires ? J'y vois une facétieuse provocation anticléricale très à la mode à l'époque. N'est-ce pas maitre Goethe ?


Ballet de sorcières la nuit de Walpurgis
 

1808, Goethe écrit Faust I la première de ses deux pièces mettant en scène le      Docteur Faust vendant son âme à Méphistophélès par amour pour Marguerite ! Une suite, Faust II, sera publiée en 1832. Je ne reprends pas l'histoire dans le détail. On ne compte plus les adaptations ! En musique : la cantate de Mendelssohn (Berlioz assistera à une exécution en 1843 en compagnie de Schumann, une soirée très appréciée qui aurait pu le conduire à composer sa Damnation de Faust, un oratorio), Liszt et sa Faust Symphonie et son cycle pianistique Méphisto-Valse, Gounod bien sûr, la seconde partie de la 8ème symphonie de Mahler… etc. 22 références musicales dans Wikipédia. Et bien sûr, les peintures et les gravures (17 de Delacroix) et le cinéma dès Méliès en 1903 et 1904, suivi jusqu'à nos jours d'une douzaine de films et comédies musicales !!!

Dans Faust I, Goethe insère (pour divertir ?), la reconstitution de la nuit de Walpurgis… nuit de sabbat à laquelle Méphistophélès invite Faust. Des prêtres sont courroucés face à ce cérémonial interdit organisé par des Druides fidèles aux anciennes traditions, le rituel se terminant par la crémation d'une idole à l'image d'un dieu de la nature… Les participants sont pourchassés par des chrétiens dévots et armés ! Pour les berner, certains adeptes se déguisent en démons… Les prêtres plus superstitieux qu'on ne le pense, préfèrent prendre la fuite… Cette scène magique devait pouvoir être présenter sous forme d'un ballet, en musique… Sorcellerie et anticléricalisme chers à Goethe écrivais-je plus haut 😊 ?


😈😈 Divinités celtes 😈😈

1830 : Mendelssohn a 21 ans et connaît déjà la reconnaissance du public et de ses pairs. L'année précédente il a donné une exécution remarquée de la passion selon Saint-Matthieu de Bach et voyagé en Écosse. Sa 1ère symphonie orchestrale, virevoltante, date de 1824. On la considère comme une étape d'une maturité étonnante de la main d'un jeune homme de 16 ans et marquante dans l'histoire du genre (concurrente sérieuse des premières symphonies de Schubert ou de Beethoven).

Indépendamment de l'intermède de son drame Faust I, Goethe avait édité un poème portant le titre de Walpurgisnacht suivant la trame ci-dessus… Le poète et dramaturge avait sollicité le compositeur et théoricien Carl Friedrich Zelter (1758-1832) pour l'adapter en musique. Après deux essais infructueux, en 1799 et 1812, ce musicien âgé suggère à Goethe de proposer ce travail à son élève Mendelssohn.

Mendelssohn enthousiaste, se met au travail en conservant in extenso le texte de Goethe. En 1832, la partition est prête et jouée à Berlin en 1833. Perfectionniste, le compositeur révisera sa partition en 1842, une recréation aura lieu à Leipzig en 1843.

L'orchestration comporte : 3 flûtes + piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, grosse caisse, cymbales et cordes. Pour la partie vocal, un quatuor vocal inhabituel (1 femme, 3 hommes) : alto, ténor, baryton et basse : un grand chœur mixte.


Frieder Bernius (1947)

La cantate est un ouvrage populaire de Mendelssohn. La riche discographie en témoigne et il est souvent à l'affiche des concerts y compris en France, exemple : Paul Mc Creesh avec la philharmonie de Radio France en 2008 ou Laurence Equilbey avec l'Orchestre de chambre de Paris en 2012, et programmé pour 2025 à Tourcoing !

Côté disque, Kurt Masur, spécialiste de Mendelssohn pendant la fin du XXème siècle , nous a légué deux versions dont une fulgurante grâce à un quatuor vocal de premier plan et l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig (1974). Ayant un faible pour les nouveautés et les artistes moins connus mais motivés, je vous propose l'écoute de la gravure de 2020 du maestro Frieder Bernius dirigeant l'orchestre de chambre de Brème et celui de Stuttgart.

Renommé pour son travail sur la période baroque et le recours à des instruments d'époque, Frieder Bernius nous propose ici une lecture aérée et vivante de la pantomime diabolique. Le chef conduit un orchestre en suivant une ligne mélodique accentuée, très nuancée. Il révèle avec habileté les interventions des bois et cuivres que l'on entend moins bien dans les interprétations plus conventionnelles. Les chanteurs sont au diapason. Dès l'ouverture tempétueuse comme le stipule Mendelssohn dans son manuscrit, le climat de diablerie et de fête populaire, farouche et fantasque, dénuée de tout esprit blasphématoire, s'impose grâce aux artistes ce qui ne devrait pas échapper à l'auditeur !

 

Inutile d'analyser la cantate à l'aide d'une savante musicologie 😉. On retrouve le style Mendelssohn au sommet de son art : des couleurs orchestrales chatoyantes, la poésie des airs solistes, la vigueur du chœur dans les scènes de foules… la liesse populaire et la folie sabbatique… Les mélomanes qui connaissent Le songe d'une nuit d'été ne seront aucunement perdus. La brièveté de l'ouvrage, 35 minutes environ, évite toute fatigue, a contrario des oratorios plus grandioses que sont Paulus ou Elias

Pour les amateurs, le texte de la "balade" de Goethe est disponible dans divers site web (Clic).

Les différentes séquences sont listées dans ce tableau avec leurs sous-titres en bilingue. Lesdits sous-titres suggèrent la thématique du passage…

 

La vidéo étant une playlist, désolé pour les micros-interruptions… Le timing est celui de la version Masur (une seule vidéo) donnée en complément. Il s'agit de celle avec les solistes célèbres des années 70 : Annelies Burmeister (alto), Eberhard Büchner (ténor), Siegfried Lorenz (baryton), Siegfried Vogel (basse).

Titre Allemand/français des épisodes   

Playlist
Bernius

Timing
Masur

 

Ouverture

 

 

I

Das schlechte Wetter (Allegro con fuoco)

Le mauvais temps

1

[0:20]

II

La transition vers le printemps (Allegro vivace non troppo)

Der Übergang zum Frühling

2

[7:39]

 

Cantate

 

 

II

Es lacht der Mai (Allegro vivace non troppo)

Mai rit

3

[9:11]

iV

Könnt ihr so verwegen handeln (Allegretto non troppo)

Pouvez-vous agir avec autant d'audace

4

[13:13]

V

Wer Opfer heut' zu bringen scheut (Andandte maestoso)

Celui qui a peur de faire des sacrifices aujourd'hui

5

[15:03]

VI

Verteilt euch, wack're Männer, hier (Allegro leggiero)

Répartissez-vous ici, braves hommes

6

[16:41]

VII

Diese dumpfen Pfaffenchristen (Récitatif)

Ces stupides prêtres chrétiens

7

[18:23]

VIII

Kommt mit Zacken und mit Gabeln (Allegro molto)

Livré avec dents et fourchettes

8

[18:50]

IX

So weit gebracht, daß wir bei Nacht (L'istesso tempo. Andante maestoso)

Amené si loin que la nuit

9

[24:50]

X

Hilf, ach hilf mir, Kriegsgeselle (Allegro non troppo)

Aide, oh aide-moi, compagnon

10

[27:35]

XI

Könnt ihr so verwegen handeln (Andante maestoso)

La flamme se nettoie de la fumée

11

[28:37]

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


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