mercredi 25 septembre 2024

BIG SLEEP " BlueBell Wood " (1971), by Bruno


pochette originale


pochette réédition 2007

      Nouvel élément à ajouter au chapitre des perles obscures des années soixante-dix ? De l'unique album d'un groupe à jamais tombé dans l'oubli ? Oui... presque... mais non... pas vraiment. Car, à première vue, l'affaire faire figure d'embrouillamini.

     En fait, ce Big Sleep est le phénix du groupe de rock psychédélique Eyes of Blues, qui a troussé deux bons albums en 1968 et 1969, s'ouvrant également avec bonheur sur la pop et le progressif. La dernière mouture de ce quintet d'origine galloise, né déjà des cendres de The Mustangs, groupe de reprises de Rhythm'n'blues, est composée de musiciens qui vont se faire un nom lors de la décennie suivante. Mais auparavant, sous le patronyme de Big Sleep, ils réalisent un OMNI (1). Un unique disque de rock-progressif à l'orchestration relativement austère mais pas moins émotionnelle, où la vélocité, les ornementations superflues et l'alambiqué sont proscrits pour se recentrer sur l'essentiel. 

     Ce disque, c'est "Bluebell Wood", qui en dépit d'un désastre commercial, est tout de même parvenu à gagner sa place dans le temple des trésors perdus. Un flop financier principalement dû à l'absence totale de promotion, de la part d'un modeste label débutant et de la part du groupe qui n'aura aucune occasion de présenter ses dernières compositions sur scène. Dans ces conditions, il est même étonnant que ce disque ait réussi à passer les années. Le C.V. des musiciens n'y est pas étranger, mais c'est probablement le net qui l'a sauvé en lui offrant une diffusion planétaire - grâce à quelques amateurs qui se sont fait une joie de proposer le téléchargement de leur vieux vinyle crachotant (via des plates-formes que des autorités ont ardemment combattues jusqu'à leur fermeture). Diffusé initialement par le label anglais Pegasus, qui s'éteignit avant ses deux ans d'existence, le 33 tours disparut rapidement de la circulation, devenant au fil des ans un objet rare recherché. La maison mère elle-même, B & C Records, ferma également ses portes la même année, en 1972, rendant alors compliquée toute réédition. Même des groupes plus illustres souffrirent de cette faillite. En l'occurrence "In Hearing Of" d'Atomic Rooster, le premier opus de Nazareth, tandis que "A Third of a Lifetime" de Three Man Army, et "Please to See The King" et "Ten Man Mop of Mr Reservoir Bulter" de Steeleye Span. Les trois derniers purent toutefois profiter de l'édition américaine pour de multiples rééditions.

   Il fallut attendre 2007, l'année de création d'une filiale spécialisée en sauvetage d'œuvres en péril et réhabilitation de bijoux perdus, - en l'occurrence Esoteric Records, une filiale de Cherry Red Records, spécialisée dans le rock-progressif et psychédélique -, pour qu'enfin cette production de 1971 puisse être rééditée, en profitant au passage d'une excellente remasterisation (effectuée en reprenant les bandes originales). La même année, au Japon, une boîte nationale effectue également sa propre réédition. Depuis, Sanctuary (BMG) a aussi sorti sa propre réédition.


   Cet unique album fait la part belle aux atmosphères délicates et boisées. Loin des guitares électriques rugissantes et des avalanches de fûts, ce rock-progressif relativement singulier s'efforce d'aller à l'essentiel pour développer ses rêveries mélancoliques. Rêveries généralement ébranlées par des interludes de tonalités différentes.

     Comme "Death of a Hope", qui ouvre le rideau sur un simple piano, dont la retenue ne devrait pas déplaire à Philip Glass (Métamorphoses ?), sur lequel se pose un chant affecté, empreint de regret. Un discret violon s'immisce sur la pointe des pieds en soutien du chant. Puis un second vient se substituer au chant, jusqu'à un break étonnant, plutôt incongru avec ces chœurs de hippies insouciants, à deux doigts de tout gâcher. Un instant fugace, frôlant le comique, vite balayé par un retour à la mélancolie. 

     Les cordes font leur retour sur "Saints & Sceptic". Mais seulement pour un interlude quasi baroque et enlevé, progressant dans une intensité croissante, comme le vent forcissant avec l'arrivée de la tempête... qui, finalement, demeure à l'écart. Doucement, lentement, c'est un retour à l'apaisement. Les instruments se défilent pour ne laisser que le chant et une choriste, au timbre clair et frais comme une eau de source. On remarque sur ce titre une utilisation de la wah-wah alors peu commune, essayant du mieux qu'elle peut de creuser dans l'émotif avec de larges respirations - plutôt que dans le rythme. 

     On a bien aussi de la flûte traversière et de la clarinette sur la chanson titre, "Bluebell Wood", certainement la pièce la plus ambitieuse de l'album avec ses onze minutes où le groupe passe par plusieurs phases allant crescendo. Débutant avec beaucoup de retenue et de respiration, jusqu'à un final qui après un premier dérapage aux allures de chevauchée - plus western-spaghetti que gothique (malgré la référence au château du Roi Pêcheur dans la chanson) - plonge profondément dans une longue errance de heavy-rock d'où s'échappent quelques réminiscences de rock psychédélique (survivance d'Eyes of Blues). L'occasion pour les guitaristes de se dégourdir les doigts. Des grattes également plus présentes sur "Free Life", qui oscille entre mid-tempo heavy-rock, complainte d'hippie désillusionné et ballade appuyée.

     Alors que la formation - un quintet - comporte deux guitaristes, c'est surtout le piano qui est à l'honneur. Il y a d'ailleurs deux claviéristes ; l'un jouant aussi de l'orgue, tandis que le second partage le chant et joue principalement de la basse. Une basse particulièrement expressive, plus souvent sollicitée pour remplir les espaces, insufflant indifféremment aussi bien un rythme qu'une sensation, une ligne mélodique. Bien des fois, c'est le piano qui entame un morceau, vite soutenu par une basse donnant l'impulsion. Comme sur "Aunty James", évoluant telle une barque perdue et ballotée par des eaux sombres et tumultueuses, où la batterie dépose un court pattern jazzy entre chaque mouvement. Le compositeur principal, Ritchie Francis, cumulant les rôles de bassiste, de pianiste et de chanteur, explique en partie cette prédominance basse-piano. Les guitares, si elles sont bien présentes, sont parfois sous-mixées, probablement dans le seul but de ne pas briser cette fragile alchimie d'atmosphères baroques, folkloriques, progressives et rock.

   Les premiers mouvements de "Watching Love Grow" en sont aussi un parfait exemple, avec cette ambiance de cabaret.

   Par contre, le rock'n'roll 50's d'inspiration Fats Domino, "When the Sun Was Out", arrive en clôture un peu comme un cheveu dans la soupe. Totalement décalé avec tout ce qui précède.


   Mais avant ça, il y a 
"Odd Song". Une belle chanson, débutant comme une ballade, dépourvue de toutes percussions, sur laquelle le guitariste Gary Pickford-Hopkins a posé sa voix doucement délicatement rauque sur un lit d'arpèges de guitare et de notes aériennes de piano. Jusqu'à ce que la troupe se lance dans un heavy-rock plus austère. C'est une interprétation plus intense que la version enregistrée pour la première fois par un obscur groupe gallois : Strawberry Dust, rebaptisé Ancient Grease pour la sortie de leur unique disque en 1970 : "Women and Children First" (👉 lien). Album composé essentiellement de morceaux de John "Pugwash" Weathers, le batteur et chanteur de Big Sleep.

     Si malheureusement cet album et le groupe n'eurent aucune succession, les musiciens purent continuer leur carrière, avec pour la plupart un assez beau parcours sur les années suivantes. 

Phil Ryan, organiste et chanteur, après une expérience un peu chaotique avec The Neutrons, est embauché par les compatriotes de Man. Groupe qu'il réintègre à deux reprises. La dernière étant clôturée par son décès, le 30 avril 2016. Au début des années 90, il se lance dans une nouvelle aventure avec Pete Brown, qu'il retrouve pour deux nouveaux albums en 2010 et 2013. 

John Patrick "Pugwash" Weathers, batteur et chanteur, participe à la fondation avec l'ex l'ex Jethro Tull, Glenn Cornick et Gary Pickford-Hopkins, de Wild Turkey. Mais avant le moindre enregistrement, il rejoint Graham Bond, avant d'intégrer le groupe de Rock-progressif Gentle Giant - à partir du célèbre "Octopus" -, et y reste jusqu'en 1980. Après une pause, il est sollicité par la reformation d'un emblématique groupe gallois : Man. Sans jamais croisé l'ex-complice Phil Ryan. Entre autre, il participe à la résurrection en 2006 de Wild Turkey.

Raymond "Taff" Williams, guitariste, alors qu'il jouait sur le premier album de Man, s'est plutôt spécialisé comme musicien d'accompagnement et de sessions. Vers la fin des années 90, il forme un duo avec Pickford Hopkins, mais sans réaliser aucun disque.

Gary Pickford Hopkins, guitariste et chanteur, fonde avec Glenn Cornick et Weathers Wild Turkey , avec qui il enregistre les deux premiers disques. On le retrouve sur l'unique album solo de Chick Churchill, "You and Me" (1973), non pas en tant que guitariste mais juste en qualité de chanteur. Il en sera de même lorsque Rick Wakeman fera appel à ses services. Notamment pour son ambitieux (orgueilleux ?), "The Myths and Legends of King Arthur and the Knights of the Round Table". Il renoue avec Wild Turkey dans les années 90, puis pour la dernière version en 2006.

Seul Ritchie Francis, le principal compositeur, bassiste, pianiste et chanteur, après un unique album solo sorti en 1972, "Song Bird", disparait de la circulation.


(1) Objet Musical Non Identifié


🎶🌸

2 commentaires:

  1. J'ai écouté cet album, évidemment je ne connaissais pas, et j'aime plutôt bien (y'a de furieux dérapages d'orgue Hammond, donc c'est logique), "Saints & Sceptic" est très bien, comme le morceau titre, et la dernière m'a fait beaucoup penser aux Beatles, ou plutôt à McCartney. Le prog est parfois grandiloquent, voire prétentieux, mais là je trouve ça finalement assez léger, printanier, pas prise de tête, un peu daté bien sûr dans le son, normal, ça sonne parfois comme le DP Mark I.

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    1. Dans l'ensemble, ça sonne plus cru, plus rugueux que le Mark I.
      Effectivement, il y a (forcément) une tonalité qui peut sembler datée. Mais c'est un peu comme l'odeur d'un vieux fauteuil ou d'un vieux blouson en cuir, de vieux meubles en bois : ça dégage un doux parfum certes qui trahit l'âge, mais qui charme les sens 😊

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