vendredi 28 juin 2024

PALE RIDER de Clint Eastwood (1985) par Luc B.

PALE RIDER est le troisième des quatre westerns réalisés par Clint Eastwood. Quatre, sur une cinquantaine de films abordant tous les styles. Pourtant, on persiste à ne voir en lui qu'un cowboy taiseux mastiquant son cigarillo. C’est ainsi que le film avait été reçu à Cannes, en 1985. En conférence de presse, un journaliste avait posé cette question : « Comment pouvez-vous être considéré comme l’auteur de ce film sans en avoir écrit ni le scénario ni les dialogues ? ».

Le Clint était resté souriant et courtois, mais on aurait adoré qu'il se lève pour balancer une mandale au malotru ! Ce n’est pas parce qu’un réalisateur n’est pas crédité au générique comme scénariste (aux US bien souvent pour des raisons syndicales, contractuelles) qu’il ne travaille pas à l’écriture du film. Aurait-on osé poser la même question à Hitchcock ou John Ford, à Spielberg ou Ken Loach ? Eastwood est réalisateur, producteur et interprète principal de ses films (même s'il n’apparaît pas dans certains, BIRD, MYSTIC RIVER...). Pensait-on vraiment qu'il se contentait de filmer des scripts écrits par d'autres ? Les critiques d’alors lui faisaient payer sa présence en sélection officielle, le sulfureux Dirty Harry n’avait rien à faire sur le prestigieux tapis rouge foulé par l'élite du cinéma d'auteur.    

Balayons d’un revers de main ces réflexions de jean-foutre. Moi, j’aime beaucoup ce film, à la croisée du western classique et du néo-western à la sauce Peckinpah ou Leone. La trame ressemble à deux autres westerns d’Eastwood, L’HOMME DES HAUTES PLAINES (1973) et IMPITOYABLE (1992, chef d’œuvre), avec le thème de l'homme providentiel qui vient remettre de l’ordre là où règnent chaos et corruption. Autrement dit, le sujet de L’HOMME DES VALLÉES PERDUES (1953), le classique de George Stevens, (« Shane ! ») creuset d’innombrables westerns, une référence aussi pour Sergio Leone. On est donc dans la relecture du western classique, le gamin Jacky est ici remplacé par la jeune Megan, les fermiers sont devenus des chercheurs d’or. Et comme dans IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST, il s’agit de la lutte de petits propriétaires contre un puissant conglomérat.  

Il y a une différence de taille avec le vengeur de L’HOMME DES HAUTES PLAINES (qui sort quand l'Amérique est encore embourbée au Vietnam). Le tueur y était payé par des notables corrompus (y compris en nature) pour exécuter la besogne, il profitait de son statut de nouveau héros pour prendre le pouvoir, agir en  dictateur, mettant les habitants de la ville devant leurs propres contradictions, et laissait en partant chaos et désolation. Le film montrait comment la violence et les armes pour régir une société amènent au fascisme. Dans PALE RIDER (qui sort sous le mandat d'un Reagan triomphant) le héros providentiel œuvre par humanité, justice, il ne cesse de recommander aux mineurs de s’unir, rester solidaires, seul moyen de vaincre le mal incarné par Coy Lahood. Grand thème eastwoodien, et creuset de ses opinions politiques (controversées) : l'individu ne doit rien attendre de l'Etat et des autorités, il doit rester libre de penser et d'agir par lui même. Le héros eastwoodien est un homme seul qui ne doit ni n'attend rien des autres, mais répond présent quand il s'agit de lutter contre l'injustice et les inégalités.

Coy Lahood a crée une ville qui porte son nom. Il gère une société minière qui creuse la montagne à la recherche d’or, utilisant l’extraction hydraulique. Des moyens industriels qui dévastent la nature. Impressionnantes scènes où les lances crachent des tonnes de flotte.  Lahood veut se débarrasser de petits prospecteurs qui travaillent en contre bas de la rivière en les tyrannisant. Le film s’ouvre sur un montage alterné des sbires de Lahood déboulant au galop (ça rappelle LES 40 TUEURS de Fuller) et de la vie prospère des chercheurs d’or. La destruction du camp est filmée avec de rapides panoramiques qui s’entrecroisent, caméra épaule, c’est la panique, violence gratuite, ils tuent une vache, un chien. La jeune Megan Wheeler prie le ciel que Dieu leur vienne en aide. Et comme la vie est bien faite au cinéma, Dieu arrive sur son cheval blanc, 1m93, yeux plissés et barbe de trois jours.

L’apparition du cavalier est superbe. Les mecs de Lahood sont en train de corriger Hull Barret à coups de manche de pioche, qui a eu le tort de venir s’approvisionner en ville. L’un d’eux remarque au loin un cavalier, de profil, à l’entrée de la ville. Mirage ou réelle vision ? Il y regarde de plus près, mais le cavalier n’est plus là. Le temps de se demander s’il a rêvé, le cavalier se matérialise derrière lui, balance un baquet de flotte (« On ne s'amuse pas avec les allumettes ») et commence à bastonner. Eastwood filme le combat avec une certaine dérision (il commençait dans ces années-là à se moquer de son statut de héros), avec passes de nunchaku et bâtons qui voltigent.

Hull Barret revient au campement avec le cavalier, qui intègre la communauté (autre thème eastwoodien, voire JOSEY WALES). Scène fameuse lorsqu’il arrive à dîner chez Barret, lavé, dépoussiéré, habillé d'un col blanc d’ecclésiastique : il est pasteur ! On l’appellera désormais « Preacher ». Un habit et un sacerdoce qui n’empêcheront pas Sarah et Megan Wheeler de craquer sur lui. Le héros suinte la sexualité, ce qui ouvre une dimension intéressante, la fillette est prête à lui offrir sa virginité (il déclinera dans une jolie scène dialoguée) et jalouse sa mère qu’elle sait aussi attirée par lui.

Le statut d’ecclésiastique du personnage laisse perplexe. Il oublie le bénédicité à table, se bat comme un pro. Lorsque Barret lui avoue vivre dans le péché et attendre que Sarah daigne l’épouser, le Preacher ne lui fait pas la morale mais rétorque : « Quand on attend qu’une femme se décide, ça peut être long… ». Et ne se privera pas d'accepter les avances libidineuses de Sarah... Après avoir corrigé un colosse (Richard Kiel, la mâchoire d’acier de MOONRAKER) à coup de marteau dans les couilles, et fusillé d’un regard noir le fils Lahood (Chris Penn) qui menaçait de dégainer - regard surligné par un léger zoom avant comme en utilisait Leone - un des mineurs maugrée : « Pasteur, lui ? Mon cul ! »


Le mystère qui entoure le cavalier blême, s’épaissit lors de la rencontre avec Coy Lahood, qui tente de le corrompre. Le Preacher répond « on ne peut pas servir Dieu et l’argent ». Lahood menace de faire appel au shériff Stockburn. Quand celui-ci débarque en ville avec ses six adjoints (I shot the sherrif and I'll shoot the deputy !) il lui semble reconnaître l'homme dans le portrait que lui dresse Lahood, mais y'a un doute : « Je le croyais mort ». Le Preacher est-il un fantôme, un miraculé, un ressuscité parmi les morts ? Au début du film, un plan furtif permet de voir son dos criblé de cicatrices. Comment peut-on survivre à ça ? On notera que la disposition des impacts de balles correspond à ce que Stockburn se prendra lui-même dans le paletot. Plusieurs fois dans le film le Preacher semble apparaître et disparaître comme un spectre. La scène à la gare, et à l'épicerie, quand les tueurs de Lahood pensent en finir avec lui, ils ne défouraillent que sur un fauteuil vide. 

La question qui est ce gars se pose aussi pour le cinéaste Clint Eastwood, le même qui fait chialer les chaumières par ses sensibles mélodrames (SUR LA ROUTE DE MADISON) ou terrifie une population en menaçant : « La prochaine fois je viendrai massacrer vos gosses » (IMPITOYABLE).   

Stockburn et ses six adjoints, clones vêtus d’impers (clin d’œil à Leone ?) imposent leur autorité en tuant froidement le prospecteur Spider, qui avait eu la mauvaise idée de venir les provoquer. Pour le Preacher, il est temps de changer de braquet. Eastwood filme la scène à la banque sans dialogue, une clé, un coffre, une boite, raccord avec un axe vertical, à l’intérieur de la boite il prend un revolver et y dépose à la place le col blanc de son costume. Tout est dit, à l’économie.

Car la mise en scène est froide, clinique, presque abstraite parfois, à l’opposé de L’HOMME DES HAUTES PLAINES ou IMPITOYABLE, crépusculaires et noirs. Ici tout se joue en plein jour, dans une nature inhospitalière, enneigée. Très beau plan de la montagne en arrière-plan dans le prolongement de la rue centrale. Le règlement de compte final est lui aussi minimaliste, silencieux (très peu de musique dans le film), et là encore le Preacher semble disparaître entre deux coups de feu puis surgir ailleurs. Sa présence est matérialisée par son chapeau posé au milieu de la rue (image malicieuse, à la Leone), quand il le récupère, le plan est filmé en longue focale, la main sur le chapeau au premier plan et Stockburn tout au fond de l’image, un cadrage très spaghetti.

PALE RIDER n’est pas le plus aimé des westerns d’Eastwood, il est pourtant très intéressant. Pour le dépouillement de sa mise scène, toute en ligne claire (les six adjoints identiques, les quelques travellings latéraux très sobres), la magnifique photographie en clair-obscur dans les scènes d'intérieur, où juste quelques morceaux de visages percent l’obscurité, pour son regard en filigrane sur une Amérique avide d’argent, de pouvoir obtenu par la corruption, où les plus démunis sont spoliés de leurs droits (scène avec Coy Lahood). 

Ce Eastwood ne fait pas exception sur un point : tout le casting jusqu'au moindre petit rôle est parfait, aucune prouesse tape à l'oeil, interprétation zéro-déchet. Le film exalte, mais sans aucun lyrisme, des valeurs humanistes, de solidarité, dignité. Et n’est pas dénué d’humour (quelques sacrées répliques), empreint de mysticisme, de fantastique, à l’image du dernier plan où le Preacher filmé de loin, sa mission accomplie, semble encore une fois disparaître et se fondre dans un panorama grandiose.

couleur  -  1h55  -  scope 1:2.35

Une bande annonce (l'horrible musique n'est évidemment pas celle entendue dans le film) et la première scène de la baston.

3 commentaires:

  1. Shuffle Master.28/6/24 08:33

    Les westerns d'Eastwood sont typiques des années 80, époque où, culturellement tout prend l'eau. Films mégalos, avec messianisme pour ploucs du Midwest, mysticisme Walmart, premier degré, esthétique clips MTV, mâtinés de personnages outranciers et de situations glauques typiques des navets italiens. Je ne peux pas regarder ça plus d'une demi-heure. Alors que je saute sur les Dirty Harry dès qu'ils repassent. Du moins les premiers.

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  2. A mon sens, cet excellent film recentre avec maestria tous les clichés du genre. Cependant, plutôt que d'en faire un patchwork débile, il les a utilisés avec parcimonies et sobriétés, en jouant avec, amenant son western à une hauteur qui aurait pu échapper à bien d'autres. Il rend effectivement de nombreux hommages à Sergio Leone (comme pour payer ses dettes à l'homme grâce à qui il a pu prendre son envol), mais il y a aussi un bel hommage à la beauté d'une nature qui échappe encore à la cupidité du genre humain. (parfois, ce serait presque un plaidoyé à l'écologie.

    Le genre humain... on remarque d'ailleurs que les gros méchants du film ne sont que des pauvres types, des caricatures d'ignobles lâches. En effet, aucun n'est capable d'aller se mesurer seul à qui que ce soit, encore moins à main nue (comme justement cette scène où une demi-douzaine de malfrats est obligée de s'armer de manche de pioche pour brutaliser un pauvre gars à l'allure de doux agneau). Le seul est le géant (Richard Kiel) qui s'avère finalement être une personne avec des principes.
    De mémoire, Pale Rider avait déçu une frange d'un public qui espérait un nouveau Leone ou un Dirty Harry au Far-West. Bref, c'était trop cérébral et ça manquait de flingues 😂
    Très bon Eastwood.

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  3. Il y a effectivement un aspect écologique dans ce film, les images de la montagne creusée par les lances à eau, qui mettent presque à nu les racines des arbres, ne sont pas anodines.

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