jeudi 27 juin 2024

JOHN "COUGAR" MELLENCAMP par Benjamin

« La vision est la conquête de la vie, on voit toujours, plus ou moins, comme on est. Le monde est plein d’aveugles aux yeux ouverts sous les taies grises qu’ils saisissent. » Adrés Suarez

Ces taies grises sont faites de plusieurs sortes de tissus , tristes textures opaques. Il y’a bien sûr la culture, cette dame autrefois respectable que l’on prostitue dans tous les lupanars d’une culture mercantile. Ces « œuvres » viennent du Japon ou de Corée, d’Espagne ou d’Amérique, elles arrivent de partout pour masquer qu’elles ne viennent de nulle part. Un cauchemar né sous nos yeux, celui d’un monde où toute trace de culture véritable sera remplacée par un marché du divertissement abrutissant et globalisé. Certains nomment ça l’univers McDonald, d’autres l’avènement du nutellhomme, l’humain devient ainsi un produit standardisé et son univers un décor aseptisé.

Alors, quand tout principe se sera effondré, lorsque plus personne ne lira les leçons des temps passés, l’esprit humain étouffera sous les emportements de ses passions tristes. Les prémices de cette ère sont déjà visibles dans la littérature de nos librairies, dont les intitulés célèbrent plus les « minorités oppressées » qu’ils ne parlent de littérature. N’oublions pas nos chères chansons populaires, dont la bêtise, la vulgarité et la niaiserie semblent incarner la décadence du genre humain. Du côté de la littérature, Bukowski raillait déjà les écrivaillons sans histoire, conchiait ces gens que le narcissisme poussait à écrire avant d’avoir vécu. Par « avoir  vécu», il faudrait comprendre avoir suffisamment lu, aimé, souffert , pour avancer la tête pleine de souvenirs, l’âme pleine de rêve et le cœur chargé de passions brûlantes.

La culture étant devenue une industrie sans principes, de plus en plus de ses œuvres sentent le renfermé, quand elles n’ont pas l’allure bancale de ce que l’on tente maladroitement de réaliser. Il ne faut pas essayer disait le vieux Buk, il faut créer lorsque la création devient un acte aussi vital que naturel. 

Le paradoxe est entièrement contenu dans cette leçon, qui explique que, pour produire quoi que ce soit, il est aussi important d’accumuler les références que de s’en éloigner. Créer, c’est unir le vécu et l’appris, les préceptes des temps passés et les réactions dictées par notre caractère. C’est trouver sa voie en prolongeant celle des autres, c’est savoir savourer le présent grâce aux leçons du passé. L’art ne doit jamais devenir un cirque fait de bibliophiles austères et d’incultes narcissiques, mais le royaume de l’humanité épanouie.

La première difficulté de l’artiste, dans un monde où les cultures s’affadissent et se désagrègent, où l’urbanisme généralisé fait d’une métropole française la jumelle d’une allemande, où le gris du béton assombrit les esprits les plus optimistes, c’est bien de trouver à la création une source et un point de départ. Dans une société où les hommes sont comme des atomes isolés, cette source peut se trouver dans les joies et les peine d’une classe sociale n’ayant pas perdu toute son humanité.

[avec Pat Benatar] Ainsi naquit John Mellencamp, fier représentant de cette classe populaire laborieuse et fière. Assez discret sur sa vie en dehors de la scène, l’homme ne cacha pas ses années passées à exercer divers petits boulots dans l’Indiana. Certains soulignent d’ailleurs son travail de bûcheron, récitant ainsi le poncif voulant que les travaux physiques sont une souffrance dont certains parviennent heureusement à s’extraire.

Ce sont pourtant bien les efforts fournis par l’homme, même dans ses travaux les plus durs, qui dessinent son avenir et influencent sa culture. Le heavy blues anglais fut ainsi produit par des prolétaires, sa violence fut une réponse au chaos assourdissant des usines. John Mellencamp grandit dans les paysages boisés de l’Amérique profonde, forgea son caractère sur ces terres chargées d’histoire et de tradition. Puis le rock est arrivé, véritable raz de marée venu des villes et déferlant sur les campagnes. Mais ce rock était également nourri par la profondeur émotionnelle du blues et le charme léger de la country, porte-parole du vagabond noir et du paysan blanc. Ironie du sort, l’enfant de l’Amérique profonde devint d’abord la coqueluche du modernisme urbain.

Repéré par Tony Defrie, le manager de David Bowie, celui qui se renomma John "Cougar", grava deux albums anecdotiques avant d’offrir un tube à Pat Benatar. Ainsi commença la légende John Cougar sur les cœurs pompeux, les riffs proprets et le chant lisse de « I need a lover ». Les années 80 enfilaient leurs oripeaux sirupeux, que John Mellencamp parvint à porter avec une certaine allure. Dans la lignée de certains titres de Springsteen, il donna au rock un lyrisme festif, brillant croisement entre l’énergie rock de Chuck Berry et la tension dramatique d’un Roy Orbinson.

Il y eut également la régularité sacrée de ces rythmes aux racines plantées dans le blues, la force de guitares pas si lisses que ça. Sur un disque tel que « American fool » John Cougar donne au folk rock des Byrds une puissance digne du Crazy Horse de Neil Young, sans perdre la simplicité pop qui fit le succès du groupe de David Crosby. Ajoutant la beauté rustique de la country à la pop sentimentale des Heartbreakers de Tom Petty, « American fool » l’imposa comme le troisième roi du folk rock américain. Plus rationnel que Bruce Springsteen et plus grave que Tom PettyJohn Mellencamp ramena le folk rock à son rôle originel, celui de témoin des préoccupations du petit peuple et porte-parole de ses tourments. « We are the people » chante t-il sur un des plus grands titres du classique « The lonesome Jubilee ». Pour graver les préoccupations de ce peuple dans l’histoire, « The lonesome Jubilee » se fit plus direct que les albums précédents, son country folk décrivit les ravages du chômage et la tristesse d’un prolétariat désespéré.

A mesure que les eighties s’éloignaient, ce faiseur de tubes se dirigea vers une musique plus organique et directe. C’est que la profondeur des paroles annonça le retour à la tradition, la gravité des problèmes présents le poussa dans les bras de ses ancêtres musicaux. « Rain on a scarecrow, Blood on the plow, This land fed a nation, This land made me proud ». Si certains considèrent les démocrates, dont John Mellencamp partage les idées, comme un équivalent de la gauche française, la gauche américaine ne méprise ni son peuple ni sa terre.

[avec Bruce Springsteen] Ayant côtoyé ceux qui « nourrissaient la nation », John Cougar Mellencamp est bien loin de l’utopisme niais de notre gauche bourgeoise et citadine. Si je fais ainsi le parallèle entre ce représentant de l’Amérique profonde et la fange politique de notre pays, c’est que les grands esprits ont ce don de donner à leurs préoccupations une portée universelle. Quelques années plus tard, un vers de « Love and Hapiness » résonna puissamment avec la situation de notre triste France : « We kill the young to feed the old ». Voilà une phrase qu’aurait pu chanter tant de générations françaises à leurs ainés nourris par un système de retraite malsain. Il y eut également, disséminé dans le swing poussiéreux ou rutilant d’une discographie sans réel déchet, quelques surprises rafraichissantes. « Nothing matter and what if it did » son Darkness on the edge of town, s’ouvre ainsi sur un titre dont la puissance épique rappelle le heavy rock de Thin Lizzy. Mellencamp poussa également le bouchon du modernisme un peu trop loin, « Cuttin Head » le voyant se perdre dans cet oxymore infâme qu’est le rap rock. Trop s’éloigner de ses racines ne sert à rien, tous ceux qui s’y sont essayés en sont revenus la queue entre les jambes. C’est ainsi que, ajoutant la rusticité du bluegrass à son folk rock, John Cougar nous gratifia de grands disques tels que « Trouble no more », « Freedom road » et « Sad clown and hibillie ».

Depuis, le niveau de ses productions n’a plus baissé, son succès et l’effondrement de l’industrie du disque le laissant libre de prolonger la voie de cette musique fille d’une tradition presque centenaire. Son époque fut celle d’un peuple menacé par l’aliénation  moderniste et cosmopolite, il représenta la race presque disparue des artistes enracinés. « On voit toujours plus ou moins comme on est », l’œuvre de John Cougar Mellencamp était donc le témoin d’une vision populaire et humaniste comme il en existe de moins en moins. 

4 commentaires:

  1. Belle prose, bien qu'un poil réac et pompeuse. Quand la fin est imminente et que tout est foutu, autant se divertir.

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  2. Shuffle Master.27/6/24 08:48

    Mmouais... C'est quand il commence à virer roots (The Lonesome Jubilee, participation aux Farm Aids) que Mellencamp devient ennuyeux. Je n'écoute plus qu' American Fool et surtout Uh-Huh et Scarecrow, avec la paire de guitaristes Crane/Wanchic, qui valent largement la doublette Ronson/Wagner chez Lou Reed, en moins prolixes. Sur cette période, je le rapprocherais plus de Fogerty que de Springsteen (évidemment). Sur le reste, il faut se souvenir que les années 60 et 70 étalaient complaisamment une constante médiocrité. Et pour écouter autre chose, il fallait chercher. Mais c'était quand même moins vulgaire, effectivement. Quant aux incultes narcissiques, c'est sûr, ça pullule. Mais les bibliophiles austères sont à mon avis en voie de disparition.

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  3. Dans l'Art, la répétition, c'est la mort...

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  4. Tiens je partage pas trop l'avis de Shuffle , étonnant non ? C' est à la sortie de "Lonesome Jubilee" que j'ai commencé a vraiment m'interesser à la carrière de Mellencamp. Par la suite j'ai acquis tous ses opus , tout en reconnaissant que le niveau de ses productions est fluctuant . "The lonesomme Jubilee" est selon moi un disque quasiment parfait , au -dessus même de "Scarecrow" . Ses dernières productions sont dignes d'intérêt , même si le bonhomme semble un peu fatigué . '

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