mercredi 15 mai 2024

STRETCH " You Can't Beat Your Brain for Entertainment " (1976), by Bruno

 


   Dans la série des loosers magnifiques, un petit quatuor anglais, qui en dépit de trois disques magnifiques, n'a pas réussi à prendre son envol. Stretch est l'un de ces groupes que les amateurs de heavy-rock 70's gardent jalousement dans leur discothèque. Comme un bien précieux qui ne serait transmis qu'aux initiés ou simplement à ceux que l'on estime suffisamment méritants (suivant les critères de chacun 😁)

     Etonnant comme cette formation de Boogie-rock qui, bien qu'ayant eu son heure de gloire (toute relative), fut vite effacée des mémoires. A cela deux raisons. La première est que la presse a généralement relégué le groupe à un simple émule de Status-Quo ; affiliation réductrice absurde, probablement née d'un critique (à la bourre ?) n'ayant pas pris la peine d'écouter sérieusement le ou les disques en entier, et ensuite relayée sans vérification aucune. La seconde, et non des moindres, est que la formation a fait une erreur d'aiguillage temporel en se retrouvant à essayer de promouvoir sa musique en pleine explosion punk - où même la presse musicale nationale n'avait plus d'yeux et esgourdes que pour le punk, et accessoirement le pub-rock, laissant alors peu d'espace aux autres genres musicaux, sinon pour les démonter. Pour une majorité de critiques britanniques, tout ce qui pouvait s'apparenter à la musique des "dinosaures" - de Led Zep à Pink Floyd - faisait partie d'un passé révolu.  

     (En aparté, le boogie-rock lorgnant vers le Hard Rock n'est pas l'apanage de Status Quo, même s'il en a été le chantre en Europe des années 1973 à 1981. Certainement grâce à ses refrains aux inflexions pop, et bien aidé aussi par un soutien longtemps indéfectible des radios. Et puis le Quo n'a pas débuté avec ce style de musique. Ce qui n'enlève rien à la haute teneur de certains de ses albums qui demeurent des classiques incontournables). 


   Effectivement, si l'on s'en tient aux «
That's the Way The Wind Blows», « Hold On », « Love Got a Hold on Me" de cet album, l'affiliation est évidente, mais le reste de l'opus en est éloigné. Ce qui en fait une association minoritaire. Mais même ces trois morceaux flirtent déjà plus sincèrement avec le hard-rock ou un heavy-dirty-blues qu'avec le quatuor de Francis Rossi & Rick Parfitt. Déjà, il y a
 la voix de fumeur invétéré se rinçant la bouche à la gnôle d'Elmer Gantry rocailleuse à souhait, aux inflexions fortement influencées par le blues, qui impose son propre sceau. Et puis la guitare de Kirby, certes moins sautillante que celle de Francis, varie plus les plaisirs, passant aisément de l'acoustique hérité du country-blues à des tonalités plus lourdes et rugueuses pouvant évoquer celle de Mick Ralphs (celui de l'époque de Mott the Hoople et des premiers Bad Company).

     Rien que l'entrée en matière, "Fixin' To Die", frappe plutôt dans un country-blues superficiellement électrifié. Une réinterprétation plus enjouée du "Fixin' to Die" de Bukka WhiteLe premier mouvement est intégralement acoustique, le renfort de l'électricité n'arrivant qu'au troisième mouvement, restant alors en retrait par rapport à la voix, bien sûr, mais aussi à la slide en acoustique de Kirby (probablement jouée sur un Dobro). Pièce d'ouverture qui n'aurait pas dépareillé le « Beg, Borrow & Steel » (1996) de Gwyn Ashton

   Blues toujours, avec le paresseux "Put Your Hands Up", traîné à sa suite par la slide (écumant désormais de saturation rouillée) de Kirby, et qui passe vite la quatrième pour bouffer l'asphalte sur des airs de boogie à faire saliver les premiers ZZ-Top et Foghat (parfois la slide évoque même feu-Pete Wells de Rose Tattoo). Blues encore (et seconde et dernière reprise) avec en clôture le beau "Feelin' Sad" d'Eddie "Guitar Slim" Jones. Slow-blues à la structure des plus classiques mais illuminé par la voix enfumée de Gantry, idéale pour ce registre. Comme le clame Gantry dans "If the Cap Fits" : "il chante le Blues". Mais pas que... Sur "If the Cap Fits" d'ailleurs, l'influence de Bad Company, et plus précisément de Mick Ralphs, surgit de la guitare de Kirby. Alors que pour "Can't Get Enough", ce serait plutôt l'influence des Rolling Stones qui pointerait son nez.


   Et qu'en est-il de "
The Way Life Is" ? Sombre hard-blues entrecoupé d'instants aux senteurs de sidérurgie implantée en Jamaïque, zébré de beaux chorus évoquant quasiment le travail de Gary Moore pour Thin Lizzy. "Il se tient dans la rue, sans un centime en poche. Les gens l'ignorent et disent qu'il est seul responsable, mais savent-ils ce que c'est que de tout perdre ? Ils veulent seulement te connaître quand tu gagnes. Il était si fier de sa philosophie... et maintenant tu le vois baisser la tête car il a découvert comment est la vie". Et de "Hold Up the Light", qui alterne entre coups de butoir de Gibson Les Paul et accalmies pré-orageuses ? 

     Rien à jeter dans cet album de dix pièces, et pourtant, en dépit d'un succès d'estime pour ce second disque, injustement Stretch continue de galérer. Possible qu'avec un réel soutien du label et une tournée aux USA et au Canada, le groupe aurait eu plus de chance de trouver un public plus réceptif - ce style ayant alors encore suffisamment d'amateurs pour que le courant perdure (avant que les majors décident de faire plier leurs groupes vers une orientation plus radio-friendly). Peut-être. D'ailleurs, l'accueil que le groupe reçu lors de la tournée effectuée en ouverture du Rainbow de mister Blackmore, fut chaleureux - pour ne pas dire plus - ; les critiques elles-mêmes saluant la qualité des prestations. L'album suivant, "Lifeblood", n'y change rien, confirmant son statut "d'intrus", d'anomalie du passé, en restant dans les grandes lignes, bien ancré un heavy-blues-rock (à l'exception de "End Up Crying", le premier morceau draguant le soft-Rock West-coast). Par ailleurs, on y cherchera bien ce qui pourrait justifier l'encombrante étiquette d'émule de "Status Quo" sans rien trouver ; sauf si on considère que tous les groupes de Blues-rock des années à venir n'en sont que la progéniture...  

  Le chanteur et guitariste, Elmer Gantry, pilier du groupe et principal compositeur avec Kirby, à cause d'un profond désaccord de direction musicale avec Kirby, jette l'éponge après le troisième essai. Les restants tentent bien de maintenir le vaisseau à flot, mais le quatrième disque n'a plus grand chose à voir avec ses prédécesseurs. Le groupe, franchement ramolli, est méconnaissable, tournant le dos au Blues et au Heavy-boogie pour embrasser une sorte de soft-rock aux allures de gelée anglaise. Rejeté, il est parfois carrément absent de certaines discographies, estimant que Stretch s'arrête avec le départ de Gantry. Il est vrai que son écoute s'avère pénible. On s'étonne même d'y retrouver Nicko McBrain, venu à la rescousse finir les derniers morceaux, en remplacement de Jeff Rich démissionnaire. Ce même Jeff Rich qui va intégrer le fameux Status Quo en 1985, pour y rester jusqu'à la retraite (la sienne, pas celle du Quo). L'intégration de Rich au sein du Quo ne va faire qu'entériner - bêtement, ou plutôt par méconnaissance - des critiques postérieures quant à l'affiliation de "Stretch, élève du Quo".

     Quel dommage que Repertoire Records n'ait pris la peine d'effectuer une remasterisation que pour la compilation "The Best of Stretch - Why Did You Do It" de 2007.




🎼💽
Articles liés (liens) : 👉   Elmer Gantry's Velvet Opera (1968)  👉  STRETCH " Elastique " (1975)

6 commentaires:

  1. Shuffle Master.16/5/24 08:37

    Le type s'appelle vraiment Elmer Gantry? Patronyme pas facile à porter (titre en français du film: Le Charlatan).

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    1. Oui, il s'appelle bien Elmer Gantry... mais, seulement pour la scène 😊
      Son nom de naissance est Dave Terry. Il a forcément choisi ce patronyme en hommage au personnage du roman "Elmer Gantry".
      Ou du film du même nom, avec Burt Lancaster.

      [ fallait lire la bafouille du premier disque : "Elastique" - dans les petits liens, sous les vidéos ]

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    2. Shuffle Master.17/5/24 11:31

      Mea culpa. Je vais écouter un Springsteen en pénitence.

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    3. Je me disais bien qu'un musicos nommé Elmer Gantry avait déjà été évoqué ici... mais j'ai pas osé poser la question. Shuffle, un conseil pour ta pénitence ? (logiquement tu répondrais : non, n'importe lequel fera l'affaire !)

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    4. Shuffle Master.17/5/24 17:55

      Adam raised a Cain. Parce que je le trouve pas mal. Si, si...

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  2. Une seule chanson en pénitence ? C'est d'l'arnaque. Petit joueur 🤣
    C'est au moins un album complet ! "Born in the USA" ou "Darkness"

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