vendredi 5 janvier 2024

WINTER BREAK d'Alexander Payne (2023) par Luc B.

Alexander Payne est sans doute le metteur en scène américain le plus discret, qui ne paie pas de mine, qui disait non sans malice que lorsqu’un de ses films sortait on était obligé de préciser sur l’affiche "par le réalisateur de…". Que l'histoire retienne son nom, il s'en fout d'ailleurs un peu. 

S’il veut se faire discret, c’est raté, tant ses films raflent des récompenses : MR SMITH (meilleur scénario et Golden Globes pour Jack Nicholson), le récent NEBRASKA (et boum, Palme d’or pour Bruce Dern), SIDEWAYS (oscar pour le scénar), THE DESCENDANTS (oscar scénar, Golden Globes pour le film et son acteur George Clooney). Et à mon avis, pour son dernier film, les statuettes devraient pleuvoir aussi…

L’action se passe en 1970, à Noël, dans un lycée huppé de la Nouvelle Angleterre. Paul Hunham y est prof d’histoire antique, vieux célibataire misanthrope et ronchon, détesté d’à peu près tout le monde, philosophe à sa manière (« La vie est comme une échelle de poulailler, courte et pleine de merde » tout de même mieux que le « la vie c'est comme une boite de chocolat » du producteur de crevettes). Son directeur l’assigne à résidence pendant les congés scolaires pour surveiller des élèves qui ne rejoignent pas leurs familles. Cinq gamins au départ, tête à claques, odieux, rejetons de la classe dominante. Mais il n’en restera qu’un : Angus Tully. Et puis il y a Mary, la cuisinière, qui se console dans le whisky de la perte de son fils au Vietnam.

Trois personnages à qui il manque quelqu'un, un fils, un père, une femme, qui on s’en doute un peu vont se découvrir, s’apprécier, récréer une famille le temps de quelques heures. C’est moins l’épilogue qui compte dans ce film, que le parcours pour y parvenir. WINTER BREAK est un bijou d’écriture (pour une fois, Payne n’y est pas scénariste, mais David Hemingson) et la mise en scène d’une justesse magnifique. Il n’y a pas un plan de trop, tout est dit est montré avec intelligence et économie. 

Comme lorsque Mary, qui a perdu son fils, arrive chez sa soeur enceinte jusqu'aux dents. Juste un échange de regard, elles se prennent les mains, c'est tout, et on frémit. Ou la scène de fête chez Lydia Crane (la secrétaire du lycée) qui, croit-on, en pince pour Paul. Lui le pense aussi. On sonne à la porte, elle se lève accueillir le nouvel invité, qu'elle embrasse sur la bouche. Encore une fois, pas un mot, et tout est dit. La caméra n'a pas coupé, un simple changement d'axe a permis de voir, et le baiser à l'arrière plan et la réaction de Paul, résigné.

Si le film commence entre quatre murs, ce n’est pas un huis clos théâtral. Comme dans SIDEWAYS ou NEBRASKA, on n’est pas loin du road movie. Par une succession de circonstances, le trio va quitter le lycée, pour une fête de noël, un passage à l’hôpital, et une virée à Boston (ils vont voir Little Big Man au cinéma). Une sorte de virée initiatique, tendre et cocasse. Comme dans la géniale scène au restaurant où on refuse de servir un dessert flambé au cognac à Angus au prétexte qu’il est encore mineur. Paul hurle au fascisme ! Mary, pragmatique, demande un doggy-bag avec les ingrédients, et c’est dehors, sur le capot d’une voiture, qu’ils feront flamber le gâteau au Jim Beam* ! On a l'impression que toute la matière du film est concentrée dans ce plan, drôle et d'une tristesse infinie.

Il y a aussi une excellente scène au bowling où Paul explique à un Père Noël éméché, accoudé au bar, l'origine historique de Saint Nicolas. Faut voir la gueule du type après le laïus ! Où quand Paul croise un collègue à la carrière plus prestigieuse, et qu’Angus pour masquer la gène de son prof, lui invente une destinée d’auteur (un traité sur les caméras antiques !).

Si Paul Hunham ne peut s’empêcher de sortir sa science, ce n'est pas par arrogance ou mépris, mais simplement parce que c’est toute sa vie. Sa passion, son métier, il n’a que ça. Quand Mary lui demandera à la fin où il compte aller s’il n’enseigne plus, il répond : à Carthage. Mary acquiesce : « ça ne m’étonne pas, et ça me rassure ! ». Pour ses compagnons d'infortune, Paul a préparé deux cadeaux, les mêmes : « Pensées pour moi-même » de Marc Aurèle ! Le film parvient à un équilibre subtil, être drôle et émouvant parfois dans un même plan.

Cette déambulation dans les 70’s est un pur bonheur, on pense un peu à LICORICE PIZZA de Paul Thomas Anderson pour l'authenticité de la reconstitution, l'esprit 70's. WINTER BREAK gagne en émotion et en subtilités au fur et à mesure de l’intrigue, un récit aussi attachant que ses trois protagonistes merveilleusement interprétés (mention pour Paul Giamatti). Un film aux dialogues impeccables, où rien n’est surligné, jamais pathos. Cette même histoire filmée par un autre (un Ron Howard ?) et en imaginant un Robin Williams dans le rôle, aurait été insupportable de mélo et de violons lyriques et pleurnichards. Suivez mon regard, on est loin du très démonstratif CERCLE DES POÈTES DISPARUS

De toutes façons, un film où on entend « In memory of Elizabeth Reed » des Allman’s Brothers ne pouvait pas être mauvais.  

Il faut courir voir ce film, au cinéma, car il y a un beau travail sur l’image, qui recrée le grain des films des années 70. Même le générique reprend les anciens logos, la pellicule rayée et le format 1:1.66 de l’époque. La bande annonce (et sa grosse voix à la con) ne parvient pas à retranscrire le charme et l’intelligence du film, elle est bêtement recadrée en 1:1.85, avec le "Glad" de Steve Winwood pourtant absent du film !

* Bourbon du Kentucky, dont le personnage est très friand (ça picole sec dans le film).  


Couleur  -  2h15  -  format 1:1.66  


14 commentaires:

  1. Shuffle Master.6/1/24 16:33

    Ah, c'est pour moi ça, ça coche toutes les cases: les années 70, le Jim Beam (Janis Joplin ,c'est pas le Southern Comfort, plutôt? C'est d'ailleurs infect.....), la détestation du Cercle des ....., et évidemment, In Memory of Elisabeth Reed, dont je rappelle qu'il a été composé par Dickey Betts.

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    1. Tout à fait, SM : c'est bien le Southern Comfort qui était la boisson de prédilection de miss Joplin.
      Jim Beam, ce serait pour Rob Tognoni qui a composé "Jim Beam Blues" (qui est plutôt un boogie appuyé, entre Status Quo et AC/DC)

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  2. Shuffle Master6/1/24 16:36

    Si JP Guillet passe par là, les Allman brothers devant l'attirer comme une mouche sur du miel, j'ai une question: où se procurer le CD d'Eddie Roberts ans the Lucky Strokes, qu'il doit connaître?

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    1. Eddie Roberts & The Lucky Strokes ?? D'où ça sort ? Superbe section rythmique ! Avec une batteuse qui jouerait presque aussi bien que Matt Atbs. Incredibeule 😳. Superbe voix enfumée du chanteur qui fait des merveilles sur une reprise de "Feelin' Alright" et "Hush" (j'ai dû baisser le son... le volume a dû contrarier le voisinage et j'ai vu une voiture de gendarmerie passer... m'enfin ).
      Apparemment, leur disque est totalement immergé dans un substrat de musique 70's, jusqu'au grain. Très intéressant.

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    2. Shuffle Master.6/1/24 20:17

      Je veux! J'ai vu la chronique sur Soul Bag. ET Jim Beam "sponsorisait" Lynyrd Skynyrd à une époque (post crash): on trouve des vidéos avec des fûts de bourbon devant la batterie, le bon goût sudiste, quoi.... @ Luc B.: tu ne serais pas de Rennes par hasard? Il y a un type qui vend une Yamaha maple custom absolute qui me fait de l’œil......

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    3. Le CD en question n'étant pas à ma connaissance encore sorti , prévu fin janvier , donc pour l'instant .....sous réserve qu'il soit un tant soit peu distribué en France . Ceci dit je l'ai repéré en précommande sur I Music un site de vente basé au Danemark. . Un nouveau groupe assez réjouissant , toujours bon à prendre par les temps qui courent!
      PS : pour les nostalgiques du son Allman , le dernier Duane Betts "Wild and Precious Life" est une réussite dans la lignée du papa et du précédent Allman Betts Band "Bless your Heart" un must .

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    4. Shuffle Master.7/1/24 15:05

      Tu le trouves bien, toi, le Betts...? Le fiston infirme (sic...) la devise "Bon sang ne saurait mentir". Le CD ne casse pas trois pattes à un alligator, c'est fadasse à souhait. Sur le plan guitare idem. Contrairement à ce que j'ai pu dire, Devon Allman est bien meilleur. Et il chante.

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    5. J'ai trouvé Color Red Sound. Apparemment, le label du quatuor en question, où on peut commander.

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    6. Je le trouve pas mal oui, même si je préfère Devon Allman , là je suis d'accord avec toi , il est un bon niveau au dessus de son compère. Supérieur pour la voix mais aussi pour la gratte . Il y a quelques années j'ai vu plusieurs fois le Royal Southern Brotherhood au sein duquel il officiait avec un autre fin bretteur Mike Zito que j'aime aussi beaucoup.

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  3. Non, la Yamaha ne vient pas de chez moi, loin de Rennes ! J'ai effectivement confondu Jim Beam et Southern Comfort. C'est impardonnable, j'ai corrigé, et m'engage à ne boire que le la Cristalline pendant une journée.

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    1. Shuffle Master.7/1/24 15:07

      Haro sur le January dry, la haire et le cilice version WASP/bobo/woke.

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    2. Ouais, et avec la frangipane, on boit quoi ? Du thé ? La galette est au chaud, la bière au frigo et le rhum est ouvert. Skål !
      (Il n'y a plus qu'à attendre les retardataires... J'vais commencer sans eux et prendre de l'avance 😁👍)
      Bientôt, on va décréter des jours pour faire crac-crac 😮
      Déjà que j'aime pas prendre les congés en même temps que tout l'monde....

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  4. J'étais venu dire un mot sur Alexander Payne, dont je connaissais tout juste le nom, alors que j'ai vu et trouvé plutôt bons voire plus les films que tu cites, avec mention particulière pour "Nebraska" ... Discret est bien le mot pour le définir ...
    Et voilà que je tombe sur une discussion sur les foutus frères Allman et leur tribu, leurs enfants, oncles et tantes, cousins, neveux and so on ... Bon, c'est la trêve des confiseurs, pas de commentaire désobligeant donc ...

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  5. Désolé Lester, ça a dérapé, je ne contrôle plus rien, dire que tout cela est arrivé à cause d'une bouteille de Jim Beam...

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