vendredi 12 janvier 2024

PRISCILLA de Sofia Coppola (2024) par Luc B.

Dans la famille Presley, après Elvis, je demande Priscilla.

En voilà une bonne idée de s’attaquer au King par la face nord. Sofia Coppola est dans son élément, c’était un sujet pour elle, qui traque les émotions des jeunes filles paumées à longueur de films. Remplacez l’héroïne de PRISCILLA, mariée très jeune au roi du rock, enfermée à Graceland, avec sa cour, par l’héroïne de MARIE ANTOINETTE (2006) mariée très jeune au roi de France, enfermée à Versailles avec sa cour… et vous avez le même film !

Comme dans VIRGIN SUICIDES (1999) ou le remake de LES PROIES (2017), la réalisatrice filme des héroïnes en captivité, des jeunes filles qui cherchent à s’émanciper, en recherche d’un monde idéalisé comme dans THE BLING RING (2013). Sur cet aspect, Sofia Coppola trace son sillon, et on ne peut pas lui en vouloir.

Rappel des faits. En 1959 Elvis Presley part en Allemagne pour son service militaire. Il y rencontre la fille d’un officier, Priscilla Beaulieu. Elle a 14 ans. Quand Elvis la voit, il lui dit : « Tu es un bébé ! » ce qui ne l’empêche pas de la faire monter dans sa chambre, en tout bien tout honneur. Les deux mômes sont déracinés, n’ont pas demandé à être là, ils se revoient souvent, promis juré, je la ramène à 22 heures. Les parents de Priscilla s’inquiètent un peu de cette relation, mais le jeune Presley (il a 23 ans) est un gars gentil, prévenant et bon chrétien.

En 1960, Presley revient aux USA, entame une carrière au cinéma. Priscilla attend de recevoir le coup de téléphone qui arrivera en 1962 : une invitation à venir à Graceland. Les parents cèdent encore une fois, Priscilla sera chaperonnée, ira dans le meilleur lycée. Les relations entre Elvis et Priscilla restent chastes, au grand désespoir de l’ado. C’est Elvis qui décidera quand ils consumeront charnellement leur union (en 1967, le mariage), d’ailleurs il décide de tout, jusqu’à la couleur du vernis à ongle. Il enferme sa fiancée dans un château doré pendant qu’il part en tournée, en tournage, et elle suit par presse interposée les frasques de son homme (Nancy Sinatra, Ann Margret pour les plus célèbres).

Sofia Coppola réussit à rendre à l’image l’isolement de Priscilla, elle la filme dans les grandes pièces vides de la maison, sermonnée par Vernon Presley lorsqu’elle cherche la compagnie des employées. Coppola montre le temps qui passe (le film est chronologique) et la répétition des journées par des montages d’inserts rapides (les journaux, pochettes de disques, ou les plateaux de petits déjeuners posés au sol et repris intacts par la domestique). Coppola montre sa vie de poupée Barbie dans une scène où, comme jetée dans l'arène, la gamine essaie des vêtements devant le maître de maison et sa bande de potes, elle filme ses changements de look, de coiffures, comme les premières prises de cachetons d’amphétamines.

On a l’impression qu’Elvis reproduit sur Priscilla le même schéma que le colonel Parker à son encontre, un façonnage en règle, tu marches ou tu crèves. Le colonel qui n’est présent dans le film qu’au téléphone, qui décide de tel scénario à lire, telle chanson à enregistrer, qui intime à son poulain d’arrêter de lire des bouquins de philo, de spiritualité (le grand dada du King vers 1964-65) pour éviter de trop avoir à réfléchir.

(<= les acteurs, en vrai...) Pourtant, il y a deux soucis dans ce PRISCILLA, et de taille (sic !). D’abord le physique des comédiens. Lui, Jacob Elordi, mesure presque 2m, et elle, Cailee Spaeny tout juste 1,50m. On voit bien l’idée d’un tel casting, montrer la domination de l’un sur l’autre. Le souci est que Priscilla a l’air d’avoir 12 ans tout du long (sauf les 10 dernières minutes) et comme ils passent beaucoup de temps au pieu, c’est assez malaisant. Et comme l'actrice (25 ans) est du genre plantureuse, ça ne colle pas non plus lorsqu'elle joue une ado. Lui, grand dadais maladroit qui ne sait pas quoi faire de ses jambes, comme James Stewart dans L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP, un comble pour Elvis le pelvis.

Autre souci, Sofia Coppola n’a pas eu accès au catalogue musical du chanteur, alors que Priscilla Presley est créditée comme productrice exécutive (le film est tiré de son bouquin de mémoires). On entend un vague « Love me tender » au piano et tempo ralenti, et un « Guitar man » issu du Comeback Spécial de 68. Le seul moment où on entend Elvis dans le film, il régale ses invités au piano avec le « Whole lotta shakin’ goin’ on » de Jerry Lee Lewis ! La musique du film est composée par Thomas Mars du groupe Phoenix (mari de miss Coppola) ou faites de reprises judicieusement choisies, Alice Coltrane, Frankie Avalon, Brenda Lee, Dolly Parton et son superbe « Always love you » sur le dernier plan. 

Là encore, c’est une façon de se démarquer, d’axer les choix musicaux sur la personnalité de Priscilla, c'est pas bête, mais tout de même… Imaginez un biopic d'Yvonne de Gaulle sans l'appel du 18 juin... Car l’autre souci (j’en ai pointé deux, y’en a trois) c’est que pour un film sur Priscilla Presley, le seul qui crève l’écran, c’est Elvis ! Il vampirise le film (comme il a vampirisé sa femme). Derrière chaque grand homme il y a une femme, dit l'adage. On la cherche, mais elle est bien cachée.

Sofia Coppola ne donne pas la parole à son personnage féminin. Que la vie de Priscilla Presley ait été frustrante et insipide, qu’elle se soit morfondue d’ennui à l’ombre de son héros, c’est une chose. Mais quelle voix lui donne la réalisatrice ? Où est son point de vue, celui des parents Beaulieu, de l’entourage ? Il y avait pourtant une belle matière. Quand Priscilla lui reproche ses conquêtes, Elvis s’agace et rétorque : « J’ai besoin d’une femme qui sache ce que c’est », sous-entendu, de vivre avec quelqu’un comme moi, une idole qui appartient à son public, et notamment féminin.

Il y avait la possibilité d’en tirer un grand film, qui inverserait le point de vue. Sofia Coppola intellectualise sans doute trop son propos, or le monde du rock n’est pas intellectuel, mais viscéral. La mise en scène est trop plate, joliment pop mais sans aspérités. Ça me rappelle le NAPOLEON de Ridley Scott, qui avait réussi l’exploit de faire un film pas très intéressant avec un sujet flamboyant.

La petite Priscilla rêvait du prince charmant et déchanta en arrivant au château. Le prince était un ogre. Elle voulait son homme pour elle toute seule, sauf que ce n’était pas possible. Alors elle s’ennuie. Sofia Coppola filme si bien l’ennui que c'est contagieux : l’ennui gagne aussi le spectateur.

(heureux hasard de l'actualité cinoche, sur un sujet similaire, on parlera la semaine prochaine de la femme du peintre Pierre Bonnard)


couleur  -  1h50  -  Format 1:1.85

 

9 commentaires:

  1. Priscilla Presley... mais pas trop fort quand même...
    Le "biopic" est un genre quasi inépuisable, surtout à notre époque où quiconque peut être "célèbre"...

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  2. Le biopic est au cinéma ce que la biographie est à la littérature, ou le portrait à la peinture... Vieux comme le monde. Et comme il y a des autobiographies, on voit parfois des "autobiopics", comme le dernier Michel Gondry, ou les films d'Alexandre Arcady, de Claude Berri, et bien sûr Truffaut.

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  3. Shufle Master.12/1/24 17:09

    Presley était un ogre, évidemment, mais surtout pour la junk food et la crème glacée.

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    1. Et les petits déjeuners de sandwiches à la banane cuits à la graisse. Vu y'a longtemps à la télé un doc sur sa cuisinière (qu'on voit dans le film) qui décrit par le menu (sic) les habitudes alimentaires d'Elvis. Instructif si on veut prendre 30 kilos en deux jours. Le logo nutri-score s'arrête à E. Pour Elvis l'alphabet n'aurait pas suffi.

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  4. On peut faire un biopic sur n'importe qui ... même sur Priscilla Presley, qui ne présente aucun intérêt, n'a eu aucune espèce d'importance ou d'influence sur la vie et l'œuvre de son Royal époux ... Ce n'est qu'une fois qu'il s'est endormi sur son trône qu'elle a fait parler d'elle en embauchant un bataillon d'avocats ... ah si, du vivant de l'Elvis, il paraît qu'elle se faisait sauter par le prof de karaté établi à demeure à Graceland ...

    Quant à Mme Mars, j'ai vraiment aimé d'elle que l'extraordinaire Lost in translation, les autres, farcis d'esthétisme bling-bling (ring?), ils sont assez pénibles sur la durée ... mais j'ai pas vu tout ce qu'elle a tourné ...

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  5. Le prof de karaté est évoqué, chastement, à demi mot (comme la veuve était productrice, j'imagine qu'il fallait lisser dans le sens du poil). "Priscilla Presley n'a eu aucune espèce d'importance ou d'influence sur la vie et l'œuvre de son Royal époux". C'est bien vrai. Voilà pourquoi le film patine, et que Sofia Coppola n'a pas grand chose à en dire. Et pourtant, quel beau sujet, dommage...

    "Lost in translation", pas revu depuis sa sortie, je crois que ça m'avait plu. Son "Marie Antoinette" était pas mal tout de même, mais "Virgin suicide" reste son meilleur. C'est con, c'est son premier ! Comme pourrait dire Shuffle, la môme est assez survendue.

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    1. Shuffle Master.12/1/24 20:54

      Lost in translation, c'est très bien, Lester a raison. Mais c'est surtout à cause de Bill Muray qui reprend un peu le m^me rôle dans Broken Flowers.

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    2. J'avais beaucoup aimé Broken Flower à l'époque, pas revu depuis. Y'avait Sharon Stone aussi dans un second rôle, elle était impeccable. Bill Murray est toujours excellent parce qu'il reprend toujours les mêmes rôles. Un copyright ambulant. Dans Mad Dog & Glory, que j'aime beaucoup aussi, ou n'importe quel Wes Anderson. On fait marcher la photocopieuse.

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    3. Shuffle Master.13/1/24 08:26

      Broken Flowers est en replay sur arte tv. Ou France tv.

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