Dans la famille des groupes maudits, il y a en a un qui détient le pompon. Un groupe qui malgré l'incroyable énergie déployée sur scène, une certaine originalité de ses disques d'alors et une pugnacité exemplaire, n'a jamais pu réellement percer. Du moins, durablement. Novateur dans une (relative) nouvelle approche musicale, il sera oublié (1) quand d'autres récolteront les fruits du succès.
Ce groupe, c'est Mother's Finest. C'est l'histoire d'une injustice. Ou peut-être simplement d'une entité trop novatrice pour son époque. C'est l'histoire d'un groupe multiracial qui ne faisait pas la différence entre la Soul d'Aretha Franklin, le rhythm'n'blues d'Ike et Tina Turner, le funk halluciné de Funkadelic, le Cosmic-blues d'Hendrix, le hard-blues de Led Zeppelin ou le heavy-rock débraillé d'Aerosmith. Tout ça, c'est de la musique. Point barre. Pour cette formation perdre son temps à compartimenter, à cloisonner la musique, relève de l'absurde.
Tout commence avec le chanteur Glenn Murdock, formé à la musique et au chant par sa mère. Dans les années soixante, à Chicago, il se forge à la scène en reprenant divers succès radio. Glenn est aussi réceptif à la Soul et au Rhythm'n'blues de ses "frères de couleur de peau" qu'à la musique des blancs-becs plutôt portés sur le rock (Beatles compris). Sa vie prend un tournant décisif lorsqu'il rencontre dans un club une jeune fille du nom de Joyce Kennedy. Une adolescente qui a déjà à son actif quelques 45 tours dont un tube régional à seize ans. Glenn tombe sous le charme de la force et de la présence de sa voix. La rencontre est primordiale. Glenn forme d'abord un duo avec la petite Joyce, jusqu'à une nouvelle rencontre décisive. Celle de Gary Moore. Oui, vraiment, Gary Moore ! Mais pas l'Irlandais balafré, celui-ci est un "pur" américain, un blondinet filiforme d'Atlanta.
Ces trois-là forment le noyau dur, l'âme de Mother's Finest. Pour le meilleur et... les pires (2) galères, les déceptions. Le groupe, désormais un sextet, intéresse la major RCA et un premier disque est enregistré et sort en 1972. Un disque éponyme totalement oublié de nos jours. Un disque riche où se mêlent dans une formidable osmose, Funk, Soul et Hard-rock. Néanmoins, la formation est déçue du résultat, arguant qu'à son insu, la production a anémié sa musique en la poliçant et en y ajoutant quelques éléments extérieurs. Il est vrai que la production manque cruellement de relief et de densité. Du gâchis, car derrière les compositions - dans l'ensemble, et en dépit de quelques menues errances naïves -, tiennent la route ; elles pourraient autant convenir aux amateurs de heavy-rock 70's, de Soul psychédélique que de Rock-progressif millésimé. Comme si Uriah-Heep était tombé tête la première dans la musique des studio Motown et Stax. On pense aussi au Grand Funk Railroad des années 74-76. Un disque dorénavant introuvable, dont quelques pièces ont pu retrouver vie sur la compilation de 2017, "The Anthology 1972-1983". RCA juge les ventes insuffisantes, et en conséquence, lâche sans ménagement le groupe. Jugeant inutile de sortir leur deuxième disque, pourtant déjà réalisé. Le premier essai comporte la superbe ballade Soul "You Move Me", qui sera reprise deux ans plus tard par pas moins qu'Aretha Franklin, pour clôturer son second album de 1974, "With Everything I Feel in Me".
Profondément déçue par cette laborieuse aventure, la troupe rentre penaude et amère à Atlanta, où elle a élu domicile (ville natale de Joyce et de Moore). Désappointée par le comportement irrespectueux de la maison de disques, elle s'interroge sur son propre avenir. Heureusement, elle n'arrête pas pour autant ses prestations, par ailleurs réputées dans le comté. C'est alors que le destin joue en sa faveur. Derek St. Holmes, le guitariste-chanteur officiant au côté de Ted Nugent, profite des sessions d'enregistrement à Atlanta (les deux premiers opus de Nugent sont enregistrés dans la capitale de Géorgie) pour découvrir la scène locale. Enthousiasmé par Mother's Finest, il invite leur producteur, Tom Werman (qui parallèlement, était toujours dénicheur de talents) à aller les voir prestement. Ce dernier, exalté par leur prestation et convaincu du fort potentiel du groupe, il court à leur loge pour leur proposer de signer avec Epic Records. Echaudée par leur précédente déconvenue, la troupe refuse catégoriquement. Mais Werman insiste et revient à la charge jusqu'à ce que, au bout d'une troisième visite, il finit par les convaincre. Sage décision.
En 1976 sort le troisième album, troisième opus éponyme (de quoi embrouiller les pistes) avec, enfin, une production à la mesure du talent du sextet. "Fire" démarre sur des chapeaux de roues avec un riff de pur hard-rock. Ce morceau scotche au mur l'auditeur peu habitué à tant de verve et d'entrain, où le funk le plus robuste et hargneux copule avec le hard-rock gorgé de blues lourd. Un savoureux creuset où se mêlent la voix chaude et mate de Glenn, celle sensuelle, mordante et autoritaire de Joyce, la basse lourde mais funky de Jerry "Wyzard" Seay, la guitare incendiaire de Gary "Mo" Moore et la batterie assez massive mais non moins groovy de Barry "BB Queen" Borden. "Fire" est le premier succès du groupe. "Give You All the Love (Inside of Me)" est un traquenard. Démarrant à pas feutrés, sur un tempo mi-latino mi-funk, ça se corse dès lors que Gary Moore durcit le ton, finissant par envoyer des scuds de wah-wah alors que Joyce feule comme une féline vibrant d'énergie sexuelle. Pour le coda, la Steatocaster de Moore se fait encore plus lourde, louchant vers l'écrasante SG de mister Iommi. Seconde et longue partie incendiaire ? Euphémisme.
"Niggizz Can't Sang Rock & Roll", un titre qui pourrait faire polémique aujourd'hui (gare à l'implacable censure), alors que c'est un cri. Le cri revendicatif de chanteurs afro-américains se révoltant contre l'infondée compartimentation d'auto-proclamés censeurs qui voudraient que les blancs évoluent dans le rock tandis que les afro-américains se limitent à la Soul, au Blues et au Rhythm'n'blues (3). Rock'n'roll, chasse gardée ? Mais qui a inventé le rock'n'roll ? Elvis ? Foutaises. Lui-même ne l'a jamais revendiqué. Pour le coup, comme une bravade, le morceau se place parmi les plus durs de l'album. Moore y déroule un solo volcanique à la Robin Trower.
Repêché des séances du second album (celui resté au fond du placard), "My Baby" se repose plus sur les claviers - ici un piano - de Mick Keck, et sur la voix de Joyce. Ici, elle se place en véritable chaînon manquant entre Aretha et Tina. Plus conventionnel, "Fly With Me (Feel the Love)" s'épanouit dans une Soul enlevée, proche du répertoire d'Aretha Franklin, dans ce qu'elle a pu faire de plus énergique. Et même plus, dès lors que la section rythmique décide d'accentuer le tempo, obligeant Moore à travailler son riff de funk-metôl comme si c'était une hachette - à fendre le bois. Autre réchappé des séances de 1973, "Dontcha Wanna Love Me" tranche avec son apparence fourre-tout où se croisent Doo-wop, progressif, soul, jazz et rock.
Après un triptyque de chansons relativement plus mielleuses, la troupe montre à nouveau les dents et clôture l'album avec "Rain" dans une pulsation soutenue, faisant bouillir le Funk jusqu'à le transmuter en un alliage de plomb et d'acier. Pur heavy-funk-metal des lustres avant les Red Hot Chilli Peppers, Fishbone, Living Colors, Red Beans and Pepper Sauce et autres Stevie Salas. Glenn prend le devant, ne laissant que les chœurs à sa comparse, et Moore envoie les watts.
Les albums suivants sont, peu ou prou, aussi bons, confirmant le talent et la pertinence de ce groupe particulier. Le suivant, "Another Mother Further" est souvent considéré comme leur meilleur. Un âge d'or jusqu'au live, "Mother's Finest Live !". Cependant, en dépit de ventes honorables, le groupe ne décolle jamais vraiment. Ce sera d'ailleurs une éternelle déception et incompréhension de Tom Werman. Injustement, Mother's Finest demeure en général trop funk pour le public hard-rock, et trop rock pour celui affilié à la Soul et au funk. De plus, une certaine radicalisation du heavy-metal va laisser dans son sillage le sextet. "Iron Age", l'album de 1981, tente de suivre les nouvelles tendances, mais en y perdant son identité. C'est Jeff Glixman qui est dépêché pour donner de nouveaux atours au groupe. Une inadéquate et stéréotypée production de bourrin, qui semble n'avoir absolument rien compris au groupe, boursoufflant au possible la guitare de Moore devenue écrasante, et essayant de faire chanter Glenn et Joyce comme des brailleurs de heavy-metal. La Soul et le Funk ne sont plus que des réminiscences, l'album évoluant plus dans un heavy-metal lourdingue entre Twisted Sister et Saxon. Ce sera le moment opportun pour Joyce Kennedy pour entamer une carrière solo avec deux albums indigestes, où elle préfigure de peu Whitney Houston. Une pause avant que Mother's Finest se remette en selle et continue une carrière émaillée de disques, hélas, moins inspirés et plus brutaux. Les prestations scéniques, elles, sont toujours d'un haut niveau. Certains n'hésitant pas à élever Mother's Finest parmi les meilleurs groupes sur scène. Ainsi, les enregistrements en public du groupe valent tous le détour.
(1) Quasiment, car il garde une solide fan base. Mais, le groupe a depuis longtemps dû se replier sur des salles modestes.
(2) Comme celle où, lors d'un concert en ouverture pour Molly Hatchet et Ted Nugent, le groupe se retrouvant être la cible d'une bande d'abrutis qui lui balancent divers projectiles, se doit de quitter prestement la scène.
(3) Remarque : à l'inverse, cela n'a jamais trop contrarié les instances lorsque c'étaient des blancs qui s'essayaient - ou pillaient - le Blues ou autres musiques de leurs compatriotes noirs.
🎼👪
Ah, voila qui nous change des rednecks... Y'a pas à dire, la Black Music a une longueur d'avance.
RépondreSupprimerRegrouper reggae et funk n'a musicalement aucun sens (ce serait plutôt soul / R&B/ funk), à moins qu'il ne s'agisse d'une étiquette pour classer les genres "parents pauvres" du site, peu abordés.
Entièrement d'accord avec l' "accouplement" insensé "Reggae - Funk ". Cela remonte au balbutiement du blog où le reggae et le funk étaient absolument minoritaires
RépondreSupprimer(ils le sont toujours ?)
[cependant, en poussant peut-être un peu le bouchon, on pourrait prétendre que le reggae est une forme de funk engourdi, ensommeillé, voire écrasé par la chaleur étouffante et moite de la Jamaïque 😲😁 ]
Oui, je confirme, ils le sont toujours... Je crois que le rock est devant (à vérifier)... 😁
SupprimerLe sujet de l'indexation avait déjà été abordé, il faudrait effectivement grouper le Funk avec le R'n'B, un de ces jours si j'ai temps...
RépondreSupprimerCe groupe est en effet étonnant, je ne connaissais pas. Je suis allé aussi écouter le troisième album, mieux produit, mais j'avoue préférer le côté bordélique de celui-ci. Les grognements du chanteur me font penser à Jimmy Barnes ! Parfois, j'entends un peu du Deep Purple version Tommy Bolin. Mais ce qui domine, c'est la voix très proche de Tina Turner. D'ailleurs, le chant n'est pas très nuancé, elle est à fond tout le temps. J'imagine que les Shaka Ponk connaissent, mâtiné de Hip Hop.
Non, non. Je ne crois pas. Peut-être sur les morceaux les plus enlevés, mais sinon, sur les ballades (slows ou approchant), elle foule déjà plus le territoire d'Aretha Franklin (néanmoins, probablement sans l'égaler). Parfois, c'est entre Chaka Khan et Whitney Houston - en version un poil plus rock, of course.
SupprimerFire c'est le même riff d'intro que Saturday Night de Ganafoul, sorti quasi à la même époque!
RépondreSupprimerbien ouïr ! 👍🏼👍🏼👍🏼
Supprimer(Chez Ganafoul, c'est daté de 1977 - du moins, c'est l'année d'enregistrement)
Je l'ai depuis longtemps, moi, M'sieur, ce disque et d'autres, en cut - je crois - (faudrait que je fouille dans l'armoire, me souviens plus). Incompréhension totale en effet. Je confirme tout ce qui est dit. Bravo pour avoir sorti ce groupe des oubliettes.
RépondreSupprimerMerci
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