mardi 16 janvier 2024

L’HISTOIRE DE MES DENTS de Valeria Luiselli – (2013, 2017 en français) - par Nema M.

Sonia a mal aux dents. Elle est allée chez le dentiste : verdict, il faut arracher une dent de sagesse. Nema lui dit :

- N’oublie pas de récupérer ta dent, ensuite tu pourras la mettre en vente aux enchères sur internet.

- N’importe quoi, Nema, une dent cela ne se vend pas ! Et aux enchères en plus ?

- Désolée, pour Gustavo Sanchez Sanchez, commissaire-priseur mexicain, c’est une vraie aubaine les dents… ça peut rapporter gros. Tiens, lis ce roman.


Ecatepec
 

Mais qu’est-ce que cette histoire ? C’est "L’histoire de mes dents". En fait l’histoire des dents du héros, Gustavo Sanchez Sanchez (tel est son nom), dit Granroute (tel est son surnom). Partons pour la zone d’Ecatepec, qui fait partie de la grande métropole de Mexico. Un quartier avec des usines, des entrepôts, des maisons colorées mais pas bien riche. Voici pour commencer un bébé qui nait avec quatre dents. Et en plus ce n’est pas un beau bébé. Qu’importe pour la mère, elle chérira son petit Gustavo quand même. Après les dents de lait, le pauvre enfant se retrouve avec de très grosses dents biscornues, qui, faute de place, poussent dans tous les sens. Pas beau à voir. Bon. L’enfant est loin d’être bête mais reste très réservé. Comme ça on ne voit pas trop ses dents. 


Marteau de commissaire-priseur

À 21 ans Grandroute est gardien en charge de la sécurité à l’usine de jus de fruit, via Morelos à Ecatepec. Vers 40 ans, à la suite de la gestion d’un imbroglio, il a une promotion et devient "réconfort des autres salariés" avec des formations en gestion de crise, en premiers secours, en contrôle de l’anxiété, en danse de couple… 

C’est dans ce dernier cours qu’il rencontrera Flaca qui deviendra sa femme et lui donnera un fils Siddhartha, juste après le tremblement de terre de 1985. Le couple bat très vite de l’aile. Grâce à son pote El Perro, chauffeur à l’usine de jus de fruits mais au courant de tous les ragots sur les uns et les autres, Grandroute découvre le métier de commissaire-priseur. 

Une nouvelle vie commence pour l’homme aux dents de travers. Il apprend l’art de la vente aux enchères. Il s’initiera à plusieurs méthodes, auprès de plusieurs spécialistes. Il existe différents types de vente : la circulaire, l’elliptique, la parabolique et l’hyperbolique. C’est très mathématique, cela ressemble à un calcul du degré de déviation du discours du commissaire-priseur qui présente l’objet, par rapport à la réalité de l’objet. Vous verrez on peut partir effectivement très très loin de la vérité de l’objet et de son histoire. Au début, il fréquente les salles de vente pour voir comment cela se passe. Il va tomber par hasard sur les dents de Marilyn Monroe, et là, coup de foudre : il les achète et elles vont devenir ses dents (après avoir fait arracher toutes ses grosses vilaines dents de travers, Grandroute se retrouve ainsi avec un beau sourire tout neuf). 


Marylin - Pop art

Petit à petit, il exerce le métier et y devient très bon. Il se donne des trucs comme par exemple celui-ci : pour vaincre le trac avant de commencer la séance de mise aux enchères, rien de tel qu’un temps de "réflexion à l’envers" : "le grand chant-mé loup lu-poi pris un ci-cou-ra à travers la rêt-fo pour arriver à la son-mai de la mère-grand…". Bizarre, non ? Et si vous essayez, pas facile. Je ne sais pas si c’est vraiment efficace pour le trac.

 

En 2011, alors qu’il en a assez de voyager entre les Etats-Unis et le Mexique, Grandroute revient s’installer à Ecatepec et constitue un stock d’objets hétéroclites dans son entrepôt. Un jour, le Père Luigi lui propose de faire une vente aux enchères pour l’aider à financer la maison de retraite Sainte Appoline. Les résidents aisés pourront acheter sans problème des objets les intéressants. Grandroute est d’accord sur la base d’une rémunération de 30% pour lui et 70% pour l’église. Il réfléchit longuement aux objets susceptibles d’intéresser ces retraités et finalement opte pour ses anciennes dents ! Pour la vente de ces lots de dents (une dent par lot), il utilise la méthode hyperbolique. Il faut oser. Je vous laisse découvrir 😊.

Bizarrement, à la suite de cette mémorable vente aux enchères, Grandroute se retrouve dans un drôle d’endroit et dans une position très inconfortable. Que s’est-il passé ? Pourquoi est-il là ? Je ne dévoile rien de plus mais c’est assez déroutant. Je vous rassure, il s’en sort. Sans dents.


Valeria Luiselli

Donc, il sort du drôle d’endroit et avec un vélo emprunté, Grandroute décide de repartir vivre dans son quartier, celui de l’usine de jus de fruits, et de se venger. Dans un café qu’il connait bien et de longue date, il fait la connaissance d’un jeune, Jacques de Voragine, qui travaille à élaborer un guide touristique pour Ecatepec. Une sorte d’amitié se tisse entre les deux hommes. Il y aura de nouveau des objets à prendre dans un hangar, il sera de nouveau question de Siddhartha. Le jeune sera hébergé par le vieux, qui lui apprendra l’art de l’habillage en mots, et qui demandera en contrepartie l’écriture de la biographie de… ses dents. 

 

Valeria Luiselli est née en 1983 à Mexico. Ses romans ont reçu de nombreux prix. Elle vit aux Etats-Unis et écrit désormais en anglais. Merci au traducteur Nicolas Richard. On plonge allègrement dans cette histoire toute folle, pleine de bizarreries incroyables, et toute en tendresse en même temps. A noter que le quartier, les ouvriers, la lecture en usine ont largement inspiré l’auteure.

 

Bonne lecture !

 

Editions de l’olivier

190 pages

1 commentaire:

  1. Voilà qui paraît bien original (commandé 👍🏼).
    Grandroute, c'est une référence à Tolkien ?
    Siddhartha, au bouddhisme ?
    Et père Luigi... à Mario Bros ? 😁
    Sans oublier que Sainte Apolline, est la patronne des dentistes 😉

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