mardi 2 janvier 2024

Joseph Bodin de BOISMORTIER – Ballets de village et Sérénades (1734) – Hervé NIQUET (1997) – par Claude Toon

  

Mardi 2 janvier… Ambiance délire au Deblocnot… La rédaction a recruté les gars et les filles de la compta, de la gestion, de la com, des moyens généraux, de l'entretien, des achats, des archives, les agents de sécurité, la concierge… pour lancer une farandole endiablée sur cette musique dénichée par le Toon. Un chouette délire, la fête au village dans les couloirs et même les escaliers (pas prudent mais pas de pépin) … Juste la facture champagne pour arroser 2024 qui a fait monter la tension de Luc à 24 – 13 / 98. Merci à Bruno d'avoir prêté ses amplis… Marshall et ses enceintes… Rockster (pour du baroque ça le fait quand même, mais le faux plafond a des fissures 😊)

- Dis Claude, et si pour cette première semaine on faisait un billet sur ce compositeur peu connu et sa musique festive …

- Super idée Sonia ! Comme d'hab', tu me cherches l'iconographie, je rédige, on prépare la maquette et j'intègre l'article sauce HTML…


Joseph Bodin de Boismortier

Quand on s'appelle de Boismortier, on compose du solide ! Avec du bois et du mortier, forcément, voici de la musique qui aurait dû résister aux temps. Ben, pas tant que ça, j'ai découvert ce baroqueux tardif lors de mes pérégrinations dans YouTube, notamment en écrivant le billet pour Noël : la cantate H 416 de Marc-Antoine Charpentier.

Calembour mis à part (la signature du blog), Joseph Bodin de Boismortier est membre d'un groupe de 34 compositeurs appartenant au courant baroque français. Usuellement on situe cette période entre 1600 et 1750 (mort de Bach), mais le tableau chronologique recensant ces messieurs dans l'article Wikipédia s'étend jusqu'en 1795 ; clôturant la liste avec Antoine Dauvergne né en 1710 et donc décédé à l'âge canonique de 85 ans, une exceptionnelle longévité pour le XVIIIème siècle. Il n'a pas sombré dans l'oubli même si pratiquant un style paraissant désuet en ces temps où Mozart et Haydn (Sturm und Drang) préparent la révolution romantique beethovénienne de 1805

La courte séquence "classique" de quelques décennies reste marquée en partie du sceau "Sturm und Drang" (tempête et passion), un concept qui s'oppose à la musique de divertissement et aux opéras nourris de mythologie ou de bouffonnerie, un courant intellectuel qui demeure une spécificité germanique. Le mouvement revendique une rupture avec le passé baroque, adopte l'influence des pensées libertaires du siècle des lumières, "Sturm und Drang" n'est autre que le titre d'une pièce de 1772 du dramaturge Klinger. Donc rien d'étonnant que le style baroque perdure plus longtemps en France. De toute façon de Boismortier cessera de composer en 1753 (la querelle des bouffons, encore une drôle d'histoire pour un autre papier…)

Parmi ces 34 musiciens la plupart des noms me sont connus, mais de là à vous expliciter l'historique de leurs carrières et à vous proposer des œuvres hors du commun… Nous avons parlé dans le blog de certains des plus essentiels (Index) : Couperin, Rameau, Campra, Charpentier, des personnalités aux styles originaux et à l'écriture inventive. Pour leurs camarades, une impression de déjà entendu est souvent patente à l'écoute, même si l'élégance de la composition tente de masquer la banalité. Aujourd'hui, assurons la session de repêchage de de Boismortier grâce à album pour le moins guilleret.


David II Tenier - Fête de village - 1690
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Hasard du calendrier, nous voilà tout juste sortis de la trêve des confiseurs. Or le papa de Joseph, Etienne Bodin après une carrière militaire terminée à Thionville tenait un commerce de confiserie à Metz. Les épousailles d'Etienne avec Lucie Gravet, sans profession a priori, ont lieu en 1687Joseph sera leur second enfant né en 1689.

Joseph ne dédaignait sans doute pas piocher dans le stock de sucrerie de la boutique, mais reprendre la succession de son père n'est pas dans ses ambitions. On repère vite ses talents musicaux. Les témoignages sur l'apprentissage de son métier de musicien ne sont pas fiables, on présume néanmoins qu'il reçoit un enseignement auprès de Joseph Valette de Montigny (1665-1738). Rien de sûr, ce monsieur devrait être ajouté au tableau des 34, donc passons… Les musicologues officiels ont du pain sur la planche…

Ceci dit, cette formation a pu réellement avoir lieu, car de Montigny, originaire du Languedoc, se trouvait bien à Metz vers les années 1700. Par ailleurs, en 1713, Joseph suivra Montigny à Perpignan où il exercera en tant que receveur de la Régie Royale des Tabacs 😊. Autre indice, il épouse en 1720 Marie Valette, une nièce éloignée de de Montigny. Il fréquente du beau monde : le vicomte d'Andrezel futur ambassadeur du Roi à Constantinople, la Cour de la Duchesse du Maine, à Sceaux… une ascension bien gérée qui l'amène à Paris en 1724 obtenant du roi Louis XV un privilège pour imprimer ses œuvres. Il ne s'en privera pas… car cette situation exceptionnelle lui donne l'aisance matérielle nécessaire pour travailler sans dépendre des exigences d'un protecteur à l'image de ses confrères (un noble, un évêque…). 


Musette du XVIIIème siècle
 
Vielle du XVIIIème siècle
 

- Dis Claude, c'est un papier musicologique ou les cancans de Gala, Image point de Vue, etc. ? hihi.

- Délichieuse chette papilloche Chonia… Il n'y aura pas fraiment d'analiche de l'oeufre, alors che ragonte des tites ichtoires…

Ne pas s'assujettir à un mécène exigeant comme durent le faire Bach ou Mozart jeune n'a pas que des avantages. Il faut impérativement vendre sa musique sans être boudé par un public friand de facilité et de frivolité. On reprochera à Joseph de Boismortier ces facilités d'écriture. Certes ses ballets et sérénades sont contemporains de l'Oratorio de Noël de Bach et que dire, à propos du même Bach du génialissime et intemporel Art de la Fugue de 1740Boismortier produit des musiques de divertissement pour une époque où les Music-Hall chantés par Charles Trenet n'existent pas encore, ni le cinéma, et où la production musicale des confrères sert souvent la liturgie…

Tant les ballets que les sérénades sont des musiques pétulantes et animées. Ô la thématique et la composition ne recourt pas au contrepoint ésotérique de Bach… Oui, et alors…

Joseph de Boismortier a composé dans tous les genres avec un intérêt marqué pour la flûte traversière qui allait supplanter définitivement les flûtes à bec au cours du XVIIIème siècle.

Les sonates pour flûte et clavecin ou pour une multitude de combinaisons instrumentales (bois, violoncelles, etc.) constituent une part non négligeable de son catalogue. On trouve aussi des curiosités comme ses six concertos pour cinq flûtes (enregistré par Hervé Niquet).

Musique facile ? Laissons le musicologue Serge Gregory s'exprimer : "… une plume prolixe, vive, inventive, jamais guettée par la lassitude, soucieuse de plaire certes, mais attentive au travail bien fait, qui s'égare parfois à croquer un mouvement d'une réelle profondeur expressive propre à toucher les vrais musiciens tout en distrayant les dilettantes.".

Côté musique orchestrale, j'ai le sentiment que de Boismortier s'amuse et souhaite nous amuser. À l'effectif instrumental traditionnel de l'époque baroque, il ajoutera dans ces Fêtes de village la vielle et la musette, instruments bucoliques par excellence. 

La symphonie ne connaîtra son essor qu'à partir de 1740. Concerto grosso, sinfonia, sérénade et autres divertissements sont les genres orchestraux qui brillent encore de leurs derniers feux. Le public est friand de badineries lors des soirées musicales. Dans l'album du jour, présenté comme un programme de concert, le dada bienvenu de Hervé Niquet, se mêlent quatre ballets d'une petite dizaine de minutes chacun, une grande sérénade comportant pas moins de 15 mouvements et une courte "gentillesse" composée de trois mini airs, "gentillesse" : un titre de morceau propre à Boismortier a priori, qui n'affiche aucune ambiguïté quant à sa finalité mondaine et plus si affinité 😊 … 


Hervé Niquet

Hervé Niquet avait été mis en compétition avec son homologue anglais Robert Hollingworth lors de la parution de deux albums en 2011/2012 et consacrés à la Messe à 40 & 60 voix de Alessandro Striggio. (Clic) Un match nul au sommet. À l'époque, je ne m'étais pas étendu sur la carrière de ces artistes. J'avais apprécié le souci d'Hervé Niquet d'intercaler des prières a cappella entre celles de l'ordinaire liturgique pour atténuer l'austérité de cette majestueuse polyphonie de la Renaissance. La variété apportée à cette reconstitution d'un office de 1543 se retrouve dans la fantaisie des enchaînements du disque de ce jour.

Hervé Niquet né en 1957 est l'une des figures importantes de la musique française et pas uniquement par son travail sur la période baroque. Le claveciniste et chef d'orchestre défend à juste titre que la musique de notre pays, voire occidentale, se conçoit comme une continuité, du moyen-Âge à nos jours. Il a également chanté comme ténor dans l'ensemble les Arts Florissants de William Christie entendu le jour de Noël. Il fonde en 1987 l'orchestre baroque Le concert Spirituel qu'il dirige toujours. La musique baroque à redécouvrir est la clé de voute de l'ensemble avec des concerts et gravures dédiés à André Campra, Jean Gilles, Joseph Bodin de Boismortier, Marc-Antoine Charpentier déjà cité plus avant. Comme tous les passionnés de ces musiques, Hervé Niquet assure un travail musicologique important pour obtenir les sons et la légèreté la plus authentique dans ses interprétations. Sa discographie est sidérale, y compris dans les répertoires contemporains de Debussy et Ravel, réalisation qui trouve sa logique dans la conception du maestro de l'histoire de la musique sans rupture stylistique franche.


Fête de village en Normandie (Jouhaux -1830)
David Tenier

Analyser ces ouvrages galants et primesautiers de manière savante n'a pas grand sens dans l'esprit du blog. À noter que Naxos, réputé pour la platitude de ses présentations (voir vidéo), propose cet enregistrement dans une édition à la jaquette bariolée et que livret ne comporte pas huit pages mais 62 ! Des détails pointus sur les modes de compositions sophistiqués de Boismortier sont passionnants.

Les orchestrations rassemblent : Violon I & II, 2 hautbois, 2 flûtes traversières, 2 flûtes à bec, 1 basson, 2 musettes, 2 vielles à roue, 2 violoncelles et 1 contrebasse, orgue positif et clavecin, Hervé Niquet dirige Le concert Spirituel et joue d'un second clavecin.


[0:00] Premier Ballet opus 52


[8:56] Cinquième gentillesse opus 45

  1. Gaiement
  2. Gracieusement
  3. Gaiement


[15:42] Deuxième Ballet opus 52


[24:39] Sérénade opus 39

  1. Air gracieux
  2. Gavotte en rondeau
  3. Chœur imaginaire
  4. Rigaudon et deuxième rigaudon
  5. Rondeau
  6. Menuet et deuxième menuet
  7. Gavotte
  8. Air vif
  9. Air modéré
  10.  Gigue
  11.  Villageoise et deuxième villageoise
  12.  Musette
  13.  Les révérences nuptiales
  14.  Loure
  15.  Chaconne


[57:55] troisième Ballet opus 52


[1:05:41] Quatrième Ballet opus 52


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


A Gauche : La Fête de village (Rubens - 1638)



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