C’est une statue que certains voudraient déboulonner, un monument qui en irrite plus d’un, une institution controversée. Nous vivons il est vrai dans une drôle d’époque, où les vieux rockers enterrent un à un ceux qui annoncèrent leur mort. Pete Townshend continue ses moulinets au côté d’un Roger Daltrey toujours aussi grandiloquent, Robert Plant poursuit sa route de mage explorateur, Alice Cooper redonne vie au swing de l’âge d’or. Et puis il y a les Stones, vieux rois refusant de lâcher le trône acquis à la séparation des Beatles.
Pendant des mois la rumeur courut, faisant couler des litres d’encre, trépigner des milliers de fans, délirer des dizaines de journalistes. Pour ces derniers, cette attente était absurde, les Stones se montrant lessivés depuis des années. Revint alors l’éternelle question : quel fut le dernier bon album des Stones ?
Certains affirmèrent que toutes les productions post « Exile on main street » n’étaient que du rock "en toc", firent de la ballade « Angie » le symbole de la décadence stonienne. Mais personne ne sut définir le terme "rock en toc" qui ressemblait à tous ces mots creux que les journalistes aiment employer pour marquer les esprits. Placer la fin des Stones à « Goat head soup » c’est se priver du rock primaire de « Some girls » et des tubes de « Tatoo you ». Un groupe encore capable de produire un classique du calibre de « Start me up » ne peut être foutu, la machine est grippée mais tourne encore.
N’attendez pas de moi que je m’échine à décaler le couperet de quelques années, que je me torture pour savoir s’il faut se priver des petits plaisirs que sont « Tatoo you » ou « Voodoo lounge ». Le véritable amateur de rock ne peut nier que ce dernier n’eut pas à rougir au milieu du renouveau classique rock des années 90, que des disques comme « Emotionnal rescue », « Steel wheel » et « A bigger band » contenaient leur lot de tubes. Il est vrai que ces disques montraient une inspiration inégale, la flamme stonienne vacillait sous le souffle d’un temps balayant un à un tous les espoirs de renouveau rock. La seule chose que beaucoup demandaient à ces vieux lions, c’est de réciter sans cesse les classiques d’une époque que l’on considérait comme morte sans pouvoir en faire le deuil. Il n’empêche que, malgré les crachats moqueurs de plumitifs Cassandre, « Hackney diamond » se plaça vite en tête des ventes d’album.
C’est que, malgré les sarcasmes, personne ne souhaite la mort des Stones. Pour une génération comme la mienne, qui naquit plus de 20 ans après la sortie de leurs derniers classiques, ce fut surtout l’occasion unique de découvrir l’émotion de ceux qui découvrirent la dernière production du plus grand groupe du monde à sa sortie. Le réactionnaire que je suis ne peut d’ailleurs s’empêcher de regretter cette production trop compressée, ce son trop agressif, cette débauche sonore trop moderne. Des titres tels que « Dream skies » et « Rollin stones blues » ne font qu’accentuer cette impression en rappelant comment un disque des Stones doit sonner, c’est-à-dire comme un bon vieux disque de blues où chaque note s’épanouit dans de grands espaces de silences.
Keith affirmait que ce n’était pas ce qui était joué qui comptait le plus dans un titre, mais ce qui n’était pas joué, il est dommage que son groupe n’ai pas suivi ce sage précepte. Prendre le producteur de Justin Bieber et Miley Cyrus pour produire le dernier Stones, c’est un peu comme si Tarantino s’était mis en tête de faire un remake de Citizen Kane. Les Stones ne sont plus modernes depuis le départ de Brian Jones en 1969, leur swing s’est fossilisé dès le retour aux sources de « Beggars Banquet ». Dans ce cadre, les beat disco de « Mess it up » sonnent comme un horrible écho de l’imbuvable « Miss you ». C’est que, la production aura beau se faire ultra moderne, les Stones d’aujourd’hui seront toujours comparés aux Stones d’hier.
La comparaison ne tourne d’ailleurs pas forcément à leur désavantage, des rocks tels que « Angry » ou « Live by the sword » se révélant dignes des grands moments du sous-estimé « Tatoo you ». Ces titres contiennent l’essence même de ce que sont les Stones depuis l’arrivée de Ron Wood. Issu du groupe hard blues The Face, ce dernier apporte un supplément d’agressivité qu’une production très énergique ne fait qu’accentuer. Le maître du vaisseau Stones reste pourtant le grand Keith Richards, « Tell me straight » se montrant aussi bon que sa production en solo. Si je n’ai que peu parlé des invités tels qu’Elton John, Paul McCartney, Stevie Wonder, c’est que leurs interventions sont si discrètes qu’elles ressemblent surtout à des arguments marketing.
Seule Lady Gaga tire ici son épingle du jeu, prouvant ainsi que sa voix mérite mieux que le traitement synthétique et sans âme qui lui est habituellement réservé. Sa performance sur « Sound of heaven » est si convaincante qu’elle rappelle les plaintes apocalyptiques de la choriste de « Gimme shelter ». Alors oui tout cela ne réinvente pas l’eau chaude, oui on trouve ici un disco rock porté par une batterie sans âme, oui « Rollin stone blues » ressemble à un inédit des sessions de « Blues and lonesome ». Mais il se dégage de ce disque une énergie fabuleuse, un swing miraculeux, un mojo que l’on croyait perdu.
Plus d’un demi-siècle après la sortie de leur premier album, les Stones ont su garder cet enthousiasme juvénile et cette fougue rythmique qui fit leur gloire. Sans atteindre le scintillement éblouissant de leurs chefs-d’œuvre, ce dernier album est loin d’être le diamant terne que l’on a décrit.
« If you live by the gun, you die by the gun » chante Mick Jagger sur le tube “Live by the sword”. Les Stones vécurent par le rock, ils mourront par le rock. Mais, n’en déplaise à certains, ce n’est pas encore pour aujourd’hui.
La seule question est : à quoi ça sert ? Oui, je sais, il en faut pour tous les goûts (ou ici, en l'occurrence, pour tous les âges) car ils sont tous dans la nayture...
RépondreSupprimerOups, "nature", évidemment...
RépondreSupprimerBen, non, nayture, c'est parfait, c'est la prononciation à l'anglaise.
SupprimerAlors c'est "naytioure"... :-)
SupprimerExact, mais chaque chose en son temps. Point trop n'en faut, tout vient à point à qui sait attendre...etc.
Supprimer...et encore un album pour payer leurs EHPAD de luxe !
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